. Nemuri Kyoshiro 7 : Mask of the Princess
 
Titre original:
Nemuri Kyoshiro - Tajo-ken
   
Réalisateur:
INOUE Akira
Année:
1966
Studio:
Daiei
Genre:
Jidai-geki
Avec:
ICHIKAWA Raizo
MIZUTANI Yoshie
NAKAYA Ichiro
KAYAMA Keiko
 dre

Le deuxième souffle ?

Avec ce septième épisode, Akira Inoue offre un nouveau souffle, celui qu’on était en droit d’attendre. Nemuri Kyoshiro est un personne qui peine à se définir, d’un film à l’autre, on obtient deux visions différentes, fait assez perturbant pour un rônin présenté dès l’ouverture comme cynisme, immoral, impitoyable et devant à l’occasion un anti-héros au grand cœur. Cette instabilité n’aide pas la série à pouvoir s’envoler, la base est trop sableuse pour arriver à construire quelque chose. Pourtant le deuxième puis quatrième épisode parviennent à aboutir le passé inconnu du rônin. Mais une fois l’affaire close, il ne reste plus grand-chose, que des souvenirs et des tentatives de recycler le personnage, il faut faire vivre la série. Dans ce septième opus, il faudra accepter la vision développée particulièrement chez Kimiyoshi Yasuda, celle d’un Kyoshiro révélant son côté humain, finalement seule possibilité pour les intrigues d’instaurer une continuité et interactivité intéressante avec le reste des personnages, mais surtout pour nos autres spectateurs d’arriver à mieux cerner le rônin.

La princesse Kiku s’est autrefois faite humiliée par Kyoshiro qu’elle désirait tant. Il avait découvert que la jeune femme a un visage à moitié rongé qui l’a rend très laide, l’obligeant à se cacher derrière un masque. Elle décide de se venger, jurant la mort du rônin. Alors que Nemuri Kyoshiro fait la rencontre d’une pauvre jeune fille vendue à un bordel, il se fait attaquer par des ninjas. Très vite, il comprend que la princesse est derrière ces tentatives d’assassinat.

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Avec une histoire de vengeance d’une princesse narcissique, on ne peut échapper à un autre regard cru et critique de la société japonaise de cette époque. Rassurons-nous, il ne s’agit pas d’une vision manichéenne simpliste et banale au possible, ici nous voyons à l’œuvre une armée secrète, les ninjas, agir dans la plus grande légitimité pour le compte d’une princesse déchue qui à défaut d’avoir la beauté, a une place relativement importante, c’est en effet l’une des filles du Shogun. Mais le pouvoir lui-même n’arrive pas à contrôler cette femme. Son influence lui permet en tout cas de mettre en place des moyens surprenants pour arriver à son but, tuer l’homme qui osa la rejeter. En effet, la jeune femme est mentalement troublée à cause de la perte de sa féminité, son visage très laid est une barrière à son épanouissement, elle se venge donc sur les hommes soumis et sur les belles femmes en les tuant. D’ailleurs, la femme ne s’accepte pas au point de refuser de voir son reflet dans l’eau. On sent la volonté de pouvoir tout maîtriser pour mieux satisfaire un narcissisme illusoire. On ne peut pas être plus clair pour démontrer le détournement du pouvoir. Il se dessine forcément un paradoxe ironique, la quête de la beauté de cette femme devient son unique raison de vivre tandis que la population plus modeste doit travailler quotidiennement pour espérer vivre, sans se soucier d’un quelconque problème esthétique.

Le cynisme de Nemuri Kyoshiro s’avère une nouvelle fois tout aussi dangereux que sa lame, capable de devenir son propre fardeau. Il porte sur ses épaules la culpabilité de traîner la mort et la tragédie partout où il se rend, et essaye de venir en aide aux braves gens ayant été atteint par son ombre de mort. C’est l’exemple de la jeune fille vendue à un bordel juste après que son père ait été tué par un samouraï. L’amalgame est pour elle très facile, ainsi tous les samouraïs sont d’horribles ordures, image récurrente d’une population craignant ces fameux hommes de sabre. C’est ce discours qui semble émouvoir Kyoshiro, comprenant qu’il n’est pas le seul à avoir un regard lucide sur la société, on sait que le pouvoir de vie ou de mort appartient aux castes les plus élevées qui sont ni plus ni moins nos fameux sabreurs. Après avoir délivré la jeune femme têtue, dont la fierté et le mépris pour les samouraïs lui font croire qu’elle a une dette envers Kyoshiro, ce dernier s’empresse d’aller tomber dans les bras d’une geisha dont il tombe amoureux. Nemuri Kyoshiro s’affine et sort du cliché du rônin blasé, en exprimant ses sentiments il gagne plus que jamais en nuance, sachant qu’il demeure conscient de la réalité de ses échanges, à l’image de cette geisha opportuniste pensant principalement à l’argent. Mais ce n’est pas pour autant que son regard devient méprisant, il sait très bien que l’important est de survivre.

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Le symbole principal du film est le masque, ce fameux masque camouflant la réalité du visage de la princesse. On repense bien sûr au masque de l’épisode précédemment que portait pendant pratiquement tout le film Kyoshiro à sa ceinture. Cet objet lui rappelant qu’en tant qu’homme, avant d’être un rônin, il est aussi un tueur, la parole ne fait que de remplacer le sabre et le cynisme, la technique. Chez lui, on dirait que c’est un énorme de choc de prendre conscience de sa force d’être humain, comme si depuis toujours il avait renié son essence première, cédant aux rumeurs propagées sur son compte comme quoi il est un démon incarné. C’est ici la seconde fonction du masque, rien de plus que de cacher un passé, une dignité mourante. Il ne faut pas oublier que c’était une femme déchue son rang social qui le portait, espérant naïvement préserver son esprit à défaut de son corps. Et Kyoshiro est le coup fatal, il l’a rejette en lui donnant des explications mortelles, qui permettront à la femme d’avoir la volonté de se suicider. La remise en place du symbole du masque dans cette histoire de vengeance avec cette femme laide est un intéressant parallèle entre les deux épisodes. Nous savons au passage que la femme a toujours occupé une place plus ou moins importante dans la série, on la retrouve en tout cas à chaque niveau conflictuel de l’histoire. Entre la princesse et la prostituée, il y a le point commun, la dignité et le revers magistral d’un Nemuri Kyoshiro fidèle à son cynisme. Dans les deux cas, le rônin se moque de la beauté, l’une n’a clairement rien à offrir, l’autre est laide. Néanmoins, c’est là les seules similarités entre les deux cas puisque les femmes suivent des chemins différents donnant au masque toute son ambiguïté. Chez la prostituée il est le reflet d’une réalité ignorée, pour rappel il est porté par Kyoshiro, chez la princesse il est omniprésent, gage d’une illusion quotidienne.

Akira Inoue se démarque des autres réalisateurs en affirmant d’emblée sa volonté d’apporter un renouveau. Et cette idée est concrétisée par une mise en scène enrichie traduisant à merveille l’état dans lequel se trouve depuis trop longtemps notre Nemuri Kyoshiro. On voit qu’il aime jouer avec les distances et les différents niveaux de relief d’un plan, il n’est donc pas de rare de voir un personnage d’avancer droit vers nous alors qu’il se trouvait au fond de l’image. Est-ce que les personnages reviennent clairement de loin ? C’est à mon avis surtout en enfermant les acteurs dans des coins d’images, par exemple à travers une fenêtre ou encore une rue étroite, qu’il démontre un certain humeur en inversant ce que l’on a pu voir dans la série, à savoir des personnages étriqués dans des clichés baignant dans une mer immense et sans repères. Ici, c’est donc visuellement l’inverse. Il ne s’arrête pas pour autant à ce simple stade ironique, il va utiliser aussi à merveille les contrastes lumineux. Par exemple lors du premier flash back, Kyoshiro s’approche de barres d’une fenêtre quelconque, filmé de l’intérieure, et une lumière rougeâtre vient illuminer les barreaux, enfermant Kyoshiro dans cet espèce de sort tragique. Il va aussi briser le cadre fixe habituel en optant pour une caméra à l’épaule, créant un résultat dynamique, au moins plus vivant. À cela il faut ajouter le très discret mais essentiel travail sonore d’Akira Ifukube – plus connu pour ses compositions sur la série Godzilla – qui nous fait entendre une composition ayant complètement assimiler l’ambiguïté du personnage de Kyoshiro, la musique tend vers des tonalités européennes du Seizième siècle avec en particulier du clavecin. Directe ? Alors que son travail se fait toujours imposant et remarquable ? En effet, sa musique n’apparaît qu’à de rares exceptions, pour souligner des passages où les sentiments des individus apparaissent. Le reste du temps, il n’y a pas de musique, rien du tout, nous nous retrouvons dans une ambiance assainie, nous faisons face à la sécheresse concrète de cette époque peu bavarde, tout en parcourant de somptueux décors.

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Ce septième épisode s'impose comme l’un des immanquables de la série, le film se distingue sur tous les points et le soin apporté à l’ensemble est vraiment remarquable tant on arrive enfin à cerner la personnalité nuancée de Nemuri Kyoshiro. Du scénario à la musique, nous avons là du très bon travail sortant la série de la banalité pour nous offrir un spectacle de qualité approfondissant les relations entre Kyoshiro et les autres. Le rônin peut enfin espérer prendre son envole, profitant de cet épisode magnifique, petite perle trop attendue.

 

Michaël Stern (Wild Grounds)