. Nemuri Kyoshiro 8 : Villainous Sword
 
Titre original:
Nemuri Kyoshiro - Burai-ken
   
Réalisateur:
MISUMI Kenji
Année:
1966
Studio:
Daiei
Genre:
Jidai-geki
Avec:
ICHIKAWA Raizo
AMACHI Shigeru
FUJIMURA Shiho
KUDO Kentaro
 dre

Renaissance amère

Pour sa dernière participation à la série, Kenji Misumi, réalisateur du second et cinquième épisode, essaye une nouvelle fois de réorienter le personnage vers sa véritable essence, distance et cynisme sans folie nihiliste. Car à chaque épisode, c’est pratiquement toujours le même problème, il y a rarement une continuité entre les films, ce qui fait de Kyoshiro un rônin plus ou moins spectateur de l’histoire et non pas au centre même. Spectateur parce qu’il n’est plus personnellement impliqué dans ce qu’il vit, les réponses à son passé nous ont déjà été donné au début de la série. La grande instabilité de son caractère, tout en nuance, ne fait pas souvent ressortir ses sentiments et ce manque de sensibilité, s’il reste intéressant,  peut rapidement devenir un frein entraînant une figure fade, sans surprise, sans attrait. Paradoxe d’une image d’un homme désillusionné pourtant difficilement exploitable pour ses auteurs. Ce n’est pas un hasard si les réussites de la série sont les films mettant en scène sa quête personnelle vers son passé ou une implication émotive de sa part.

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Un groupe d’hommes survivants d’un événement tragique pendant lequel leur maître s’est fait tuer, décide de se venger des oppresseurs responsables de la mort de cet honorable homme en mettant au point un plan, brûler Edo. Ces hommes agissent en plein milieu d’une bataille pour le marché du pétrole.

Pendant plus de la moitié du film, on se passera de Nemuri Kyoshiro, relégué au simple rang d’un spectateur discret. Les véritables enjeux du film sont montrés avec leurs principaux intéressés, on découvre donc des revendeurs de pétrole confronté à un homme malin, Aizen, qui les bouscule et provoque, non sans raison puisqu’il est à la tête du fameux plan visant à faire brûler Edo. En fait cette histoire permet de montrer une société en pleine évolution sur fond de vengeance délirante. Les symboles traditionnels changent. Le pétrole prend de plus en plus d’importance à cette époque, il devient un enjeu économique qui peut faire le bonheur de ses propriétaires. Mais même si le produit encore brut n’est pas totalement maîtrisé, il attise les intérêts de tous, qui ont bien compris la possibilité de s’enrichir avec ce produit facilement camouflable. L’influence occidentale se fait aussi ressentir par la présence des armes à feu.

Que devient alors Kyoshiro ? Il est passif et discret, écoutant volontiers les ragots rapportés par un coiffeur. Et lorsqu’il croise les quelques personnages principaux du film, il cesse d’exister symboliquement. C’est à ce moment-là qu’on comprend que Misumi est conscient de l’instabilité de ce personnage, comme Akira Inoue l’avait fait pour le septième épisode, Misumi va clairement faire ressortir l’impossibilité pour Nemuri Kyoshiro d’être Nemuri Kyoshiro. En effet, notre rônin ressemble fortement au maître, coeur de la vengeance des individus, c’est donc sans peine qu’on le prend pour un revenant. Triste dilemme pour un sabreur de son niveau que d’être pris pour un mort ! Il ne reste pas très longtemps dans cette position, qui tout au plus l’intrigue, en allant s’affirmant lors d’un combat au clair de lune, véritable renaissance du rônin à tous les niveaux. Tout le monde comprend qu’il n’est pas le tellement recherché et vanté maître, et il reprend une place presque centrale dans l’action du film. Il n’y avait pas plus belle façon de refaire vivre Kyoshiro que lors de ce combat sur un pont, illuminé par un croissant de lune, plaçant sa terrible technique. L’harmonie est parfaite, le rônin enfant de l’obscurité en position passagère, foudroie de son sabre ses adversaires, en étant nourri par la force de la lune. Le mythe est là.

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Alors pourquoi ne pas l’opposer à un double ? Raizo Ichikawa fait face à Shigeru Amachi, ce dernier incarne Aizen. Cet homme en pleine vengeance ressemble beaucoup au niveau du caractère à Kyoshiro, il est cynique et cruel et montrera dans ses derniers instants une flamme d’humanité, désignant bien un homme tout en nuance. Mais plus que tout, c’est son imitation de la technique de la pleine lune, parfaitement maîtrisé qui vient consolider l’idée d’un double. On avait déjà vu des adversaires s’essayer à la technique mais sans succès, Kyoshiro restait imperturbable et confiant. Aizen est un miroir complètement japonais de notre rônin au physique plus ambigu, et c’est peut-être le fait que ce soit un homme aux origines précises et « saines » qui donne l’idée au scénariste de le pervertir en lui mettant entre les mains un pistolet tandis que Kyoshiro reste fidèle à lui-même, armé de sa magnifique lame. De cette façon, nous revenons aux doutes du début de la série via un regard ironique. Puisque c’est l’homme sans passé qui incarne l’un des extrêmes de la culture japonaise et un homme bien ancré dans cette culture qui montre son intérêt pour l’influence occidentale. Opposition intéressante ne pouvant que déboucher à la réaffirmation de la personnalité de Kyoshiro. Après tout ça, on remarque un dernier chamboulement. La femme d’habitude à tous les niveaux de l’action est réduite à l’image d’un être faible possédée par un désir de vengeance. Ce statut sommaire permet de replacer la femme dans un rôle plus primordiale qu’une traîtresse ou une prostituée, en effet aux yeux de Kyoshiro elle lui rappelle sa mère. On continue parfaitement dans la volonté de remise en place du rônin. N’ayant pas connu sa mère, il éprouve un profond respect pour les femmes qu’il défend. Il lui arrivera même de dire à cette femme qu’elle n’est pas faite pour avoir du sang sur les mains. Venant de Kyoshiro, c’est un discours protecteur très surprenant qui révèle avec finesse ses sentiments.

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Ce huitième épisode bien que prometteur et intéressant n’est pourtant pas une réussite. Oui, Misumi redéfinie Kyoshiro tel qu’on pouvait le concevoir, mais son histoire traîne en longueur, pour un film de 79 minutes il est surprenant d’en arriver à s’ennuyer sur les bords attendant finalement la rencontre entre les doubles plus qu’autre chose. On peut aussi entendre que le travail d’Akira Ifukube a séduit devenant pour l’heure le thème musical de la série, on entendra d’ailleurs sa composition régulièrement durant l’épisode. Et au niveau de la mise en scène Misumi fait du bon travail, c’est propre et beau, sans être particulièrement incroyable ou oser comme Akira Inoue et son septième épisode. Il arrive néanmoins à créer des scènes anthologiques comme celle du pont ou encore le final avec un Kyoshiro impuissant. Le véritable regret se situe donc du côté du scénario, trop faiblard pour tenir parfaitement la durée du film. Dessinant un personnage moins ouvertement expressif, ce film peut nous redonner confiance, rarement le rônin se sera montré sous des traits aussi nuancé sans perdre en attrait.

 

Michaël Stern (Wild Grounds)