. Nemuri Kyoshiro 9 : A Trail of Traps
 
Titre original:
Nemuri Kyoshiro - Burai-hikae masho no hada
   
Réalisateur:
IKEHIRO Kazuo
Année:
1967
Studio:
Daiei
Genre:
Jidai-geki
Avec:
ICHIKAWA Raizo
KANEKO Nobuo
KIMURA Toshio
WANIBUCHI Haruko
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Quotidien d'un rônin cynique

Nemuri Kyoshiro est une figure instable, prenant à chaque épisode une nouvelle direction. Depuis quelques films, les réalisateurs successifs semblent remettrent en cause cette instabilité afin de trouver finalement des repères sur lesquels le personnage pourra se construire solidement. Et dans la continuité du travail de Misumi sur l’épisode précédent, recréation du mythe, ce film parvient enfin à trouver une formule correcte où le rônin bâtard décomplexé peut évoluer dans son univers. D’entrée, toutes les facettes du personnage sont posées. De sa naissance trouble à son comportement cynique, le rônin quelconque se transforme en véritable Nemuri Kyoshiro. Qui est-il ? Le fruit du viol d’une japonaise par un missionnaire portugais, un métisse au visage androgyne, une bizarrerie aux yeux de tous. Pour ces raisons, il se sait maudit, forcé à errer, il est exclu d’une société pour sa différence. Puisqu’en dehors des règles de la société, l’homme ne cultive aucune croyance, et ne connaît pas l’espérance ni même la morale. Toutes ces idées servent la conscience des pauvres humains, elles leur offrent de quoi se rassurer pour vivre.

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Inutile donc de lui parler de ses origines ou de vouloir le prendre par les sentiments, ces motifs n’ont aucune prise sur son esprit. Au mieux, il se laisse guider par sa curiosité sans vraiment rien attendre. Difficile d’attirer l’intérêt de ce rônin, qui reconnu pour sa force reste demandé par de nombreux samouraïs en détresse. Alors l’unique chance de voir l’homme accepter de leur venir en aide, c’est de lui fournir en échange de ce qu’il désir. Et rônin bâtard ou non, il est avant tout un homme qui savoure les femmes. Attention, son cynisme détruit toute forme de romantisme, la femme n’est qu’un objet sexuel, un passe temps pour le rônin. Dans cet épisode, Kyoshiro décide de se rendre à Kyoto pour transporter une statuette religieuse et voir s’il a vraiment une sœur mourante, comme lui a dit une informatrice. En parallèle, il est pourchassé par une secte religieuse qui aimerait bien mettre la main sur cette fameuse statuette. La religion se place au cœur du film, elle est envisagée sous trois angles différents. Celle d’un commerçant pour lequel le rônin travaille, celle d’une secte et finalement la vision de Kyoshiro.

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La statuette de la Sainte Vierge représente un héritage, une pièce unique qui rappelle la présence de chrétiens au Japon et leurs combats pour se faire accepter. D’ailleurs, le nom de Amakusa Shiro est mentionné en référence à l’histoire des chrétiens japonais. Mais qui parle de pièce unique, parle d’une somme d’argent intéressante. Un héritage est synonyme d’argent, rien de spirituel là dedans. Pour la secte, la statuette ne représente rien de plus qu’un bien important à voler pour déjouer les tours d’un ennemi. Ce n’est qu’un objet sans importance. Mais l’intérêt de ce groupuscule, c’est son rapport à dieu. Le chef a pratiquement la même origine que Kyoshiro, à la différence qu’il a décidé de vouer son existence au culte d’un dieu de l’enfer quand le rônin erre avec indifférence dans le monde des vivants.

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Un dieu de l’enfer ? Ne serait pas un moyen d’entraîner d’autres personnes dans une haine ? En fait, le chef exploite un filon pour régner sur cette secte, là encore, il n’y a rien de spirituel. La synthèse de ces deux visions est faite par le rônin bâtard. Comme il le dit, dans ce monde ce n’est pas un dieu qui a crée l’homme, c’est l’inverse. On retrouve bien le cynisme de Kyoshiro, ramenant tout à un niveau terre-à-terre où la magie mystique n’est qu’une création humaine exploitée pour soumettre des individus. La religion devient alors un motif d’enrichissement et de pouvoir, elle viole les esprits pour tirer avantage. Kyoshiro est l’enfant de ce rapport.

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En utilisant ces diverses idées, le film offre une cohérence rarement vue au sein de la série. Ici, il est question de la religion, du cynisme des hommes avec un Kyoshiro en forme et fidèle à ce qu’il aurait dû être plus souvent. Preuve de ce changement, sa technique mortelle est réservée au grand adversaire de cette histoire, et non plus n’importe quand. L’intrigue prend même un côté ludique dès que les personnages partent en direction de Kyoto, avec une secte ayant parsemé tout au long du chemin des pièges que devra déjouer le rônin bâtard. C’est aussi l’occasion de voir Kyoshiro parcourir des paysages somptueux et variés, foret de bambous, montagnes… Le tout filmé par un Kazuo Ikehiro toujours à la recherche d’idées visuelles avec quelques compositions magnifiques, un spectacle de qualité pour les yeux.

 

Michaël Stern (Wild Grounds)