.Oh! Bomb
 
Titre original:
Aa! Bakudan
   
Réalisateur:
OKAMOTO Kihachi
Année:
1964
Studio:
Toho
Genre:
Comédie

Avec:
ITO Yunosuke

NAKAYA Ichiyo
SAWAMURA Ikio
AMAMOTO Eisei

 dre

Oh! Swing

Un yakuza sur le déclin et son jeune associé sortent de prison et retrouvent leur liberté après trois ans de peine. Ils se trouvent alors confronté à un homme briguant un mandat de maire lors des élections municipales qui battent leur plein. Excédés par le candidat, ils décident de substituer son stylo fétiche par un autre cachant une bombe miniaturisée en son sein. Malheureusement, la substitution effectuée se révélera plus problématique que prévue …

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Plus habitué à associer le nom de Cornell Woolrich aux scénarii d’un Alfred Hitchcock ou François Truffaud, l’adaptation de sa nouvelle Le Stylo se révèle plus surprenante dans le cadre d’une comédie initiée par le studio de la Toho. En effet sous l’impulsion d’Okamoto, Oh! Bomb se trouve devenir une adaptation libre réservant une relecture thématique et stylistique remarquables. Si Sword of Doom nous renseignait sur la nature nihiliste du cinéaste, Kill et son regard sur la condition du samourai venait préciser cette orientation sous le jour de l’ironie désabusée et du cynisme grinçant. Une veine comique qui se dévoile littéralement dans Oh! Bomb, un film inclassable qui sous ses atours commerciaux offre une peinture au vitriol du petit monde politique japonais par le prisme de la comédie musicale délurée … et expérimentale.

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La comédie selon Okamoto ne repose pas sur du comique de situation au sens traditionnel du terme. En effet, le scénario aurait très bien pu être transposé sur un canevas de film noir à suspense sans y pâtir. Par sa propension à construire sa propre grammaire ludique, la mise en scène devient le sujet principal du film en ce sens qu’elle impose le décalage, l’élément de surprise. En introduisant le sujet du regard et de l’interprétation subjective, Okamoto livre une vision fantasmée d’une société en plein agitation électorale qu’il choisit de faire virer vers l’absurde et le sur-réel. Un axe interprétatif auquel le personnage du vieux yakuza revanchard/double du cinéaste participe à plein menant littéralement le tempo du récit, et de par où ses hallucinations provoquent les transitions et enchaînements scéniques d’une oeuvre procédant par rebonds, par action/réaction au sein d’une escalade ne trouvant son terme que lors d’une conclusion où l’effet comique se mue en un révélateur désabusé. Seul élément ludique ayant ici véritablement trait à la comédie, l’inclusion de scènes musicales enlevées vient ajouter à la richesse rythmique d’un film dont la digression semble le maître mot.

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Un surréalisme ambiant fortement appuyé par des acteurs sur-expressifs, des nombreuses expérimentations visuelles et sonores ainsi qu’un montage désarçonnant aux transitions abruptes. Cadrant les phases-clés du récit par un narrateur kakubi, Okamoto fait s’entrechoquer la solennité théâtrale avec l’exubérance de la vie moderne. La brillante séquence d’introduction établi d’emblée cette dichotomie en mettant en parallèle le dénuement d’une cellule de prison avec l’austérité d’une scène de théâtre kabuki. Une longue mise en place dont de multiples autres digressions ‘à la mode kabuki’ viendront structurer le récit et faire office de contrepoint rythmique et ironique. Si Okamoto met en abîme la répétitivité mécanique de la vie de bureau lors des scènes musicales, il porte une regard beaucoup plus circonspect sur le monde des politiques. Au sein d’un film ‘populaire’, Okamoto parvient à sous-tendre habillement un discours critique en jouant sur les symboles. Du stylo (saboté) métaphore d’un programme démagogue, aux élections aux allures de grand bals populaires se finissant en violente rangée mêlée, Okamoto conclu cyniquement son film sur le triste constat d’opportunisme du milieu (le candidat que l’on croyait sans reproche est finalement tout aussi ‘pourri’ que ses prétendants assassins, et n’hésite pas à user sans le savoir des mêmes coup-bas). Une gravité intermittente qui se rappelle lorsque Okamoto évoque ses démons de la guerre lors d’une scène de peloton d’exécution ou d’explosion terroriste.

Véritable synthèse du style Okamoto où la maîtrise de l’élément rythmique est frappante, Oh! Bomb révèle une approche moderne et critique du médium cinématographique. Derrière une facture technique irréprochable et un sujet en apparence innocent  poignent et se confirment les éléments thématiques et stylistiques récurrents d’un vrai auteur. Une pierre angulaire de la filmographie d’Okamoto et un classique du cinéma japonais !

 

Martin Vieillot