.Okita le pourfendeur
 
Titre original:
Gendai yakuza: hito-kiri yota
   
Réalisateur:
Fukasaku Kinji
Année:
1972
Studio:
Toei
Genre:
Yakuza-eiga
Avec:
Sugawara Bunta
Ando Noboru
Hotowa Nobuko
Nagisa Mayumi
Koike Asao
 dre
Yakuza moderne

Kinji Fukasaku réalise ce sixième et avant-dernier volet de la série Gendai Yakuza - Modern Yakuza, dont les épisodes n'avaient pour seul lien que l'intrigue sommaire d'un yakuza anarchique s'opposant à d'autres gangs et la présence de Bunta Sugawara en tête d'affiche.

A sa sortie de prison, la tête brûlé Okita va semer le désordre dans la ville. Avec quelques amis, il va s'attaquer sans but précis apparent à des membres d'autres clans. Se retrouvant finalement en mauvaise posture, la bande de loubards est prise sous l'aile protectrice du chef de clan Yano. Ce dernier tente de refreiner la fougue d'Okita et de lui inculquer les codes moraux de la loi tacite yakuza ; mais un homme ne change pas en un seul jour…

Okita est un yakuza eiga efficace, mais ne constitue qu'une œuvre mineure dans la filmographie de Fukasaku. La faute en revient à un scénario somme toute basique et par trop linéaire, qui ne permet pas au réalisateur d'aborder de manière efficace ses thèmes de prédilection, ni de renouveler les codes du genre. Fukasaku ne dépeint pas cette fois le décalage entre un yakuza et la société ayant évolué durant son séjour en prison, mais se place du côté de celui qui renie ouvertement le code moral yakuza (encore) en place. Le personnage d'Okita est un jeune homme effronté, n'ayant cure des règles établies et n'en faisant qu'à sa tête. Ses actions semblent très peu réfléchies, ne servant qu'à provoquer les choses pour parer par la suite. Il ne doit finalement son salut que par l'intervention de la figure paternelle du boss Yato, qui tente de lui inculquer la discipline nécessaire pour faire quelque chose de sa vie. Okita rejette bien évidemment son mentor, n'ayant eu aucune éducation (mère prostituée ; père absent), n'ayant pas l'habitude de se soumettre à une quelconque autorité et manquant également d'intelligence pour faire la part des choses.

Sa date d'anniversaire est symbolique de son état de fait et seule allusion au thème de prédilection de son réalisateur : il est né le 15/08/1945, date officielle à laquelle de la défaite du Japon lors de la Seconde Guerre Mondiale. Fukasaku a toujours dénoncé la fin de la Guerre comme la pire chose, qui ait pu arriver à son pays ; l'occupation amenant le désordre et le chaos parmi une société perdue plutôt qu'une libération bénéfique. L'état de fait d'Okita est en cela comparable : sans repères, il crée et ne peut survivre que dans la chaos. Il habite dans des immeubles désaffectés, vit de petites affaires illégales et pousse sa fiancée à se prostituer - toutes les caractéristiques des couches de population décrites dans bon nombre de ses films. Ce désordre mental est amplifié par rapport à la période à laquelle se situe le film : les années 60's, période de confusion identitaire où le pays entre en pleine aire hippie et instabilité politique. Ce sont également les dernières années des codes moraux en vigueur dans le monde yakuza, avant que le semblant d'organisation et de respect mutuel des clans ne s'effondre sous des coups tordus et une certaine ''capitalisation'' des clans (chef yakuza menant les affaires sous couvert d'une identité de business men). Le personnage d'Okita est donc tel le funeste présage du chaos à venir et le rejet de son mentor voulant lui inculquer les codes moraux tel le refus à une obéissance parentale / traditionnelle / codifiée.

Contrairement à bon nombre d'autres de ses productions, Fukasaku ne développe pas du tout cet état de fait. Il se contente de l'effleurer et de se concentrer d'avantage sur les scènes de bagarre. Décrivant la (petite) grandeur et décadence de la tête brûlée Okita sur une période donnée assez courte, le scénario enchaîne une succession de bagarres de rue souvent sans autre motivation que le plaisir de se battre. Réalisés de manière réaliste en cadrant caméra à l'épaule et en lumières naturelle pour donner un meilleur cachet d'authenticité, les combats ne sont pas toujours lisibles et il est parfois difficile de cerner qui combat qui et pourquoi. Ainsi, le gang d'Okita provoque à un moment le gang des saleis, dont il ne sera plus du tout question par la suite.

Tout se concentre finalement sur la relation oscillant entre haine et amour d'Okita et de sa petite amie. Personnage récurrent dans la filmographie de Fukasaku, elle se prostitue après avoir été violée et mise à la rue quelques années plus tôt par le gang de son actuel fiancé. Esquisse embryonnaire de ce qui donnera plus tard le chef-d'œuvre de Fukasaku, Le Cimetière de la Morale, leur alchimie n'est pourtant pas assez développée pour toucher le spectateur. Ceci constitue d'ailleurs une autre limite du film, celle de ne pouvoir s'identifier à aucun des personnages, tous ramenés à un état humain brut, sans grande morale.

Respectant le thème imposé par la série des Gendai Yakuza que de montrer un yakuza en marge des autres clans et servant de véhicule au Clint Eastwood japonais, Bunta Sugawara, Fukasaku n'arrive pourtant pas à s'accaparer suffisamment du sujet pour en faire une œuvre personnelle. Reste, que son talent est indéniable, la réalisation se situant bien au-dessus du lot de bon nombre d'autres productions du même acabit ; mais le film est en -deçà du véritable potentiel créatif de Fukasaku.
 
Bastian Meiresonne