.L'approche de l'ombre de la nuit
 
Titre original:
Yoiyami Semareba
   
Réalisateur:
JISSOJI Akio
Année:
1969
Studio:
ATG
Genre:
Drame
Avec:
SAITO Ren
MITOME Yumiko
SHIMIZU Koji
HIURA Tsutomu
 dre
La jeune femme aux allumettes

Curieuse trajectoire que celle de Akio Jissoji. A l’instar de Nobuhiko Obayashi qui abandonna le champ de l’expérimental pour celui du cinéma commercial, Jissoji aura marié les sphères du cinéma d’auteur avec celles plus ludiques de la science-fiction enfantine. Ainsi il débute à la chaine TBS comme fidèle lieutenant de Eiji Tsuburaya, expert es-maquettes et monstres de latex , dans les séries Ultraman (1966), Ultra Seven et Operation : Mystery (1967). S’il garde jusqu'à sa mort une attache indéfectible envers le personnage culte de Ultraman et toute une culture du serial associée, le virage du cinéaste vers des univers auterisants ne cesse pourtant d’étonner. Reconnu pour la récurrence de ses cadrages extravagants, rien ne laissait présager que ce bagage technique ira murissant en se mêlant à des univers hermétiques fascinés par les traditions et la mythologie.

Galop inaugural de l’aspirant ‘auteur’ en cette année 1968, L'approche de l'ombre de la nuit se base sur un scénario de Nagisa Oshima et offre un fort contraste avec ses futures réalisations pour l’Art Theatre Guild. Originellement prévu pour une diffusion télévisée sur TV Tokyo, le moyen-métrage de Jissoji fut au final associé au Journal d’un voleur de Shinjuku au cours d’un double-programme centré sur la jeunesse vue par Oshima. Les thématiques traitées ici divergent donc radicalement de celles que Jissoji traitera plus tard,  et s’offrent à voir comme un reflet alternatif de son ‘grand-frère’ cinématographique.  Si dans Journal d’un voleur de Shinjuku, l’élément musical (personnage du chanteur) est digressif et constitutif d’une ‘expérience’; la structure de la bande-son toute entière pointe ici la dimension fondamentalement allégorique du récit, un huis-clos se calquant sur le titre d’une célèbre chanson populaire (le film conserve une unité de temps, en l’occurrence ici la nuit). Un motif sonore qui intervient à plusieurs reprises tel un gimmick ironique auquel s’ajoutent des chants estudiantins mélancoliques s’invitant dans les moments vitaux. Dans un élan schizophrène, L’approche de l' ombre de la nuit marie ainsi la tonalité d’une farce désillusionnée  à un traitement sec et linéaire d’un huis-clos tournant au jeu tragique. Pointant le sentiment d’abandon de toute une génération, le pitch fait en effet muer une journée de glande en défi mortel et absurde où calfeutrés dans une chambre minable, quatre étudiants testeront leur résistance au gaz domestique  envahissant progressivement la pièce.

Si la mise en place du canevas s’opère de façon mécanique et caricaturale, le film trouve le ton juste lorsqu’il s’allège de deux protagonistes accessoires (ayant abandonné le jeu puis quitté la pièce). Un élagage progressif qui permet au dispositif de se focaliser vers une opposition bipolaire salvatrice, densifiant les enjeux et permettant à la mise en scène de se concentrer sur la mise sous tension d’un drame prenant les atours soudain d’un pur thriller sombre et confiné. Particularisme fondamental de cette œuvre mixte, les ressorts du suspense et de l’attente s’entremêlent à une allégorie sociale mise. Les moments de glande et débats futiles migrent donc vers un face-à-face existentiel où s’opposent deux visions de la vie. Masaki, jeune homme stable et confiant devant l’avenir ; et Jun, jeune femme pour qui le jeu agit comme un révélateur mortel de sa nullité et qui perd progressivement le sens des réalités pour finir par prendre ses amis en otage (elle menace de faire exploser la chambre si le jeu n’est pas mené à son terme). Autant de thèmes malheureusement traités sans grande finesse  et déclamés dans des monologues las, éternels stigmates d’un cinéma militant prisonnier de son époque,  et desservis par une direction d’acteurs inégale mise à nue par un dispositif théâtral minimaliste. Une austérité qu’on aurait aimé être confrontée aux célèbres effets de mise en scène du réalisateur, ici bien timides (contre-plongées peu accentuées, travelling absents, photographie N&B sans effets de contraste).

Pourtant L’approche de l'ombre de la nuit parvient à tenir le cap et emporter le morceau. Peut être à cause de  son faux air de film étudiant où approximations et moyens de fortunes s’effacent devant une fraicheur manifeste ? A moins que cela ne soit la touchante Yumiko Mitone, actrice principale ? Ou encore grâce à courte durée ici fort bienvenue ? Car s’il pâtit d’un scénario en définitive superficiel, Jissoji parvient à trouver un angle d'approche convaincant dans ses plages de silence paradoxalement plus éloquentes. Marchant (et échouant) par séquences, le film polymorphe brasse le ton romantique de l’ironie désillusionnée (convaincant recours à effets de musicalité) avec le traitement sec d’un état d’urgence où la tension est à fleur de peau (usage de gros plans et de l’obscurité pour déformer l’espace). Superbe scène toute en silence introspectif, la libération finale semble interroger les protagonistes (Vivant ? Oui, est ce vraiment une chance ?). Tout cela avant que de joyeux violons ne viennent recouvrir l’horizon tokyoïte (seul plan extérieur du film) qu’un panoramique optimiste embrasse lentement. Des contradictions et incertitudes à l’image même d’un projet peinant à trouver le regard juste ; non sans séduire son spectateur et témoigner de son époque.

 
Martin Vieillot