.Le Petit Garçon
 
Titre original:
Shonen
   
Réalisateur:
OSHIMA Nagisa
Année:
1969
Studio:
ATG
Genre:
Drame
Avec:
ABE Tetsuo
KOYAMA Akiko
KINOSHITA Tsuyoshi
WATANABE Fumio
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L'errance des oubliés

Le drapeau japonais est détourné, en son centre, le rouge flamboyant est remplacé par du noir. Cette couleur veut traduire une réalité sociale et économique du pays, elle montre un envers du décor bien loin d’une image traditionnelle où le bonheur et la joie peuvent culminer. Au cœur de cette société, il y a la cellule familiale qui transmet les bonnes valeurs, avec son père travailleur, sa mère femme au foyer et ses enfants écoliers par passion. En somme, un modèle parfait qui illumine le pays. C’est cette image trop belle qui sous l’impulsion de Oshima tourne soudainement au noir, devenant presque un cauchemar. La famille sort de son cliché, pour sa survie, elle prend le chemin de l’interdit et brave les règles de la société.

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Ici, la famille est anonyme, elle n’a pas vraiment d’existence et se trouve en pleine errance. Elle n’a ni identité, ni foyer pour vivre. À cela, vient s’ajouter le chômage, volontaire. Les parents ne travaillent pas, le père est un ancien soldat blessé à la guerre et la mère doit s’occuper du bébé. Pour eux, il n’y a plus qu’un moyen de survivre, c’est de mettre au point une arnaque consistant à faire croire aux automobilistes qu’ils ont renversé quelqu’un, en l’occurrence la mère. Évidemment, ils préfèrent verser un peu d’argent plutôt que d’aller rendre des comptes à la police. Par cette arnaque, la famille s’attaque indirectement à la société, elle exploite la limite d’une bonne conscience pour en faire son gagne-pain. Au fait, et l’enfant ? Il est celui qui doit subir cette situation, il ne peut pas aller à l’école et doit se résoudre à accepter sa solitude. On pourrait croire qu’il reste à cette famille le lien sacré de l’union, non même pas, ce sont avant tout des rapports de force imposés par cette situation que personne n’ose au départ remettre en cause. C’est pourquoi, la mère accepte de jouer la victime pour finalement laisser ce rôle à l’enfant.

Oshima offre à l’enfant la place central du film. D’ailleurs, tout au long de l’histoire, le réalisateur s’applique à montrer l’enfant seul au milieu d’un environnement urbain qui le domine et qu’il ne comprend pas. Après tout ce n’est qu’un enfant. Et pourtant, déjà à son âge son innocence n’existe plus, elle a été volé par des parents inconscients qui le traitent comme un adulte. Bien sûr, ce n’est qu’un enfant, et pour les parents il y a des avantages à cette situation. D’abord parce qu’il dépend totalement d’eux pour vivre, sans ces adultes il n’a ni argent, ni de quoi manger. Ensuite, l’enfant ne discute pas et fait confiance aux parents, si on lui demande de risquer sa vie pour le bien de la famille, il ne voit pas pourquoi il devrait refuser. Le problème c’est que cette responsabilité l’étouffe et l’empêche de se construire, il doit constamment subir la volonté de ses parents et s’y plier strictement. Il n’y a pas de place à l’amusement et aux copains, il faut vivre. L’enfant arrive quand même à trouver quelques rares moments de liberté pendant lesquels il se met à rêver de science fiction. Dans la même idée, il profitera quelques minutes d’une casquette offerte par la mère. Il la porte avec fierté, content de pouvoir posséder un bien qui lui est personnel. Mais ces moments seront toujours tranchés par la réalité imposée par un adulte.

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La place de l’enfant dans cette famille et dans cette société est superbement bien rendue par Oshima. La ville avec son trafic intempestif de voitures et ses signalisations omniprésentes, symbolise l’obligation, les règles à respecter. Pour l’enfant, ce milieu représente aussi la volonté des parents, le travail quotidien qui permet à la famille de survivre. C’est un monde adulte qui ne laisse pas de place à l’enfant. Du côté de la sphère familiale, l’enfant est mis en retrait de ses parents, il n’a pas le droit aux câlins et gentillesses de la mère ou du père, il y a toujours ou presque une distance entre eux. L’enfant est donc clairement rejeté de l’intimité familiale, il est pire qu’un étranger, il est tout simplement invisible. En recoupant toutes ces idées avec son travail, se faire volontairement renverser, on peut y voir sa tentative de prouver à tous qu’il existe. C’est dans ces rares moments qu’on va lui accorder de l’attention et de l’intérêt, même si pour ses parents ce n’est qu’une comédie, c’est ce qu’il recherche. D’ailleurs, il veut que cette situation se maintienne et ne parle jamais de sa douleur à son père, de peur de devoir perdre cet unique moyen d’expression. Et donc de devoir retourner à sa périphérie imposée. Mais même dans ces cas, l’enfant demeure enfoncer par la puissance du monde adulte, de la ville. Son existence est temporaire.

La pleine liberté, l’enfant va pouvoir la ressentir dans les passages d’évasions qui concordent avec un nouvel environnement, la nature. Dans le milieu naturel, il n’y a pas de bâtiments, ni de signalisations pour nuire à l’enfant. Même les parents s’effacent, normal puisqu’il n’y a rien à gagner à utiliser l’enfant dans un endroit sans voitures. Il est au centre de l’image et peut savourer pleinement le paysage, se comporter comme un véritable enfant mais aussi comme un grand frère. Il peut s’amuser avec son petit frère et lui raconter ses idées, c’est l’unique personne à qui il peut livrer son monde surnaturel, à défaut d’avoir un copain. L’élément naturel décisif sera la neige, si elle peut masquer les habitations elle ne fait que de mettre en avant les humains. Même sous la neige tombante, l’enfant est plus visible que jamais. En fait cette neige, c’est sa part d’innocence retrouvée, le seul élément avec lequel il peut jouer et construire quelque chose, exister. Mais il peut aussi détruire et s’affirmer pour la première fois du film sans risquer devoir subir une punition. La neige lui offre sa liberté, son évasion.

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Au sein de la famille, il est un spectateur regardant un couple se déchirer. Le père est violent et brutal, il n’aime pas trop discuter et préfère imposer sa vision des choses, c’est lui qui décide. Quant à la femme, elle gagne en importance et essaye maladroitement de s’intéresser à l’enfant. Par exemple, elle lui offre des cadeaux en guise de câlins. Mais surtout, la femme commence à savoir se dissocier de l’homme, ce qui est à l’origine des disputes. Elle veut rester libre de son corps et refuser ainsi un avortement, témoin d’une évolution des mœurs où l’homme apprend à rester à sa place. Le seul point commun aux parents, c’est leur sens de l’irresponsabilité par rapport à l’enfant. Pourtant, malgré un comportement pareil, l’enfant ne condamnera jamais rien, bons ou mauvais, misérables et détestables, ces adultes lui ont donné un goût du voyage et du rêve. Ils ont ouvert la porte de l’imagination chez un esprit contraint par une réalité trop brute. L’enfant victime d’un modèle déviant, d’une époque bâtarde, ne dit rien. Il se tait et rêve.

 

Michaël Stern (Wild Grounds)