.Une petite soeur pour l'été
 
Titre original:
Natsu no imoto
   
Réalisateur:
OSHIMA Nagisa
Année:
1972
Studio:
ATG
Genre:
Drame
Avec:
KOMATSU Hosei
KURITA Hiromi
Lily
KOYAMA Akiko
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Sous la plage ...

Après l’aboutissement artistique de La Cérémonie en 1971, Nagisa Oshima s’oriente l’année suivante vers des horizons plus aérés et inattendus. Ainsi les traditionnels dispositifs claustrophobes du cinéaste laissent place à un récit en forme road-movie existentiel se déroulant dans le cadre atypique de l’ile d’Okinawa. Film mineur rarement exhibé en Occident, Une petite pour sœur pour l’été est pourtant digne d’intérêt et laisse apparaitre un visage différent de l’auteur où des procédés scéniques inédits et une tonalité (faussement) légère l’inscrivent comme une étrange œuvre de transition. Une période charnière à mettre en parallèle avec le retour d’Oshima dans le giron de la télévision pour laquelle il consacre désormais ses efforts, tournant et scénarisant neufs documentaires entre 1972 et 1976, année de la sortie de L’Empire des sens, son prochain long-métrage produit dans des conditions extra-ordinaires.

Toujours intimement impliqué par l’évolution de la société japonaise,  Oshima aborde le sujet du retour sous contrôle japonais de l’ile d’Okinawa , auparavant administrée par les forces d’occupation américaines depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Un sujet politique brulant dont l’approche est traitée sous un angle métaphorique surprenant, l’auteur abandonnant la ‘Grande Histoire’ au profit de l’évocation intime  du clivage continent/province et doublant son récit d’une réflexion plus globale sur la notion du souvenir à l’âge adulte.  A l’image du parcours de ses protagonistes, Une petite sœur pour l’été se conçoit avant tout comme une ‘expérience’, une évocation libre et sensorielle d’une situation que le cinéaste viendra napper d’ambigüité.

Cette ‘petite sœur’ du titre réfère à Sunaoko, charmante jeune femme partie en excursion touristique à Okinawa en compagnie de la maitresse de son père. Un déplacement motivé par la révélation soudaine  de l’existence d’un demi-frère, une part cachée d’elle-même que Sunaoko envisage coûte que coûte de rencontrer. Un récit servant métaphore évidente à l’histoire contemporaine mouvementée d’un Japon redécouvrant une part mystérieuse de son identité. Si Oshima affirmait que le propos du film était clair, ses parti-pris narratifs semblent le contredire tant la trame générale vient s’encombrer de sous-intrigues et personnages  satellites dont on ne sait très bien décoder la finalité. Manifestement artificiels, voir parodiques, certaines postures ou rebonds scénaristiques s’entremêlent et contrastent avec le sérieux et la sobriété de la thématique de cette quête intime .  On y trouvera là  sources autant d’agacement que de fascination pour un projet dont la vraie ambition semble être l’évocation mystérieuse, fragile et ambiguë du ressenti de ce voyage  particulier.

Oeuvre fondamentalement expérimentale, Une petite sœur pour l’été dénote par son recours à une camera-épaule en constant mouvement et chaos. Prenant les airs de faux de films de vacances, l’approximation de cadrages mouvants, d’un montage sec  et d’une photographie brute viennent directement retranscrire l’état émotionnel ambigu de ses personnages ; apportant au récit banal toute une part tension, de mystère et d’incertitude. Des moments ‘creux’ qui constituent une part prépondérante dans le propos méditatif, voir ces nombreuses séquences appuyant l’errance et le détachement de personnages invariablement en mode ralenti.  On y partage ainsi des déambulations nocturnes dans la ville tranquille ; des échappées au grand air sur ces lieux chargés d’histoires. Étonnamment la composante sexuelle n’y tient qu’un rôle mineur, les personnages enfermés dans leur monde semblant y  faire l’apologie de la ‘glande’ ; un relâchement qu’Oshima manifeste ironiquement par  une abondance de séquences où clopes et alcool ont le beau rôle. Une ambiance ‘flottante’ qu’appuie la dimension musicale prépondérante, le film regorgeant de ‘digressions intimes’ lorsque ces personnages se laissent aller à chanter leurs états d’âme, des chansons traçant une sorte de fil rouge entre  toutes ces entités.

Construit autour de la quête de Sunaoko cherchant désespérément une part d’elle-même, Une petite sœur pour l’été  se distingue finalement plus par sa structure fragmentaire atypique accumulant dans le désordre des bouts d’existence anodins de personnages hétéroclites. Une divagation prenant des allures de réflexion ouverte sur les relations entre le Japon et l’ile débouchant progressivement sur l’évocation du fossé entre tradition et modernité, Sunaoko et son frère faisant office de révélateur. Oshima laisse percevoir ce fossé béant d’un monde adulte étrangement absent comme hanté par ses souvenirs et ses compromissions. Sous ses airs apaisés, ce petit monde ne s’en comporte pas moins comme révélateur intermittent d’une violence morale bien présente. On y trouve pêle-mêle l’évocation des stigmates de la guerre, d’adultères passés et autres renoncements forgeant l’identité de personnages passifs abimés par le temps. Sur une trame en apparence légère, le film joue en effet en permanence du mode ambivalent, laissant transparaitre la permanence d’une violence et d’une corruption morale  de la société japonaise. A l’image de cette étrange réunion rituelle rassemblant tous les personnages pour une non-explication finale (Sunaoko a-t-elle vraiment un frère ?) et une pirouette finale en porte-à-faux avec l’apparent calme des protagonistes.

Si cette œuvre délibérément ambigüe souffre de maniérisme godardien et autres poses auteurisantes agaçantes, la composition des acteurs propose une palette subtile et nuancée d’émotions humaines épaississant l’approche théorique du sujet. Par sa mise en abime, son détachement et son irrésolution, Une petite sœur pour l’été constitue comme une porte d’entrée alternative à l’univers du cinéaste. Et de se demander ce qu’il adviendra de la fraicheur de la jeune Sunaoko dans cette société dirigée par des adultes absents d’eux-mêmes.

 
Martin Vieillot