.Pornostar
 
Titre original:
Poruno suta
   
Réalisateur:
TOYODA Toshiaki
Année:
1998
Studio:
Little More Co
Genre:
Yakuza-eiga
Avec:
CHIHARA Koji
OZAWA Rin
SUGIMOTO Tetta
MARO Akaji
 dre
Arano, le jeune pourfendeur

Pour ses débuts derrière la caméra, le réalisateur Toshiaki TOYODA s'intéresse à la jeunesse perdue du quartier de Shibuya à Tokyo. Largement inspiré des yakuza eiga pessimistes de Fukasaku, le destin tragique du jeune protagoniste principal constitue un premier essai aussi inabouti qu'interressant.

Le marginal Arano semble détester profondément les yakuzas. S'attaquant à eux sans réel but précis, il rejoint le groupe mené par Kamijo. Jeunes aspirants de la pègre, ces derniers réussissent à manipuler le nouveau venu pour se débarrasser d'un concurrent dérangeant ; mais les débordements physiques incontrôlables d'Arano leur valent bientôt de sérieux ennuis.

Toshiaki TOYODA n'était pas réellement prédestiné au métier de réalisateur. Champion junior du shogi (jeu d'échecs), il délaisse finalement une carrière toute tracée pour travailler dans la société de production responsable du financement des films de Juni SAKAMOTO, dont le métrage Knockout l'a profondément marqué. Après avoir eu la chance de pouvoir écrire le scénario de Ote / Checkmate pour son idole, il réussit à réunir un budget dérisoire pour réaliser son propre premier long métrage : Pornostar. Réalisé avec des bouts de ficelles et tourné dans les quartiers chauds de Shibuya sans aucune autorisation, son film obtiendra la précieuse récompense du meilleur réalisateur débutant par la Japanese Directors Guild et sera un relatif succès dans le milieu underground et dans de nombreux festivals internationaux, lui permettant de continuer à tourner d'autres films. Le sujet de Pornostar lui est venu en observant déambuler la jeunesse dans Shibuya. Quartier construit en 1947, il est devenu très populaire au cours de ces dernières trente années. Abritant d'importants centres commerciaux et pelletée de magasins de mode, d'autres rues regorgent de maisons de joie et sont assidûment fréquentées par la pègre de Tokyo. Centre bouillonnant de la jeunesse tokyoïte branchée, il aura inspiré bon nombre de réalisateurs au cours de ces dernières années.

Comme beaucoup d'autres cinéastes, TOYODA est intrigué par le désœuvrement actuel des adolescents japonais. Peut-être plus proche de par son âge (il est né en 1968) des tendances contemporaines, il tente de brosser un portrait assez juste, tout en prenant le parti d'une forte abnégation. Véritable microcosme au sein du quartier, enfants et adolescents pullulent au milieu d'un quartier quasi vidé de tout adulte ; seul un chef de clan fait office de figure autoritaire forcément négative de par son statut. Arano évolue au sein d'un groupe de yakuzas en herbe, se frotte à une jeune bande de trafiquants de narcotiques et finit face à la ''jeunesse yakuza'' munie de battes de base-ball, prête à défendre leur quartier et prendre leur revanche sur une offense commise plus tôt dans le film. Nulle trace d'une autorité quelconque et même les seuls jeunes semblant plus ''normaux'' passent leur temps sur leur skate-board au lieu d'être en cours

Arano semble marginalisé au milieu de cet univers. Débarquant de nulle part en début du film - son apparition au milieu d'une foule dense semble autant indiquer sa provenance d'un milieu civilisé, tout comme il augure sa présence malveillante parmi une société anonyme) - il voue une littérale haine envers les yakuzas. L'origine de son dépit ne sera jamais connue, mais elle lui fait emprunter une voie sans but dans la froide exécution sommaire et hasardeuse de tout membre appartenant à la pègre. Entre autisme et folie, son caractère et ses motivations resteront secrets jusque dans son dénouement tragique. En cela, le film de TOYODA ressemble fortement à quelques œuvres phares de Kinji FUKASAKU (notamment sa série des Gendai Yakuza) réalisées quelques quarante ans auparavant, où un jeune chien fougueux mettait le monde de la pègre sens dessous-dessus par ses méthodes expéditives apparemment sans but ; à la différence, que le personnage d'Arano manque de la fougue et de la rage de vivre (le présent) de ses illustres modèles. Apathique, il semble se laisser flotter au gré des événements, ne sortant de son état léthargique que pour opérer un changement drastique dans la suite des choses. Rejetant le mode de vie yakuza, sa description en est d'autant plus terrifiante, qu'il serait donc de ''l'autre côté'', du côté des ''bons''…Le résultat d'une jeunesse totalement désœuvrée, qui ne saurait pas vers où elle va, qui n'aurait plus de but ; totalement vidée de toute émotion, ne connaissant plus de douleurs (Arano encaisse les coups et blessures sans brancher), ni aucun sentiment de remords ou de culpabilité (il tue de sang-froid, dont le moment de la mort par couteau du principal rival de Kamijo constitue l'apogée absolument terrifiante).

Vision pessimiste absolument déprimante, faire jouer à des adolescents une histoire de yakuza eiga assez classique est en soi assez intéressante ; d'autant que Toyoda fait preuve d'une bonne maîtrise de mise en scène et de direction de ses acteurs dès son premier long métrage. En revanche, l'intrigue reste trop mince et les motivations trop sommaires. Préserver le côté mystérieux et inattendu de son personnage principal Arano vaut mieux que des lourdes explications démonstratives ou un scénario linéaire trop classique ; en même temps, TOYODA oublie de créer un quelconque enjeu. En agissant de la sorte, Arano a tôt fait de se mettre tout le monde sur son petit dos, mais même la revanche de la petite amie d'un des deux trafiquants de stupéfiants n'est que sommairement esquissé et brutalement désamorcée. Comme s'il avait voulu imiter le style de vie de son personnage principal, TOYODA semble avancer sans savoir ce qu'il filmera ensuite, ni comment aboutir le tout. Ce manque d'une construction narrative suffisante fait donc cruellement défaut à une production autrement sympathique et prometteuse. La suite de sa filmographie confirme d'ailleurs son talent certain : l'adaptation du manga Blue Spring ou le magnifique 9 Souls ont depuis su asseoir son statut de jeune réalisateur prometteur.

Réalisé avec un budget dérisoire et animé d'une folle envie de tourner, Pornostar réussit à être un premier long métrage prometteur et concluant. Seule une mise en scène parfois trop branchée et démonstrative, ainsi que le manque d'un véritable scénario construit ne transforment pas l'essai en un coup de maître.

 
Bastian Meiresonne