Titre
original:
Boryuku-Gaļ |
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Réalisateur:
GOSHA Hideo |
Année: 1974 |
Studio: Tpeo Genre: Yakuza-eiga |
Avec:
ANDO Noboru KOBAYASHI Akira
SUGAWARA Bunta TAMBA Tetsuro |
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Un Monde de Violence et de Haine… (Réplique finale de La Fureur du Dragon)
Après avoir tourné Trois Samouraï Hors-la-loi (1963) et Sword of the Beast (1965), Hideo Gosha tourne quatre films : le diptyque Samouraï Wolf (tourné pour les avant-programmes des longs-métrages de la Toeï tout comme les premières séries de Fukasaku telles Le Détective Vagabond et L’Homme au drôle de Chapeau), Samouraï sans Honneur, sa version du héros Sazen Tange, et puis sa première infidélité au Chambara ; Le Sang du Damné (Gohiki no shinshi), premier film avec Tatsuya Nakadaï, première collaboration avec le compositeur Masaru Sato et surtout, premier polar. Film melvillien tourné en noir/blanc dont l’histoire inspirera à Miike son Dead or Alive 2 : Birds (un tueur à gages apprend que son contrat a déjà été exécuté), il le définira de la manière suivante : "Nous vivons une époque où les hommes ne peuvent plus se faire confiance mutuellement. Je voulais exprimer ce fait à travers un film à suspense. Mais, même dans les moments les plus brutaux du film, j'ai voulu inclure un certain sentiment poétique pour en faire avant tout un divertissement"*. Il devra attendre 1971 (et deux chefs d’œuvres crépusculaires du Chambara tournés en 1969, Goyokin et Tenchu) pour tourner un autre film noir, Les Loups, toujours avec Nakadaï, mais cette fois, il vise le Ninkyô (La Vie d’un Tatoué, Les Fleurs et les Vagues, tous deux de Suzuki ou encore Le Théâtre de la Vie, et surtout les films de Makino). Puis, en 1974, il revient à la Toeï pour tourner le dernier volet de ce que l’on peut considérer comme une trilogie yakuza : Quartier Violent, son film le plus violent, le plus nihiliste et le plus sordide.
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Egawa (Noboru Ando) a quitté le clan de l’Ouest après avoir purgé une peine de prison et que sa compagne ait dû épouser son oyabun. Il a reçu en compensation le bar "le Madrid" dans la quartier de Ginza dans le centre de Tokyo. Il vit tranquillement (enfin relativement, car ses anciens associés veulent récupérer le terrain, point stratégique) quand un jour ses anciens hommes kidnappent Minami une jeune idole et la tue accidentellement. Une occasion en or pour le gang (devenu société légale) de déloger Egawa de gré ou de force au profit de l’alliance de l’Est. Après avoir vu ses amis, son ex-compagne et ses frères de sangs tués, Egawa décide de prendre les armes…
Attention, ceux qui s’attendent à un gang composé de Noboru Ando, Bunta Sugawara, Tetsuro Tanba et Akira Kobayashi se mettent ici le doigt dans l’œil. Tetsuro Tanba n’apparaît que dans deux scènes et Sugawara n’est présent que le temps d’une fusillade. Le duel se joue donc principalement entre Ando et Kobayashi (voir l’excellente scène dans le bar où ils discutent en faisant des trous sur la nappe avec leurs cigarettes), deux anciens amis qui n’auront même pas le luxe de s’entretuer (d’autres le feront pour eux à la fin). La réunion Tatsuya Nakadaï/Shintaro Katsu/Yukio Mishima/Yujirô Ishihara dans Tenchu était beaucoup plus aboutie. Mais ne faisons pas la fine bouche et reconnaissons à Ando une belle implication (il ne JOUE pas mais INCARNE le Yakuza). Le jeu d’acteur qui est pour lui un moyen de se repentir des erreurs passées, en quelque sorte une thérapie par le jeu (quelque part il incarne ce qu’il aurait pu être si il n’avait pas décroché du grand banditisme). Kobayashi est excellent dans un rôle à mi-chemin entre le caïd violent du Le Territoire du Sang Versé et le yakuza arriviste de la série des Combat sans Code d’Honneur. Tanba, pour le peu qu’on le voit, incarne brillamment un oyabun qui pour faire la paix, incite à la guerre. Et enfin Sugawara dans un rôle ressemblant énormément à Okita, celui d’un gangster atteint de cool-attitude, qui supplie son ami Ando de le laisser participer à la fusillade qui se prépare sous peine de ne pas lui fournir les armes nécessaires. Un homme qui pendant les fusillades passe la plupart du temps à écouter de la musique au casque tout en tuant ses ennemis. Une fois le massacre achevé, il repart comme si de rien était… un personnage inattendu donc.
"Je laisse les vermines s’entretuer !" (Asao Koïke à la fin du film)
Cette phrase finale est le constat nihiliste de la dérive des Yakuza. Ce ne sont plus les samouraïs romantiques et chevaleresques du ninkyô mais plutôt des hommes d’affaires avides. Pour laisser la place au business, les hommes d’action d’antan, ceux qui faisaient le sale boulot pour leur oyabun, doivent maintenant mourir. Une tonalité noire qu’on peut rapprocher des thématiques explorées par Peckinpah.
L’usage de la musique dénote d’une approche aussi atypique que réussie. La présence du flamenco dans un yakuza-eiga surprend et met en avant les passion exacerbées qui parcourent le film (l’amour de la serveuse alcoolique pour Egawa, l’attirance tragique d’un chimpira pour la jeune idole, des hommes de mains qui supplient leur aniki Ando de reprendre les armes…). La métaphore du film ("les Yakuza sont des chiens enragés") est ici magnifiquement illustrée par une fin très forte faisant écho à la scène d’introduction (le film commence et se termine sur les images de chiens enragés en cage)
Le gros défaut du film est en fait qu’il ressemble trop à du Fukasaku. On sent que si Gosha a tenu à remplir les cahiers des charges du genre, il n’est pas aussi à l’aise les jitsuroku (voir la scène de la négociation) que dans le film noir melvillien comme le montre Le Sang du Damné ou mieux encore, Les Loups (son polar le plus abouti). Autre défaut (qui est aussi une qualité pour les fans du genre, c’est selon) est sa noirceur quasi-insoutenable plutôt surprenante de la part d’un réalisateur certes habitué aux scènes gratinées mais pas d’un tel niveau de sordidité : voire les violentes ‘trouvailles’ comme une tueuse à mi-chemin entre Le Lézard Noir et Sasori, Egawa tuant un gangster à coups de bouteille (un ralenti qui s’accentue avec l’intensité des coups portés) ou encore la scène où Egawa "négocie" un prix pour un ennemi en déchirant les billets et en enfonçant dans le crâne de l’indélicat le pic à papier de l’addition et en éclatant un téléphone sur la tête d’un autre. Même démarche lors de la mort de Murota massacré parmi des mannequins (idée repris du Baiser du Tueur de Kubrick) et surtout lors de l’affrontement à mort dans l’animalerie où Ando se décidera enfin à reprendre les armes (en tuant la simili-sasori à coups très violents de rasoir).
En contrepoint le film contient aussi des séquences magnifiques comme les danses flamenco (une réminiscence du final de Goyokin), la scène de l’autopsie d’un des hommes d’Egawa (la sœur de la victime ne supporte pas que l’on appelle son frère par son statut (victime) et pas par son nom)ou encore les trop courtes retrouvailles entre Egawa et son ex-fiancée. La scène finale où Kobayashi parie son arme chargée avec Ando (une façon virile et guerrière de raviver leur amitié dans la mort) et surtout le massacre final dans le poulailler inspireront Kitano pour le final d’Aniki mon Frère.
Un excellent yakuza-eïga Peckinpesque et un efficace travail de "commande’’ mais malheureusement pas du niveau des meilleurs Gosha (Goyokin, Tenchu, Trois Samouraïs Hors-la-loi ou Portrait d’un Criminel) mais plutôt de celui des Samouraï Wolf ou HeatWave.
* : Extrait du catalogue de L’Etrange Festival 1997. |