.Les quatre cheminées
 
Titre original:
Entotsu no mieru basho
   
Réalisateur:
Gosho Heinosuke
Année:
1963
Studio:
ShinTohoi
Genre:
Shomin geki
Avec:
UEHARA Ken
TANAKA Kinuyo
AKUTAGAWA Hiroshi TAKAMINE Hideko

Réapprendre à vivre

Le cinéma japonais, déjà pas follement mainstream, semble ne pouvoir exister en Occident que sur  trois créneaux : le film de samouraï (l’effet Kurosawa), le film d’auteur austère (l’effet Ozu) et le film de genre barré (l’effet Tarantino). Sorti de là point de salut, comme le prouve le cas de Heinosuke Gosho, spécialiste de la comédie dramatique « normale » qui, même à une époque de spectaculaires rapprochements culturels, reste totalement inconnu de par chez nous. Ce qui est fort dommage à en juger par la qualité de son film le plus célèbre, Les quatre cheminées, primé à Berlin en 1953.

Le titre du film ne fait pas référence à un enjeu mais au contexte de l’histoire : les quatre cheminées d’une impressionnante usine faisant vivre une bonne partie de la région où elle est implantée, symbole d’un Japon alors en pleine reconstruction. La voix-off nous éclaire dès la première minute sur la particularité de ces quatre colonnes : selon le point de vue de l’observateur, seules trois, deux ou même une seule cheminée seront visibles. Sorti de l’amusante quoique limitée idée de mise en scène, ce principe va conditionner tout la marche du film : il va en effet être question de point de vue, non pas filmique mais social. Ainsi le personnage narrateur du début va se retrouver relégué au second plan en observateur quasi passif. Ce n’est pas ce jeune fonctionnaire à l’avenir plein de promesses que nous allons suivre mais leurs colocataires, Hiroko, une veuve de guerre toujours marquée par les épreuves qu’elle a subies, remariée à un modeste employé plein de bonne volonté, mais vivant dans la jalousie de ce conjoint disparu. Alors quand débarque un bébé accompagné d’un mot affirmant qu’il s’agit de l’enfant de Hiroko, les questions vont se faire innombrables, d’autant que le gosse est du genre braillard. Tourné 8 ans après la fin de la guerre, Les quatre cheminées se pose comme un film étonnamment joyeux, surtout si l’on part du principe qu’il s’agit d’un fleuron du shomin-geki, films réalistes attachés à la description de gens simples. Non pas que  le genre soit tragique en soi, mais on ne peut pas dire que cette époque de blessures à peine cicatrisées prêtait franchement à la rigolade (Godzilla sortira un an plus tard). On perçoit pourtant une énergie follement positive portée par un comique de situation jamais appuyé par des comédiens toujours crédibles, que ce soit les difficultés à s’occuper d’un enfant où l’étrange relation des colocataires Kenzo et Senko, décidant de leur amour à pierre papier ciseaux. S’il fallait trouver un équivalent moderne, on serait chez Pierre Salvadori, là où tout aurait pu pousser à lorgner du côté de Ken Loach.

C’est au total quatre visions du couple qui nous seront offertes, plus ou moins positives, plus ou moins tronquées, mais toutes porteuses d’espoir. Car Gosho est conscient de ses limites : issu d’une bourgeoisie confortable, il n’a sur le papier pas grand-chose à voir avec les gens « simples » dont il décrit l’existence, et s’impose un recul qui lui et nous empêche de juger définitivement les personnages, même les plus froids, même les plus pathétiques. Filmé dans un style discret mais ne s’interdisant pas de belles élégances, Les quatre cheminées est un film tourné vers l’avenir, mais sans optimisme béat,  pris entre l’ombre d’une usine terrassante de modernité et d’un nourrisson insupportablement attachant.

 
Fréderic Maffre