.Récit d'un propriétaire
 
Titre original:
Nagaya shinshiroku
   
Réalisateur:
Ozu Yasujiro
Année:
1947
Studio:
Shochiku
Genre:
Drame
Avec:
Aoki Hohi
Ozawa Eitaro
Kawamura Reikichi
Iida Choko
dre
Found and lost 

De retour de son internement en camp de prison à Singapour, Ozu retrouve les studios de la Shochiku à Ofuna pour tourner cette petite chronique urbaine de l'après-guerre. Comédie utopique éludant totalement les ravages subis après la défaite du Japon, la critique et le public s'en prennent violemment à la vision d'Ozu, qui finira par renier cette œuvre. Elle se place pourtant parmi ses films les plus abordables et poétiques de sa riche filmographie.

Une veuve bougonne recueille bon gré mal gré un petit garçon sans parents dans le Japon de l'après-guerre. Acariâtre et méchante, elle cherche par tous les moyens à se débarrasser de lui. Le jour, où l'enfant s'enfuit, elle se découvre pourtant un aspect maternel.

Envoyé à Singapour, occupé par les japonais, durant la Seconde Guerre Mondiale pour réaliser un documentaire sur l'indépendance de l'Inde, Ozu n'en tourne jamais le moindre mètre. En revanche, il passe son temps à regarder des métrages américains confisqués par les japonais et s'éprend de passion pour les films de Ford ou de Welles. Nul doute qu'il ait également eu l'occasion d'y découvrir les films de Chaplin, tant son Récit d'un propriétaire se réfère au thème développé dans The Kid. Tendre comédie sur la (fausse) relation mère-fils, Ozu aborde de front le difficile sort des enfants esseulés par la perte de leurs parents, mais élude savamment tous les autres problèmes liés à l'après-guerre. Mettant une nouvelle fois en scène les personnages d'un quartier populaire, il ne fait qu'effleurer leur dure condition de (sur-)vie : au contraire, bien que la pauvreté y soit visible (gens pauvrement vêtus, habitations primaires, nourriture rare et précieuse), Ozu ne s'attarde pas sur ces détails. Contrairement aux films néo-réalistes italiens, il évite également de filmer la ville réduite en ruines suite aux bombardements ou alors les met en scène de façon élégante à travers de jolies cadrages savamment étudiées.

Ces personnages gardent la tête haute, tirent le meilleur profit du peu qu'il leur reste et s'aident les uns les autres. Bien évidemment la débrouillardise est de mise, comme le prouve le jeu truqué du tirage de la paille pour savoir qui devra garder l'enfant ; mais règne une atmosphère de confiance et de support mutuel entre les gens L'enfant - magnifiquement dirigé - est le principal ressort comique et dramatique à la fois. Son destin d'orphelin est bien évidemment terrible et le sort que lui réserve la veuve bourrue n'est pas des plus enviables ; mais transpire dès le départ une réelle tendresse maternelle sous la surface rugueuse de la propriétaire, qui trouve son aboutissement dès lors de la fuite de l'enfant. Mère et fils pour un court instant, les deux êtres s'accommodent tout naturellement de leurs nouveaux rôles respectifs. La scène de la photo immortalise cet instant, mais par l'insert du tirage de la photo à l'envers, Ozu signifie l'absurde de la situation (la tête / le monde à l'envers) et du moment limité dans le temps.

Critiques et public reprochaient à Ozu d'avoir créé un microcosme utopiste loin de la réalité ; pourtant il a voulu donner une image optimiste et encourageante des conditions que tous savaient difficiles. Les derniers plans des enfants orphelins dans le parc prouvent d'ailleurs que le réalisateur n'était pas dupe et qu'il avait voulu traiter sur un ton humoristique un sujet réel autrement plus grave. A noter, que si Ozu s'est inspiré du cinéma américain, il a certainement inspiré des réalisateurs comme Kitano (A scene at the sea) et Antonioni (les inserts de la ville).
 
Bastian Meiresonne