.Ritual
 
Titre original:
Shiki-Jitsu
   
Réalisateur:
ANNO Hideaki
Année:
2000
Studio:
Studio Kajino Company
Genre:
Drame
Avec:
IWAI Shunji
FUJITANI Ayako
MURAKAMI Jun
OOTAKE Shinobu
 dre
Fol amour(ir)

Second long métrage ''live'' du réalisateur / mangaka (dessinateur de mangas) Hideako ANNO, le cinéaste revoit ses ambitions à la hausse. Si son premier était encore tourné en DV, ce second bénéficie d'un tournage professionnel en pellicule 35 mm et d'une véritable mise en scène. Fortement inspiré des cadrages architecturaux de l'anglais Peter Greenaway, l'intrigue lorgne plutôt du côté des essais indépendants et expérimentaux des films français du début des années '80s (Carax).

Un écrivain et apprenti réalisateur en panne d'inspiration rencontre une mystérieuse jeune femme. Intriguée par l'exécution de nombreux petits rituels quotidiens, il tente d'approcher l'inconnue apparemment dérangée par le biais d'une caméra vidéo.

Basée sur le récit Tohimu / Escapist Dream par l'actrice principale du présent film, Ayako FUJITANI - déjà aperçue dans plusieurs épisodes de la récente série des Gamera et fille du comédien Steven Seagal - ANNO traduit en images cet essai surréaliste en en changeant la fin. Pressé de revenir à la réalisation d'un long métrage ''live'' suite à son précédent Love & Pop, il réussit à convaincre les responsables de la fraîchement créée société de production Kajino (Casino) Company, filiale des studios Ghibli, de lui financer le projet. Production indépendante, il engage l'auteur même de la nouvelle originale pour tenir le rôle féminin principal et se pressent lui-même dans le rôle de l'écrivain - réalisateur. Pour des soucis logistiques, il demande finalement au cinéaste et ami Shunji IWAI (Love Letter, Picnic, All about Lily-Chouchou) de jouer dans son film. Il tenait absolument à ce que ce soit un homme du métier qui endosse ce rôle particulier, peu lui importait une éventuelle expérience professionnel d'acteur.

Shiki-Jitsu, dont la traduction littérale serait ''Jour de la cérémonie'' ou ''Cérémonie'', est une sorte d'histoire d'amour avant-gardiste et surréaliste, mélangeant parfois séquences animées aux traditionnelles prises de vue. Entièrement centré autour du mystérieux personnage de la jeune femme dérangée, les timides approches de l'écrivain en panne d'inspiration pour trouver une muse, puis pour conquérir le cœur de sa campagne se font sur un rythme excessivement lent. Personnage aux idées suicidaires, un décompte des jours d'un mois dès le début du film semblent indiquer une fin inexorable. Le final prépare effectivement une grosse surprise, donnant toutes les clés nécessaires à la bonne compréhension de l'attitude dérangée de la femme, même s'il n'est pas forcément celui attendu. Se référant à son (glorieux) passé de mangaka, Anno profite de son budget confortable pour intimement lier ses deux passions. De nombreux inserts de paysages industriels à la géométrie parfaite semblent autant de peintures sophistiquées et se rapprochent fortement du travail de l'artiste anglais Peter Greenaway. Quelques séquences animées représentent l'esprit tourmentée de la protagoniste principale sans paraître un vain exercice de démonstration des talents certains du cinéaste. Enfin, le personnage même de la jeune femme pourrait être tout droit sorti de planches dessinées tant ses attitudes et son apparence changeantes en fonction de ses humeurs - idée ''reprise'' dans le récent film américain Eternal sunshine of the spotless mind - pourraient s'apparenter à une figure manga.

Les progrès réalisés depuis son premier long métrage sont clairement discernables. Bénéficiant d'un budget plus élevé, ANNO peut désormais tourner en pellicule 35 mm et bénéficier des moyens propres à assouvir son ambitieuse mise en scène. Expérimentations visuelles, magnifique éclairage et un superbe décor symbolique des tourments intérieurs de la protagoniste principale, il fait preuve d'une grande maîtrise formelle dans sa réalisation. Ayant fait le choix d'attribuer le premier rôle à celle qui est à l'origine de la nouvelle originale, la jeune actrice Ayako FUJITANI peut donner entier libre cours à son imagination. Sa prestation est époustouflante et elle est littéralement habitée par son personnage. Quant au protagoniste masculin, ANNO avait pensé se mettre en scène lui-même avant de proposer le rôle au réalisateur Shunji IWAI. Le cinéaste dit avoir choisi son ami pour son ''style'' détendu et parce qu'il tenait à ce que le personnage soit un réalisateur à la vraie vie. Peu approfondi, IWAI n'a qu'à se contenter de traverser le film d'une mine impassible. Fausse allure d'un jeune Asano TADANOBU (ressemblant surtout au personnage de Focus), le cinéaste ne dégage pourtant pas le même charisme et paraît quelque peu fade et effacé.

Envoûtant, le métrage souffre pourtant de quelques longueurs et redites inutiles. La répétition des fameux rituels du titre ont tôt fait d'intriguer et donnent envie de connaître le fin mot de l'histoire, bien que la révélation finale ne peut en fin de compte que décevoir. Trop démonstrative, il aurait été mieux venu de garder un certain aura de mystère entourant la jeune femme, même si la confrontation fixée au jour ''J'' donne lieu à une nouvelle merveilleuse prestation d'actrice.

Flirtant constamment avec un dangereux côté trop branché et clinquant de par un style avant-gardiste un brin prétentieux, ANNO arrive tout de même à tenir le fragile équilibre. Bien que trop lent, son style et sa mise en place de l'intrigue envoûtent littéralement et donnent envie d'en savoir plus. De par son choix de faire interpréter le personnage principal par un confrère, son œuvre prend une tournure plus personnelle, renforcée en cela par les quelques monologues en voix off, remettant directement en question l'utilité d'un métrage de fiction et l'incidence sur le spectateur. Mûre réflexion et travail abouti, cette seconde réalisation d'ANNO tranche singulièrement avec la production cinématographique (japonaise) actuelle et regorge d'un air libertaire et frais par rapport aux standards habituels.

ANNO réalisera par la suite le pur film de commande Cutie Honey. Adaptation délirante du manga éponyme, elle renforce d'autant plus le désir de voir le cinéaste revenir à une voie plus personnelle.
 
Bastian Meiresonne