.Samurai Assassin
 
Titre original:
Samurai
   
Réalisateur:
Okamoto Kihachi
Année:
1964
Studio:
Toho
Genre:
Chambara
Avec:
Mifune Toshiro
Kobayashi Keiju
Aratama Michiyo
Itou Yunosuke
 dre
La quête d'un homme

Membre du cercle fermé des spécialiste émérites du chambara tel Misumi, Gosha ou Kobayashi, Okamoto signe avec Samurai Assassin une oeuvre de belle envergure qui, si elle ne rivalise pas avec son chef d'œuvre Kiru, vient gonfler fièrement les rangs des chambara pessimistes des années soixante. Des oeuvres mettant l'emphase, non plus sur l'héroïsme de ces fidèles dignitaires, mais sur l'inévitable tragédie vers laquelle court quiconque suivra la voie du sabre.

Adaptant la nouvelle de Jirosama Gunji, l'excellent scénariste Shinobu Hashimoto insuffle une rigueur toute littéraire à ce Samurai Assassin. Un film long et dense dont la structure complexe aux multiples flashbacks peut se rapprocher d'un Hara-Kiri. Basé sur un fait réel connu sous le nom de l'incident de la porte de Sakurada (Sakurada-mon-gai-no-Hen) au cours duquel un dignitaire de haut rang se fit assassiner par une milice secrète ; Samurai Assassin se focalise presque exclusivement sur la figure atypique d'un ronin nommé Niiro Tsuruchiyo incarné à l'écran par un impeccable Toshiro Mifune. Situé en 1860, soit sept ans avant le basculement définitif et tragique dans l'ère moderne, la trame évacue rapidement les enjeux dramatiques sous-jacent à la fin du règne des samurai. Le cœur même du film est l'approche psychologique d'un homme en quête de soi. Fruit des amours illégitimes d'un samouraï de haut-rang et d'une courtisane, cet enfant sera vite chassé du palais pour être élevé dans l'ignorance la plus totale de sa condition. Malgré le sang bleu qui coule dans ses veines, il verra son premier amour compromis du fait même de sa position sociale. Elle, O-Kiku, une belle princesse qu'il a rencontré au cours d'une rixe lors d'une traversée de fleuve. Cette soif de (re)connaissance le guidera à sa perte, pour avoir refuser le bonheur simple d'une vie rangée, il commettra, sans le savoir, l'irréparable.

Samurai Assassin est structuré de manière singulière, entrelaçant passé et présent, un rythme atypique qui brise l'habituel montée en tension, schéma classique de tout chambara qui se respecte. D'emblée le film démarre en tombe, mise en situation rapide des personnages, du lieu, de la chronologie, un narrateur installe le décor du drame qui paraît imminent. Okamoto place le décor de sa tragédie en magnifiant de fascinantes processions martiales. Soudain, retour en arrière. La tension retombe brutalement dès qu'apparaît le personnage de Niiro, De part son attitude peu commune, il est vite suspecté d'être le traître infiltré au sein de la milice. L'investigation de ses dirigeants nous donne l'occasion d'un large retour introspectif sur l'histoire singulière de cet homme. De son arrivée fracassante dans le groupe grâce à des talents de bretteur hors pair, de son amour déchu, de sa quête identitaire à la recherche d'un père dont il ignore tout jusqu'au nom, une pléthore de flashback épaississent le personnage. Le recours un peu trop systématique a ce procédé narratif est à double tranchant. La montée en tension n'en est que renforcée (Harakiri en est l'exemple parfait) mais le film accuse en milieu de parcours quelques frustrantes baisses de tension, comme si le récit trépignait d'impatience de reprendre le cours des évènements présent si bien introduit lors de l'entame. Tout en intériorisation et en lenteur , le drame qui gonfle manque un peu d'émotion. Irréversibilité du destin, amour brisé, tragiques méprises, trahisons et complots ; la rigueur littéraire transpire littéralement de l'ensemble mais échoue à retranscrire pleinement l'intensité romanesque et dramatique recherchée. Ici et là, quelques scènes de folklore traditionnels aux forts écho religieux dérèglent le récit : étrange danse d'un acteur kabuki affublé d'un inquiétant masque de démon, lourds chants bouddhiques lors d'une cérémonie funéraire. Le duel final, une mémorable bataille rangée à la durée inhabituellement longue, parvient heureusement à extérioriser toute cette rage contenue comme pour enfin faire ressentir le drame de cet homme. En fond sonore, un narrateur lisant un compte rendu historique de l'évènement décrit de manière froide et méthodique la bataille rangée qui se joue sous nos yeux, un curieux (et réussi) effet de distanciation qui vient paradoxalement renforcer la teneur dramatique du final.

Rigueur est la maître mot de Samurai Assassin, trame solide et profonde, acteurs superbement impliqués. La réalisation technique est elle aussi à la hauteur et élève le film au rang de classique. Dans un noir et blanc terrassant, le style Okamoto est reconnaissable entre mille. S'il ne s'adonne pas à l'art délicat du surcadrage, ses compositions dégagent un bel équilibre, une vraie force géométrique qui retranscrit la tension sous jacente du récit. Outre quelques plans aux perspectives étranges, la marque de fabrique de Okamoto se retrouve également dans quelques effets si caractéristiques : irruptions impromptues en gros plans de visages presque déformés, grotesques ou menaçants, ces saillies visuelles isolent l'individu du groupe pour mieux mettre en exergue leur importance.. Ce rythme presque syncopé où ces plans stylistiquement très moderne dépareillent du classicisme absolu de l'ensemble, se retrouve également à plusieurs reprises lors des scènes d'attente et de tension. De surprenantes salves de plans gelés, autant d'hommes sur le qui-vive, participent à l'instauration d'une tension palpable. Il convient de souligner combien Okamoto excelle dans ces moment tendus, combien il aurait fait un excellent réalisateur de thriller. La scène finale est un monument du genre où la tension insoutenable crève dans une boucherie générale sous une neige battante. Un carnage mémorable à la violence viscérale qui s'achève sur le visage ravi de Niiro Tsuruchiyo brandissant la tête de son ennemi décapité, inconscient du drame qui s'est joué.


Samurai Assassin figure sans peine dans le haut du panier du genre. Rigueur et talent à tous les étages en font une œuvre solide rehaussée par son superbe final qui efface quelques baisses de tensions. Le film d'Okamoto ne reste cependant qu'un beau produit de genre d'où peine à émaner la marque thématique d'un auteur tel Kobayashi ou Gosha. Ce chambara illustre la tragédie d'un homme, mais n'atteint pas l'universalité humaniste des vrais chef d'œuvres du chambara tels Hara-Kiri ou Tenchu!. Samurai Assassin n'en demeure pas moins un fier représentant d'un cinéma populaire et ambitieux.
 
Martin Vieillot