.Sex and Fury
 
Titre original:
Furyo anego den : Inoshika Ocho
   
Réalisateur:
SUZUKI Norifumi
Année:
1973
Studio:
Toei
Genre:
Ninkyou-eiga
Avec:
IKE Reiko
NARUSE Masataka
Christina LINDBERG
MIHARA Yoko
 dre
East meets West

Si au cours de la période 71-73, Norifumi Suzuki se fit le chantre de la vague psychédelique pinky violence made in Toei (histoires contemporaines de jeunesse délinquante avec la série Sukeban ou encore comédies friponnes avec les Onsen Geisha), il n'en demeure pas moins profondément attaché aux racines du ninkyou eiga, genre archi-codé au classicisme éprouvé. Scénariste renommé (de 68 à 71 il est derrière le script de plusieurs épisodes des séries des Red Peony Gambler avec Junko Fuji et Kanto Tekya Ikka avec Bunta Sugawara), il retourne à ses premiers amours avec le ninkyou Sex and Fury en 1973. Troquant l'icône qu'était Junko Fuji au profit de la lascive Reiko Ike, autre star du genre en compagnie de Meiko Kaji et Miki Sugimoto, Suzuki reprend la figure forte d'une Anego (une femme yakuza, le plus souvent douée aux jeux de cartes) pour livrer une réalisation atypique bien éloignée des canons du genre. Production emblématique de toute une époque, Sex and Fury vaut en effet moins pour ses qualités intrinsèques que pour son art du recyclage et de la variation. La politique exploitationiste 70's de la Toei libérant Suzuki des contraintes des codes du genre, Sex and Fury témoigne d'une fraîcheur irréverencieuse et d'un attrait de la nouveauté stimulant. Attrait du sexe bien entendu, la thématique érotique est la vraie raison d'être du film, mais aussi piment exotique avec la participation de l'actrice Christina Lindberg tout droit venue de Suède et pas encore canonisée par son culte They call her one eye. L'égérie érotique nordique constitue à ce titre le parfait reflet occidental de Reiko Ike, Suzuki ne se privant pas d'illustrer ce 'choc des cultures'.

Mais plus que de l'exploitation érotique, Sex and Fury est avant tout un ninkyou tiraillé entre sa volonté de classicisme et sa démarche iconoclaste. L'ancrage politique dans la période Meiji est fréquemment rappelé, le récit se basant d'ailleurs sur un complot de prime abord ambitieux mettant en jeu gouvernement passif, jeunes révolutionnaires fougueux et étrangers venus semer le trouble. Las, au contraire d'un Lady Snowblood qui exploitait de belle manière ce riche contexte historique, Suzuki n'utilise ce postulat que comme simple fil rouge d'un film sans profondeur. Reiko Ike incarne Inoshika Ocho, une belle femme voulant venger son père coupable d'avoir trempé dans les petites affaires secrètes du gouvernement, Christina Lindberg se trouve elle au Japon afin de retrouver son amant (japonais). Les nombreux dialogues en anglais trahissent d'ailleurs l'artificialité du projet tant ils prêtent à sourire par leur candeur et maladresse. De plus si Reiko Ike a fière allure dans ses bravades, son jeu reste beaucoup trop stéréotypé pour insuffler une quelconque épaisseur à son personnage (Sex and Fury et sa suite Female Yakuza Tale resteront ses uniques premiers rôles) . Enfin le script fondamentalement maladroit se contente d'enchaîner les situations sans donner de liant crédible entre les personnages et sans insuffler une quelconque dramaturgie.

Reste que si Sex and Fury accuse de-facto de sévères baisses de régime tout au long de son déroulement, il n'en constitue pas moins une sorte d'ambassadeur d'un certain type de cinéma imparfait mais généreux avec son public. Regard amoureux d'un fidèle artisan sur le genre , le statut du film étonne en étant tout aussi bien le fruit du système cinématographique de l'époque qu'une relecture distanciée quasi-postmoderniste où les références et clins d'œil abondent. (la démarche/hommage du Kill Bill de Tarantino n'est jamais bien loin). Suzuki se plait à dérégler son récit d'intermèdes provocateurs et détails saugrenus. Les anachronismes pleinement revendiqués (la mini-jupe vintage 60's de Lindberg, la bande son psychédélique en plein début de XXème siècle), la confrontation amusée et fascinée de Ike/Lindberg et aussi d'improbables séquences telle cette séquence où Ocho, dans le plus simple appareil, décime une horde d'assaillants dans une rixe sanglante commençant dans un bain pour s'achever en extérieur sous la neige. Le recours immodéré et fasciné au culte des tatouages, aux couleurs chatoyantes des (superbes) kimono ou aux rituels des hanafuda (jeux de cartes) n'est ici gratuit leitmotiv purement graphique. Les scènes d'actions finalement peu nombreuses souffrent des habituelles carences de ce genre de production à savoir une exécution souvent approximative compensée par une belle énergie brouillonne. Heureusement Suzuki emballe avantageusement ces rixes/ballets avec de classieux cadrages , des ralenti efficaces sur les expressions des visages, le tranchage de membres et geysers de sang.

Habile artisan derrière la camèra, Suzuki n'en reste pas moins inégal alternant réalisations appliquées et œuvres plus brouillonnes. Sex and Fury s'inscrit dans cette première catégorie, les scènes classiques témoignant d'un bon pilotage automatique à bases de plans posés, les intermèdes et scènes d'actions psychédéliques bénéficient eux d'un soin autrement plus prononcé où l'on devine un Suzuki jubilatoire derrière son appareil (on retrouve d'ailleurs ses expérimentations visuelles typiques à savoir la caméra-spirale tourbillonnante ou encore cette façon de renverser son scope pour filmer les femmes dans le sens de la longueur du cadre). Loin de la maestria technique et du sens du montage d'un Shunya Ito qui oeuvrait parallèlement à la Toei, Suzuki possède un indéniable talent de plasticien (lorsqu'il veut bien s'en donner la peine) et compose son cadre d'un large spectres de couleurs.

Purement esthétisants, ces parasitages filmiques ne sont là que pour le seul plaisir coupable du dérèglements ironique. On peut citer cette longue scène de poker où Suzuki s'amuse à saturer son cadre de couleurs électriques faisant tendre le tout vers l'onirisme : le vert du tapis de jeu, les couleurs des yeux et cheveux de Lindberg, l'escamotage des décors. Curieuse scène aussi d'un cabaret érotique psychédélique de début de siècle où des femmes sont torturées dans un simili-nightclub aux stromboscopes hallucinogènes sur fond d'image de propagande du conflit russo-nippon. Les scènes d'actions dramatiques suivent aussi cette logique à grand renforts de filtres colorés, de ralentis sensuels et de gimmicks graphiques efficaces (superbe scène finale où l'héroïne blessée s'enfui dans un sombre désert tapissé de milliers d'hanafuda (cartes de jeux). Typique de l'esthétisme pinky violence, cette démarche superficielle clairement assumée ajoute un étrange cachet pop à l'ensemble tout renforçant sa schizophrénie affichée entre tradition et modernité.

L'érotisme occupe, on s'en serait douté, la place centrale du récit. Outre Inoshika Ocho qui pour tuer ses adversaires s'enduit le corps d'un poison que son amant d'un soir inhalera bien malgré lui ; Lindberg elle, utilisant son corps pour son rôle d'espionne. On remarquera aussi la présence de la plus toute jeune mais toujours aussi friponne Yoko Mihara dans le rôle d'une femme de maison nymphomane. Loin d'une veine perverse, Suzuki insuffle une très belle sensualité à ces ébats consenti ou non. Les chaud corps dénudés ondulent et transpirent, la teinte de la peau se fondant avec les couleurs du décor (majoritairement du rouge, jaune et noir). Plus surprenant, on retrouve une scène préfigurant son Couvent de la bête sacrée où une femme se retrouve ligoté et torturée au sein d'une improbable crypte avec l'imposante icône du Christ en arrière plan. La photo se fait plus froide avec ses teintes bleutés suggérant un sadisme plus prononcé et viscéral.

On retiendra enfin une superbe bande-son de Ichiro Araki qui de par son anachronisme complète parfaitement la démarche du réalisateur. Tantôt non chalante (entêtant thème principal à la trompette accompagnée de guitares hispanisantes) ou romantique lounge pour carrément virer vers du simili-Hendrix de belle facture lors de l'inévitable duel final. Curieux glissement temporel où des yakuzas se battent sur fond de riffs de guitares électriques ! Elément primordial des films labellisés pinky-violence, ces bandes-sons témoignent d'une même démarche iconoclaste mêlant modernité des sonorités et grooves électriques avec les traditionnelless percussions et shamisen agrémentées d'échos expérimentaux.

Production emblématique d'une époque Sex and Fury reste trop inégal pour convaincre pleinement. Accumulant les défauts du genre (script et personnages transparents) mais aussi ses qualités (un attrait de l'expérimentation et de la nouveauté), Suzuki livre ici une proposition de cinéma aussi superficielle que stimulante. Exempt de tout cynisme qui plombe le cinéma actuel, Sex and Fury s'il reste maladroit n'en est pas moins profondément honnête avec le spectateur. Un produit éminemment commercial et irrévérencieux qui n'oublie pas le sens du mot panache et constitue une sorte d'hommage attendri sur un genre mort quelques années auparavant.

 
Martin Vieillot

Sex and Fury est disponible chez Panik House