Titre
original:
Rokugatsu no
hebi |
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Réalisateur: TSUKAMOTO Shinya |
Année: 2002 |
Studio: Kaijyu
Theater Genre: Erotique |
Avec:
KUROSAWA Asuka KOHTARI Yuji
TSUKAMOTO Shinya MATSUMOTO Tomoko |
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Le déclic
Snake of June constitue la
concrétisation d'un rêve chéri professionnel par TSUKAMOTO
depuis ses débuts dans le cinéma: celui de pouvoir
réaliser un long-métrage érotique. Prolongement de
certains thèmes abordés tout au long de sa carrière, cette
uvre n'en constitue pas moins un nouveau pas en avant dans l'univers de
son réalisateur et assurément l'une de ses créations les
plus matures à ce jour.
Rinko travaille dans un point
écoute téléphonique pour personnes à
problèmes. Menant en apparence une vie familiale heureuse en compagnie
de son mari Shigehiko, elle ne connaît qu'un seul problème de
taille : sa vie sexuelle est au point zéro. S'adonnant aux plaisirs
personnels en l'absence de son époux, elle est photographiée par
un mystérieux inconnu la menaçant d'envoyer les clichés
compromettants à son mari si elle n'assouvit pas une série de
phantasmes pour lui. D'abord offusquée, Rinko redécouvre
finalement sa féminité, tandis que le détracteur s'en
prend à son mari
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TSUKAMOTO avait toujours voulu
réaliser une uvre érotique. Fortement marqué par la
vague des pinku eiga et roman porno (films érotiques et porno) qui
envahirent les salles nipponnes dans les années 70, il voulait aussi
bien rendre hommage à ce genre à part dans le Cinéma
Japonais qu'explorer la sensualité féminine. Ses long
métrages et thématiques développés l'avaient
finalement amené très loin de ses intentions premières,
même si la sexualité avait toujours joué un rôle
prépondérant sous-jacent dans ses films. Dans les années
'90s, TSUKAMOTO fit la connaissance de Jean-Pierre Dionnet, alors
employé des studios Canal + et qui assura les droits de distribution de
l'ensemble des uvres du réalisateur japonais pour la France. Les
deux hommes virent à parler de ses projets abandonnés et Dionnet
encouraga son interlocuteur à se lancer dans l'écriture, pensant
que des producteurs français avait certainement envie de le co-produire.
TSUKAMOTO se mit alors immédiatement au travail. Inspiré par une
courte nouvelle (excellente) de Georges Bataille, Histoire de
l'il, ainsi que par l'un de ses dessins réalisés en
tant qu'écolier et représentant un escargot sur une feuille
mouillée par l'humide saison de pluies japonaise, il aboutit rapidement
à la première ébauche de son l'intrigue. Le pitch d'une
femme observée par un mystérieux voyeur, qui lui ordonne
d'assouvir ses phantasmes, est le point de départ de nombreuses
productions pinku des années '70s; mais contrairement à ces
modèles de qualité souvent douteuse et racoleuse, TSUKAMOTO
cherche à réaliser une uvre érotique respectueuse
envers l'image de la femme. Mieux, il est sérieusement fasciné
par leur troublante sensualité et tente de l'explorer par le biais de
son propre univers. Les premiers traitements sont
irrémédiablement réfusés par les producteurs
français. Qu'à cela ne tienne, le réalisateur japonais est
content d'avoir enfin trouvé l'occasion de pouvoir se consacrer à
un thème lui tenant à cur et de compte bien mener le projet
à bout. Une fois le scénario terminé, il définit
l'approche visuelle en s'inspirant des photographies de Man Ray ou Helmut
Newton;. Optant pour un Noir & Blanc monochrome, il renoue également
avec un style documentaire dans de nombreuses séquences tournées
en Noir & Blanc renforçant un côté vérité
et - surtout - voyeur. Le film sera finalement financé par le biais de
sa propre société de production. Sage décision, le
résultat final étant une nouvelle réussite raflant de
nombreux prix à travers le monde dont l'important Grand Prix d'une
sélection parallèle du festival de Venise. Il saura largement
rentabiliser son audacieuse entreprise par de nombreuses ventes à
l'étranger, notamment dans les pays latins ou de l'Est - seule la France
fit cette fois l'impasse sur ce qui constitue pourtant l'une des uvres
les plus matures et réussies de son réalisateur.
Le film rend compte des importants
progrès réalisés par TSUKAMOTO dans l'écriture de
ses scénarios. Bien loin des intrigues décousues au profit d'une
recherche avant tout visuelle et expérimentale, le réalisateur
aborde dorénavant des thèmes sensibles en approfondissant la
psychologie de ses personnages et structurant ses sur la durée Mieux
encore, il ose "casser" une intrigue linéaire par l'insertion de
séquences oniriques métaphoriques, renvoyant aussi bien à
la folie créatrice de ses premières uvres qu'à la
portée philosophique d'un univers lynchien qui aura été
d'une influence constante tout au long de son uvre. Difficilement
interprétables sans l'explication de son réalisateur, ces inserts
cauchemardesques déroutants participent pourtant à la logique de
l'intrigue. Le film s'ouvre par le symbole de la féminité. Une
première partie entièrement consacrée au personnage de
Rinko, deux autres signes introduiront les deux derniers segments bien plus
courts. Rinko est une personne à l'écoute des gens lui rapportant
leurs problèmes. Envies de suicide, problèmes familiaux, elle est
à leur entière disposition pour leur prêter une oreille,
les rassurer, les guider vers des choix positifs et optimistes. Le centre
d'écoute se trouve - forcément dans l'univers de TSUKAMOTO - au
cur d'une ville urbaine caractérisée à plusieurs
reprises par un plan d'ensemble cadrant la forte concentration de plusieurs
hauts immeubles. Un sentiment d'oppression du lieu d'action et des tours qui
semblent abriter toute la misère dépressive dont s'occupe Rinko
dans son petit bureau. Il aurait été facile (et logique) pour
TSUKAMOTO de développer cet aspect oppressant de la ville en vue d'une
thématique sans cesse renouvelée au sein de ses
précédentes uvres, mais là ne réside pas le
principal intérêt du présent métrage. Les
différents lieux seront toujours des endroits assez confinés,
mais TSUKAMOTO ne s'en sert pas pour oppresser ses personnages Il
préfère introduire une nouvelle donne fort intéressante :
l'appartement de Rinko abrite de nombreuses plantes vertes - se
détachant nettement sur les murs en béton. Gimmick
exploité en début du film, la femme est littéralement
absorbée par une énorme plante verte trônant
derrière elle, alors qu'elle prend un bain. Réminiscence du plan
récurrent de l'escargot sur une feuille mouillée, Rinko ressemble
à ce petit animal découvrant le monde de ses antennes
dressées au loin, mais pouvant à tout moment se rétracter
pour se réfugier à l'intérieur de sa coquille (c'est ce
qu'elle fera au moment d'emménager dans la partie inférieure de
la maison pour échapper à son mari). La plante verte est
également symbole de la bouffée d'oxygène qu'elle donne
à toutes les personnes qu'elle est prête à écouter
à longueur de journée (la scène se passe juste
après la description de son métier). Elle est comme une lueur
d'espoir sur fond du laid béton à nu. Son métier,
justement, permet à TSUKAMOTO de dresser un intéressant
parallèle entre sa disponibilité à l'écoute de tous
alors qu'elle souffre elle-même d'un grave problème personnel :
elle n'a plus de vie intime. Semblant sincèrement éprise de son
mari plus âgé, maniaque de propreté, se tuant à la
tâche et incapable d'exprimer ses sentiments (personnage récurrent
de l'employé modèle écrasé par l'urbanisme et le
quotidien dans l'uvre de TSUKAMOTO), elle souffre pourtant de ne pouvoir
partager le lit avec son époux (il s'endort, épuisé, dans
le canapé). Comme ses clients, c'est finalement par le biais d'un
téléphone, qu'elle remédiera à son problème.
Bien évidemment, la procédure va à l'encontre de sa
volonté première, mais tout comme par l'écoute
téléphonique, elle a été "entendue" par un inconnu,
qui la guide dans une voie à suivre pour finalement résoudre son
problème.
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La première étape de
la reconquête de sa féminité se passe par l'acceptation de
soi. Elle "taille" dans son image, en raccourcissant une jupe, elle fait tomber
ses lunettes et se maquille; elle assume son image féminine, mais en
secret, chez elle. Le mystérieux inconnu l'oblige alors à
s'afficher, telle qu'elle aimerait qu'on la voit. Habillée de sa
mini-jupe (provocante), elle doit traverser des galeries marchandes. Attirant
forcément toute l'attention sur elle (TSUKAMOTO ne filme que des regards
de femmes, alors que plus tard dans le film, ce seront ceux des hommes). Une
bonne part de ces réactions émanent sûrement de son malaise
apparent à s'afficher telle quelle, se cachant maladroitement
derrière son parapluie et ses grosses lunettes noires. L'acceptation de
soi passe également par le biais des photos qui forcent Rinko à
se regarder elle-même. Son désarroi est autant lié à
l'intrusion de son intimité par un inconnu que le fait d'avoir à
regarder le reflet de sa propre personne. Enfin, par extension, la
confrontation est également caractérisée par la rencontre
avec la mère et son enfant, "clients" réguliers de son service
téléphonique. Alors qu'elle est totalement humiliée par
son mystérieux détracteur, elle se retrouve nez à nez avec
ces personnes. TSUKAMOTO met ainsi en scène une confrontation directe,
que ce soit Rinko avec son environnement extérieur immédiat ou
avec des vraies personnes (alors que la voie du téléphone lui
garantit la préservation de son anonymat).
La suite de sa libération
passe par l'acquisition d'un jouet sexuel. Alors que son mari ne s'occupe plus
d'elle, il lui faut assumer sa propre sexualité en se satisfaisant - or
le mystérieux inconnu veille à ce qu'elle ne soit pas toute
seule, en exigeant la manipulation de la télécommande. Un
fantasme de la gente masculine sur lequel TSUKAMOTO joue avec force
délectation. Cette scène est également une étape
nécessaire dans l'apprentissage de la sensualité, scène
d'ailleurs reprise vers la fin du film où Rinko est seule maître
à bord en contrôlant elle-même la
télécommande. Alors que son étrange "instructeur" lui
remet toutes les photos lui signifiant la fin de son apprentissage, il lui
envoie également un hamster dans une cage. Se référant
certainement au superbe plan d'ouverture du Désir Meurtirer
d'Imamura (réalisateur chéri par TSUKAMOTO), cette
métaphore visuelle souligne son emprisonnement au quotidien. Sa mutation
a également besoin de passer par les efforts de son propre mari;
TSUKAMOTO introduit donc une - courte - seconde partie par le symbole de la
masculinité. Ayant fait ses adieux provisoires, l'inconnu s'attaque au
mari de Rinko. Ce dernier s'est enlisé dans un triste quotidien dont les
nécessaires séances de nettoyage frénétique
constituent bien évidemment une fuite devant sa femme. Amusant
également de constater qu'il s'attaque généralement aux
baignoires ou lavabos dont il cure avec une force redoublée
les
siphons. Le détracteur s'en prend à l'homme pour le
mettre face à ses réalités. Ce mystérieux individu
évidemment furieux du traitement infligé à Rinko n'en
prend pas moins le temps d'éveiller les sens endormis du vieil
époux. Il ravive tout d'abord la jalousie en se posant comme un possible
challenger pour la conquête de l'amour. Shigehiko commence donc à
suivre sa femme, à s'intéresser de nouveau à elle et
à son quotidien pour découvrir le possible amant. Ensuite, il est
confronté à un drôle de cauchemar (la fameuse
séquence lynchienne), difficilement interprétable, mais qui fait
appel au voyeuriste et à une sexualité débridée
d'un couple. Cette scène aussi sera reprise vers la fin du film, lorsque
Shigehiko se voit noyé dans l'étrange récipient et lorsque
le détracteur le soumet à une étonnante séquence de
torture, rappelant furtivement les références aux mangas
parsemées dans toute la filmographie de TSUKAMOTO, ainsi que le
cauchemar de la sodomie du personnage principal dans Tetsuo (avant que
ce dernier n'entame d'ailleurs sa transformation
comme Shigehiko va
recouvrir sa virilité sexuelle et son désir pour la femme).
Enfin, la dernière partie est introduite par le curieux symbole d'un
assemblage des signes de la féminité et de la masculinité.
Femme et homme vont finir par se retrouver et se mélanger (comme le
suggère le "rond / trou" en sur-brillance révélé au
beau milieu de l'assemblage des symboliques). La longue et magnifique
séquence finale sous la pluie battante rythmée par les coups de
flash de l'appareil du détracteur allant crescendo sous l'il du
mari (plus du tout passif) est donc l'aboutissement de tout ce qui a
précédé. Rinko assume corps et sexualité et est
définitivement prête à s'offrir toute entière
à son mari; Shigehiko a retrouvé excitation, virilité et
le désir pour sa femme. Le personnage du détracteur n'a plus lieu
d'être
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Jamais auparavant, TSUKAMOTO
n'avait autant su concilier fond et forme, ni maîtriser son
écriture. Aboutissement de toutes ses précédentes
uvres, ainsi que du poids de son âge (de la raison), il signe
derrière la façade trompeuse d'une simple bluette érotique
un puissant plaidoyer à l'amour du couple. Parfait sur tous les plans !
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