Surtout catalogué comme réalisateur de films d’effroi, Nobuo Nakagawa a traversé les époques en livrant une œuvre prolifique avec une propension certaine à expérimenter tous les genres. Exemple typique d’artisan versatile à la solde des studios, Nakagawa s’est tout d’abord illustré dans les films musicaux et les comédies légères avec des films tels Rivals (1939) avant d’enchaîner dans le désordre jidai-geki, films de détectives, mélodrames et ses fameux kaidan-eiga. Wicked Woman (Dokufu Takahashi O-Den) est à ce titre une œuvre intéressante dans sa façon de brasser les influences et de témoigner directement de tout un pan d’un cinéma éminemment commercial. Produit par l’emblématique et influent Mitsugi Okura, Wicked Woman s’inscrit dans la catégorie des films de Dokufu (femme vénéneuse) qui ont fait le succès de la Shin-Toho dans la seconde moitié des années cinquante tels Dokufu yoarashi O-Kinu to tennin O-Tama (Kyotaro Namiki,1957) ou encore Dokufu no O-Ran (Goro Kadono,1958).
Cette curieuse transposition des codes du film noir à l’ère Meiji (1870) gravite autour de O-Den Takahashi, une femme mystérieuse aux agissements contraires à la loi. S’enfuyant au nez et à la barbe des policiers à ses trousses, O-Den se réfugie dans un pousse-pousse qui se trouve être propulsé par son ex-mari qui l’emmène de force dans sa demeure afin de soutirer de l’argent pour élever sa petite fille qu’il se refuse à lui montrer. Bientôt O-Den continue ses forfaits dérobant habillement un diamant dans une bijouterie, entretenant une liaison adultère au grand désespoir de son mari atteint de tuberculose. Son amant se révélera lui aussi calculateur, emmenant directement la belle dans la bras de son patron, en fait un proxénète….
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L’entame de film évoque directement un certain cinéma d’avant-guerre de par sa dimension illustrative et son montage musical extrêmement rythmé (des plans syncopés et répétitifs retranscrivent la folle fuite en pousse-pousse en fixant les détails du véhicule). On y retrouve également l’attrait marqué du réalisateur pour les mouvements d’appareils fluides et amples comme lors du long travelling suivant la fuite d’un personnage. Basé sur un canevas simpliste et linéaire, Wicked Woman vaut d’ailleurs plus pour la plus-value technique du réalisateur qu’un récit solide et des personnages crédibles. Narrant l’histoire de Den Takahashi (un personnage historique réel), le film hésite constamment dans sa façon de dépeindre son personnage féminin central, reléguant sa part d’ombre en second plan au profit d’un humanisme attendri. Tour à tour voleuse, proxénète, femme adultère mais aussi mère privée de sa progéniture, Kazuko Wakasugi (qu’on retrouvera l’année suivante dans le rôle d’O-Iwa) campe une héroïne belle mais désespérément lisse. Le caractère sulfureux et vénéneux de la femme ne se suggère que par des archétypes bien trop sage pour convaincre. Exempt de vice et de cruauté, le moteur du récit s’en trouve désincarné en alignant sans liant crédible des saynètes, autant de passages obligés, autant de chocs frontaux des genres. On pense notamment à ces scènes à la tonalité mélodramatique exacerbée (la mort de la petite fille de l’héroïne) faisant suite aux passages racoleurs des prostituées parquées dans une cache souterraine d’une demeure ! L’influence des ‘formules Okura’ s’illustre ici dans sa propension à confronter des éléments disparates en un curieux patchwork branlant où l’érotisme sous-jacent ne demande qu’a éclater. Le rythme claudiquant et inégal de l’ensemble accentue d’autant plus l’artificialité du mélange, des scènes amusantes à la cruauté de pacotille (la prison de prostituée, la fouille complète au corps de la voleuse) s’enchaînant dans tempo plus ou moins efficace avec des scènes de filatures ou de mélodrame. Plus intéressant et désarçonnant est la manière de diaboliser les personnages secondaires de manière à faire ressortir la pureté de son héroïne. Son ex-mari lui quémande de l’argent pour pouvoir élever leur petite fille, argent qui dilapidera non sans laisser mourir de maladie sa progéniture. Autre exemple typique, celui du patron de bijouterie qui cache un proxénète kidnappant et parquant d’innocentes jeunes filles dans une cache souterraine. Un tel manichéisme qu’on ne peut s’empêcher de rapprocher des figures archétypales des kaidan-eiga…
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Reste une réalisation soignée de Nakagawa qui rend crédible une reconstitution historique à petit budget, tirant ainsi constamment le résultat vers le haut. De part sa thématique, le thème du regard est bien sur au centre du récit et vaudra de beaux plans composés (omniprésence de la vue plongeante inscrivant et oppressant les personnages dans leur environnement). On retiendra aussi quelques belles fulgurances témoignant du talent de plasticien du réalisateur mettant à profit un noir&blanc travaillé : une ruelle lugubre aux atours fantomatiques, un plan expressionniste de visage féminin quasi-spectral. Près de cinquante après sa réalisation, Wicked Woman vaut donc plus surtout pour sa qualité de témoin historique d’un certain cinéma de genre que par ses qualités intrinsèques. Si la mise en scène séduisante ne rattrape aucunement l’absence d’enjeu du récit et d’ambiguïté de son héroïne, on pourra néanmoins se laisser attendrir par ce mélange bancal et anachronique de formules populaires aux charmes surannés.