.Ghost of Yotsuya
 
Titre original:
Tokaido Yotsuya Kaidan
   
Réalisateur:
MORI Masaki
Année:
1956
Studio:
Shin-Toho
Genre:
Kaidan-eiga
Avec:
WAKAYAMA Tomisaburo
IIDA Choko
OGURA Shigeru
TANAKA Haruo
dre
Mari et femme 

Petite compagnie créée au lendemain de la seconde guerre mondiale et à la très courte existence, la Shintoho se fera spécialiste des films de genre commerciaux surfant sur les courants alors en vogue. Outre ses aventures exotiques (Female Slave Ship), films noirs (la sympathique série des Chitai), aventures de superhéros 50's (la série des Super Giant), la Shintoho produira également nombres de rejetons horrifiques dont notamment sa propre et inévitable version du roman Yotsuya Kaidan réalisé par Masaki Mori, un spécialiste maison du genre à qui l'on devra aussi Ghost of Kagami Pond.

Réalisé trois ans seulement avant l'adaptation référence de Nobuo Nakawaga, cette variation accuse fortement son age et respire le classicisme tout droit hérité des nombreuses et populaires adaptations kabuki du récit. Plus qu'une relecture ironique à la Kato ou une flamboyante plongée fantastique à la Nakagawa, le film de Mori est de par son approche humaniste à rapprocher de la longue version de Kinoshita de 1949. Forcement plus condensée et allant à l'essentiel, l'œuvre s'attache surtout au portrait de couple de Iemon et O-Iwa. Souvent présentés sous des atours machiavéliques, ces deux êtres n'apparaissent ici finalement que comme deux jouets victimes de machinations qui les dépassent. Récit-métaphore d'une époque rude où dans 'ce monde cruel, il faut être cruel pour survivre', Mori dépeint avec humanisme et dans une veine mélodramatique leur plongée aux enfers. Loin du couple maudit souvent décrit, Iemon et O-Iwa s'aiment et ne demande qu'a vivre paisiblement. Bien que passablement passéiste et amorphe, Iemon est bien loin du monstre amoral souvent présenté. Cette variation se concentre donc avant tout sur les ressorts dramatiques et motivations psychologiques du couple. Iemon, pivot du récit, interprété tout en retenue par un jeune et méconnaissable Tomisaburo Wakayama dans un rôle aux antipodes de celui qui (re)jouera dans la relecture de Kato. Sa femme O-Iwa offre quant à elle un contrepoint sensible, toute inconsciente qu'elle est des sombres desseins qu'ils l'attendent. Mori illustre le dilemme qui ronge Iemon, obligé d'assassiner la femme qu'il aime, se forçant à la détester et la haïr malgré lui. Les maitres-chanteurs que sont la mère d'Iemon et son ami Naosuke n'occupant ici qu'un rôle annexe servant uniquement de catalyseur à l'inévitable tragédie à venir.

Film de genre au budget serré, le charme naïf des décors de studio, le noir et blanc sans éclat et le classicisme de la réalisation inscrivent le film dans son contexte d'époque d'où peine à émerger une rigueur formelle ou une ambition mélodramatique. Pas toujours à l'aise dans son rôle, Wakayama campe sans talent un héros torturé au pourtant fort potentiel introspectif. Principal intérêt du film, les passages fantastiques sont inégaux. Les brèves apparitions fantomatique de O-Iwa sont néanmoins convaincantes par leur simplicité et leur sens graphique tout en dépouillement et inquiétants ombrages. Quelques apparitions telle celle du corps de O-Iwa flottant au gré des courants et croisant le regard désespéré de son mari ou encore la touchante scène où cette même femme découvre avec horreur son visage se tuméfiant. Les autres éléments fantastiques , en fait des visions des personnages sous l'effet d'un sortilège, perdent de leur force au fur et à mesure de leur sur-représentation; Mori se reposant sur l'indéniable force brute de ces regards haineux sans chercher plus en avant à transcender ces visions dantesques par des experimentations visuelles soutenues. S'appuyant sur des artifices routiniers tels cette omniprésente et lassante voix hantée sensée suggérer l'effroi, Mori perd de vue la dramatique de son récit pour s'éparpiller dans les travers horrifiques et trop démonstratifs du genre.

Honnête variante du mythe, le film de Mori, s'il recèle quelques beaux plans furtifs saisissants, se trouve constamment ballotté entre adaptation dramatique rigoureuse et film de genre routinier. Adaptation finalement assez ennuyeuse, la relation d'amour qui lie le couple donne néanmoins à postériori une résonance touchante qui conclut le récit sur une bonne note, en témoigne ce beau plan final où Iemon agonisant s'excuse auprès de sa femme pour finalement la rejoindre dans la mort.
 
Martin Vieillot