.Patriotisme
 
Titre original:
Yukoku
   
Réalisateur:
MISHIMA Yukio
Année:
1966
Studio:
Mishima/Fujii
Genre:
Drame
Avec:
MISHIMA Yukio
TSURUOKA Yoshiko
 dre
De l'amour à la mort

Le cinéma s’est toujours rapidement tourné vers l’œuvre de Mishima, comprenant que ses succès littéraires étaient une source non négligeable d’histoires prometteuses narrant entre autres la contradiction d’hommes, coincés entre un désir et une réalité sèche. Aux commandes des films on retrouve pas moins que Kon Ichikawa (Le Pavillon d’or en 1958), Kenji Misumi (Le Sabre en 1964) ou dans un style plus libre Kinji Fukasaku pour Le Lézard noir et sa suite Black Rose Mansion traitant de l’Amour.

L’écrivain ne tardera pas à s’essayer devant la caméra, choisissant avec soin ses rôles dont certains sont le portrait parfait de l’homme. Entre un yakuza infantile du côté de Masumura (Le gars des vents froids)et une statuette humaine prisonnière de l’amour chez Fukasaku, il y a surtout ce samouraï assassin sorti de Tenchu ! complètement dévoué à sa cause et aux valeurs de sa caste qui une fois son honneur et sa dignité remises en cause, n’hésitera pas à se faire soudainement hara-kiri, cela un an avant sa véritable fin tragique. Mais quelques années plus tôt, Mishima avait déjà interprété un rôle similaire, dans son propre film, Patriotisme (Yukoku).

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En cette seconde moitié des années 30, la montée militariste se fait sentir, la société est prise d’un regain d’intérêt pour ses anciennes et glorieuses figures d’hommes de sabre, là où l’honneur, le respect et la dignité formaient des êtres pratiquement hors du commun. Alors qu’une tentative ratée d’un coup d’État vient de frapper, perpétrer par une bande de jeunes officiers lassés de Ministres infidèles à l’Empereur, le Lieutement Takeyama se retrouve dans un dilemme écrasant. En effet, il était impliqué dans ce complot mais avait été laissé de côté en raison de son récent mariage. À la fois membre de la Garde Impériale et officieusement du complot raté, il sait qu’il sera amener à se battre contre ses anciens camarades. Il préfère mourir dignement.

Se situant dans un contexte historique difficile, Mishima ne s’embarrasse pas pour autant de filmer et de décrire avec précision l’ambiance globale de l’époque, il choisit au contraire l’épure parfaite en se concentrant sur les derniers instants d’un jeune couple de mariés dans leur demeure des plus simples. Ainsi, il n’y aura à l’écran que deux personnages, deux individus qui se dirigent doucement vers la mort en éprouvant une dernière fois le plaisir de la chair et de l’amour mutuel, sans jamais montrer un signe de refus ou de faiblesse devant cette finalité mortelle.

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De la même manière que les sentiments et la détermination apparaissent comme pures, le décor est simple, une humble scène de théâtre japonaise fortement dominée par des teintes blanches et claires, sorte de reflet des intentions de ce couple. Et à l’extérieur, les intertitres nous informent que la nature fait aussi déverser sa pureté, la neige tombe à flot, comme si tous les éléments étaient réunis pour élever l’acte à son niveau le plus vrai. D’ailleurs, au milieu de cette impression de simplicité pure, le film se ressert sur les sentiments de ses deux personnages, arrivant à oublier l’environnement pour mieux traduire la sphère privée des esprits en pleine accomplissement du rite, l’amour et la mort s’unissent en parfaite harmonie.

Si le désir de mourir émane d’un Lieutenant ne pouvant se complaire dans une contradiction morale, trahir ses camarades déchus sous prétexte de servir l’Empereur, la jeune femme n’oppose aucune réserve à ce choix. Elle est prête à accepter la volonté de son époux, à la fois par amour mais aussi par fidélité et respect. Le visage de la jeune femme est resplendissant, ses traits fins et son ton clair illuminent concrètement chaque plan, et même si dans l’ensemble elle se montre peu expressive, est-ce par soucis de fierté ?, sa présence contrebalance fortement avec celle de son époux. L’homme marque sa différence de par sa tenue militaire, loin d’un kimono radieux, il y a ces habits qui imposent une certaine rigueur et droiture à l’individu. Tandis que le visage de la femme reste constamment visible, celui de l’homme est en parti caché par la visière de sa casquette militaire, on ne voit qu’une bouche inexpressive à la manière d’un homme accomplissant avec fermeté son devoir.

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Rares seront les instants où l’homme fera face à la caméra, vidé de son impératif vestimentaire. Il donne presque l’impression d’être une sorte de fantasme tant il y a une distance froide entre lui et la caméra, ce qui n’est pas du tout le cas avec la femme qui s’expose sans problème, triste et amoureuse, elle n’est pas entourée par un voile mystérieux, elle respire les sentiments. Ce n’est sans doute pas un hasard de voir explicité son désir amoureux en début de film avec ces inserts transparents où l’homme de dos la caresse, la touche, un simple rappel de ces moments de rapprochement physique entre les deux êtres, là où la distance n’existe plus.

Le désir deviendra réalité quand l’homme affirmera sa détermination à mourir, les deux individus complètement dénudés vont pouvoir partager une dernière fois l’amour, il n’y a plus qu’ici un homme et une femme s’adonnant à l’acte charnel précédent l’acte de mort, conformément au rite. Durant ce passage, la caméra se place au centre de l’action, filmant la chair pure des êtres, s’offrant enfin un gros plan sur le regard de l’homme mystérieux pour mieux en tirer sa détermination, son âme. C’est seulement à partir de cette relation que l’homme brise par intermittence sa froide distance, laissant passer de temps à autre un de ses regards, preuve de son état d’esprit de fer, il semble complètement absorber par son rite. En tout cas, lors de la scène d’amour, il n’existe plus rien d’autres que les deux individus, le décor disparaît, il n’y a plus que ces deux corps nus se découvrant une dernière fois avant de se dire au revoir. Quand la caméra s’engage à capter l’ensemble de la scène, elle ne filme qu’une posture figée donnant un côté éternel à cet amour.

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De ce rite en deux parties, amour puis mort, il y a selon les individus une perception et une expression différente. D’une façon basique, la femme aura plus tendance à se faire entendre durant l’amour, à l’inverse de l’homme pour lequel la mort symbolise la conscience tragique da la réparation d’un dilemme humain. D’ailleurs, alors que la femme garde une apparence propre avec coiffure parfaite, tout s’emmêle lors de l’union physique des individus, sa coiffure devient un beau bordel sans forme, l’expression de l’amour, quelque chose de vivant, de fou et d’incontrôlable, clairement sans limite. De même, son visage sort de son monolithisme et bouge, exprime.

Pour l’homme le rapport est différent, il conserve une sobriété tout au long du film, peinant à s’afficher, il y a une aura mystérieuse qui plane sur lui. Même au travers de son rite, il reste coincé dans un dilemme, apparaître complètement nu, physiquement et moralement, sans perdre pour autant sa droiture incarnée par cette tenue militaire recouvrant presque la totalité de son corps et de son âme. Il ne sortira qu’au dernier moment de sa sobriété lorsqu’il s’enfoncera la lame dans son ventre où son cri de douleur est capté dans un court gros plan. La scène du hara-kiri fait côtoyer l’horreur, l’amour et la détermination. L’homme continue doucement le mouvement horizontal, laissant le sang jaillir et souiller la blancheur pure du décor, l’intense douleur le fait transpirer tandis que la femme pleure, toujours la seule à faire apparaître ses sentiments.

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Description pure d’un rite mortelle, Yukio Mishima anime sa vision idéalisée de l’honneur, de la dignité mais aussi de l’amour, dans un contexte particulier qui n’est pas sans rappeler sa future mort, coup d’État manqué enchaîné par un hara-kiri. Tout au long du rite, il y a une atmosphère calme rythmée par de la musique classique, les paroles n’existent pas ou ne s’entendent pas, l’ensemble profite d’une simplicité exemplaire mettant en avant le comportement des personnages. C’est sur eux que repose toute la logique magnifiée du rite, une femme fidèle et calme, émotive aussi, avec un homme ferme et déterminé. Mishima filme avec attention ces deux individus, arrivant à s’intéresser à des détails particuliers, comme un mouvement de main ou encore le regard ultime de l’homme sous la visière de sa casquette, déterminé et concentré plus que jamais. Chez lui, ce rite n’a rien de dramatique ou de tragique, il y a au contraire une certaine noblesse qui entoure l’acte, ce n’est pas une mort, mais plutôt la recherche d’une paix avec sa conscience et ses valeurs. L’amour demeure éternel, et la mort vient se positionner dans un schéma zen harmonieux, plus de barbarie ou de giclée de sang. L’horreur est passée, place à l’amour.

 

Michaël Stern (Wild Grounds)