. Yumeno's Girl Hell
 
Titre original:
Yumeno Kyusaku no Shojo Jigoku
   
Réalisateur:
KONUMA Masaru
Année:
1977
Studio:
Nikkatsu
Genre:
Pinku-eiga
Avec:
YUKO Asuka
HIDEAKI Esumi
EZAWA Moeko
KUWAYAMA Shoichi
 dre

Sans âme

Plus connu pour ses œuvres à tendance SM qui firent sa réputation à l’étranger, la filmographie de Masaru Konuma révèle un champ de thématiques bien plus vaste traitant aussi bien de la comédie que de récits réalistes. L’adaptation de la nouvelle Shojo Jigoku (L’enfer des jeunes filles) de Kyusaku Yumeno lui donne l’occasion de brosser un portrait de jeunes femmes ancré dans le monde scolaire du début du XXème siècle. Une peinture où l’exploration des traumas et dérives sexuelles se double d’un sous-texte fantastique et psychanalytique typique de l’univers du romancier (déjà porté à l’écran avec Dogura Magura de Toshio Matsumoto et plus récemment Le labyrinthe des rêves de Sogo Ishii). Kyusaku Yumeno est ainsi connu pour ses récits métaphoriques où la frontière entre réel et fantasme est savamment entretenue par des échappées surréalistes et libératoires. Période charnière de l’histoire japonaise, le début de l’ère Showa pendant laquelle vécu l’auteur se trouve être un terrain propice à l’ancrage de récits jouant à plein sur la mise en parallèle des cultures japonaise et occidentale et de leurs multiples interconnexions.

Rejeton du genre roman-porno, le film de Konuma constitue donc une adaptation tout sauf surprenante d’un univers où les névroses sexuelles trouvent un matériau riche à illustrer. Construit sur une base de huis-clos, Shojo Jigoku compose un récit centré autour de deux pôles distincts : deux jeunes élèves au passé douloureux tentent d’oublier leurs traumas enfantins en nouant une amitié indéfectible, à l’opposé un professeur et proviseur lubriques incarnent leur versant négatif. Dans un premier temps, la composante érotique se manifeste via la perversité de ces hommes n’hésitant pas à commettre séparément un viol sur leurs fragiles protégées.  Par la suite, la relation fusionnelle entre les jeunes filles débouchera sur des relations saphiques présentées tant bien que mal comme catharsis. Un schéma bien primaire auquel Konuma ne fait qu’ajouter un simple travail d’illustrateur échouant à ménager des scènes d’introspections au profit d’un usage intensif de symboles dénués de substance. D’une durée relativement longue pour le genre (1h30), le film se caractérise par sa nonchalance voulant sans doute signifier le sentiment d’abandon et de solitude des deux personnages. Malheureusement, Konuma a trop souvent tendance à inutilement étirer les scènes et parasiter ce portrait par l’introduction de séquences quelconques centrées autour des deux adultes mâles qui ne sont ici que des prédateurs sexuels unidimensionnels. S’y ajoute l’interprétation très moyenne de la distribution conférant un aspect superficiel encore plus pénalisant au traitement de ce projet s’articule autour d’une retranscription ‘sensible’ des évènements.

Konuma recourt abondamment à la mise en exergue de la composante occidentale ici assimilée à un élément déliquescent ; lors de plusieurs scènes clés, on y voit le professeur, croyant catholique, se retranchant dans une église. Ce même sanctuaire se voyant bientôt l’objet de profanation symbolique par les deux élèves en quête de revanche. L’occident est de même abondamment signifié par un recours à un décorum baroque fait de costumes européens, d’une église et son cimetière ainsi qu’une lancinante mélodie au piano appuyant l’aspect intemporel du récit. Malheureusement, ce décorum échoue à tisser autre chose qu’un environnement factice sans implications concrètes. Reste des échappées surréalistes qui à plusieurs reprise insufflent l’étrange à un canevas bien trop linéaire. Des fulgurances jouant la carte de l’esthétisme figuratif où se dessine enfin l’univers de l’auteur. La nature y trouve un rôle central assimilé à une sorte de sanctuaire hors du temps signifié par d’élégants panoramiques noyant les élèves dans le cadre. La composition du cadre fait alors un usage convaincant des contrastes graphiques aux couleurs douces s’opposant aux noirs profonds de l’internat : un lac aux reflets bleutés idylliques, de grandes étendues de champs fleuris à la verdure apaisante. En complet décalage, le final transporte le récit en pleine montagne désertique où les jeunes filles s’immolent pour se muer en un ballon libre s’échappant dans le ciel.

L’incursion dans le pur domaine horrifique s’ajoute aux rares motifs de satisfaction. Ainsi une saisissante séquence d’avortement surnage aisément du métrage de par sa capacité à enfin pointer le malaise et l’hystérie rampante de ses protagonistes. Par la suite se noue la revanche des infortunées ; les élèves persécutant leur violeur livrent des séquences aux accents fantomatiques : un tramway fou poursuit l’agresseur, des détails morbides accentuent la tension (statue aux atours mortifères, gros plan sur le cadavre calciné d’une élève), de longs travellings fluides imagent la présence d’esprits omniscients, des apparitions typées kaidan rythment la seconde partie du film. Ce travail graphique sur l’opposition bien/mal se trouve pourtant mis à mal par un montage aux trop nombreux faux raccords et par un usage de la caméra portée injustifié et bien maladroit ; une atmosphère qu’une bande-son convaincante soutient tant bien que mal par ses sonorités modernes et électroniques résolument maladives. En ressort un bilan mitigé pour une œuvre superficielle au potentiel pourtant riche ; nul doute qu’un cinéaste tel Noboru Tanaka aurait su recourir à ses talents de plasticien pour figurer l’introspection des personnages et appuyer leur détachement. En l’état ne reste qu’un produit platement illustratif aux lacunes nombreuses.   

 

Martin Vieillot