.Hiroko Govaers, entretien et réflexions
 
 
Nouvelle Vague Japonaise : Terayama & Co

Vous avez beaucoup côtoyé les cinéastes de la Nouvelle Vague. Pourriez vous nous retracer leur parcours ?


hatsukoi jigokuhen - hani (1968)
A l’heure actuelle, il n’y a pratiquement plus de films de studio, et la plupart des réalisateurs travaillent de façon indépendante. Mais à l’époque, la plupart des salles d’exploitation au Japon étaient contrôlées par de grandes compagnies : La Toho, La Daei (qui a disparu), la Shochiku, et la Toei, qui y diffusaient les films qu’elles produisaient. Pour entrer dans une Major de cinéma, il fallait passer un concours d’entrée pour devenir assistant réalisateur, après avoir été diplômé de l’université. Ca n’est pas du tout comme en France où on commençait à travailler bien avant 18 ans en tant que stagiaire, ou coursier, avant de devenir membre de l’équipe technique. Les réalisateurs de la Nouvelle vague, et même les plus anciens, ont au moins un niveau maîtrise. Ce n’est souvent qu’au bout de 10 ans que les grandes compagnies donnaient aux assistants réalisateurs une chance de réaliser un film. Prenons l’exemple d’Oshima. Il est entre comme assistant à la Shochiku. En 1959, il a eu l’opportunité de réaliser son premier film, et a débuté sa carrière avec le Quartier de l’amour et de l’espoir, puis a réalisé 2 ou 3 films pour la Shochiku. En 1960, il a sorti Nuit et Brouillard du Japon, film politique et anti-establishment, à une époque où il y avait beaucoup de manifestations étudiantes, et à cause duquel la Shochiku l’a limogé. C’est comme cela qu’il est devenu indépendant. Yoshida et Shinoda, qui eux aussi étaient à la Shochiku, ont connu le même parcourt. Le cas de Hani est différent, parce qu’il était un enfant de bonne famille. Son père était écrivain et éducateur connu a l’époque. Il a commence à faire des courts métrages et des documentaires de sa propre poche (enfin celle de ses parents…). C’est comme ça qu’il est devenu réalisateur. Ce sont ces gens là qu’on appelle au Japon la “Shochiku Nouvelle vague ”.

Vous étiez très proche de Shuji Terayama. Pouvez vous nous raconter comment l’avez vous connu et comment ce cinéaste singulier fut reçu et compris en occident ?

Terayama a lui un parcours complètement différent, et est arrivé beaucoup plus tard en tant que cinéaste. En 1966, il était déjà connu en tant que poète dans un style traditionnel japonais, pour lesquels il a obtenu quelques prix littéraires. Il était surtout un homme de théâtre. C’est à cette époque qu’il a fondé ce qu’on appelle Tenjo Sajiki, c’est à dire le Laboratoire de Théâtre. Tenjo Sajiki signifie les sièges les plus hauts du théâtre, c’est la traduction japonaise du film les “ Enfants du Paradis ”. Il était le chef de cette troupe théâtrale, écrivait les pièces, et les mettait en scène. Lors des représentations, il faisait jouer ses acteurs, mais faisait aussi participer le public. “ Toi, vient ici, monte sur la scène ! ” était tout à fait son style. Coté carrière cinématographique, il a réalisé l’empereur Tomato Ketchup, un court métrage, en 1970, avant de se lancer dans son premier long métrage : Jetons les livres, sortons dans la rue en 1971. Comme son titre l’indique, Il s’agit d’un film contestataire : “ Cassons et brisons tout ”.Il a ensuite réalisé Cache Cache Pastoral en 1974, puis deux autres longs métrages, dont Fruits de la passion, soit 4 au Total. Tous ces films sont sortis à Paris, mais avec un public limité.


Empereur Tomato Ketchup - 1970

Cache cache pastoral (1974)

Terayama était en tournée en Europe avec son groupe théâtral quand je l’ai rencontré. Il est passé par Paris, ou il m’a été présenté. Nous nous sommes donné rendez-vous dans un café du quartier latin. J’avais beaucoup aimé le film Jetons les livres, sortons dans la rue. Il en avait amené les bobines avec lui, et celles-ci l’encombraient beaucoup dans sa chambre d’hôtel. Il m’a dit qu’il ne savait pas comment le montrer. Alors d’une part, j’ai programmé le film Rue d’Ulm, et je l’ai proposé au festival du film d’auteur de Bergame en Italie. Le siège était à Bergame, mais le festival était à Saint Remo. Je n’ai pas pu m’y rendre moi-même parce qu’à l’époque, j’avais deux enfants en bas age, mais Terayama est allé défendre le film, qui a eu le Grand prix, qui consistait en une importe somme d’argent en lires italiennes (quelques millions), enveloppées dans du papier journal.

Terayama m’a été reconnaissant, mais ça l’a surtout dépanné : Sa troupe était composée de jeunes acteurs autour desquels éclataient beaucoup de scandales. Lors d’une représentation, un acteur est descendu de la scène dans le public, et a mis le feu à la jupe d’une des spectatrices. La troupe a dû payer des dommages et intérêts à cette dame avec cette somme d’argent gagnée à Bergame. C’est à cette époque que notre amitié est née, et que j’ai commencé à m’occuper de ses films. Vers la fin de sa vie - il est mort en 1983 -, je me suis aussi occupée de ses tournées théâtrales en Europe et à New York, etc. Notre collaboration a duré un peu plus de 10 ans.


Shuji Terayama et Hiroko Govaers

Les performances théâtrales de Terayama n’ont été présentées à Paris que beaucoup plus tard, sauf une expérience dans les anciennes Halles de Paris qui étaient fermées à cette époque, soit une forme d’entrepôt délaissé. Ca n’est que quelques mois avant son décès qu’une de ses pièces a pu être présentée dans la capitale française. J’ai mis plusieurs années à essayer de convaincre le Festival d’Automne, qui finissait toujours par refuser en dernière minute. C’est finalement en automne 1982 que Terayama a pu mettre en scène Instructions aux Domestiques. Au niveau Européen, la troupe de Terayama est souvent passée en Yougoslavie grâce au festival de théâtre qui s’appelait Bitterfull, ainsi qu’en Pologne, et surtout Amsterdam, ou il y avait un théâtre qui s’appelait Mickery, qui a fermé maintenant. Le directeur qui s’appelle Ritsaern ten Cate, était vraiment ouvert aux nouveaux spectacles, jeunes talents, etc, et a présenté des pièces de Tenjo Sajiki environ une fois par an . Un jour, Terayama m’a demandé d’être productrice déléguée pour son second film Cache Cache pastoral. J’étais étonnée: je n’avais aucune expérience dans le domaine, même pas technique. Mais quand je lui ai dit, il m’a répondu que de toute façon, produire un film, c’était toujours comme la première fois. C’est comme ça qu j’ai signé en tant que productrice déléguée. Anatole Dauman, de Argos film, avait été le producteur de l’Empire des Sens de Oshima. Comme il avait entendu parler de Terayama, il lui a proposé de produire Fruits de la Passion, qui est considéré comme le “ mauvais film ” de Terayama. Là aussi j’ai été désignée…je ne sais pas quel titre j’ai sur l’écran…Disons, producteur délégué.


Dessin de Terayama (Expo Shanghai 1981)
Très souvent, même si je ne suis pas tout à fait d’accord avec ces propos, certains critiques japonais disaient que Terayama était beaucoup plus connu à l’étranger qu’au Japon. Ca n’est à mon avis pas tout à fait exact parce qu’au Japon comme en France, on retrouve le même type de public d’initiés, vraiment intéressées par ce genre de nouveautés et d’avant-gardisme, complètement fidèles, véritablement engagés en tant que spectateurs et pas du tout le grand public. Leur accueil au théâtre et aux films de Terayama a toujours été très chaleureux. Le dernier film de Terayama lui tenait vraiment à cœur. Il a presque réussi à le réaliser, mais il était presque au lit. On apportait le matelas pneumatique sur le lieu de tournage, et il est décédé quelques mois après. Encore maintenant, certains metteurs en scène mettent en scène des pièces de Terayama, et il y a des évènements autour de sa personne chaque année, soit à Tokyo, soit dans sa région natale au Nord du Japon, notamment au mois de mai, qui est son mois de décès. Ma collaboration avec Terayama est allée plus loin que celle que j’ai pu avoir avec Hani, Wakamatsu ou avec Oshima, ou les autres cinéastes de cette génération, où les relations sont restées professionnelles, amicales et respectueuses. Avec Terayama, c’était vraiment quelque chose de différent.

 

Propos recueillis par Caroline Maufroid le 4 février 2006. Chaleureux remerciements à Mme Govaers.