.Teruo Ishii : les années noires
 
 
Yellow Line (Teruo Ishii, 1960, Kousen Chitai)

Pour ce premier opus, nous suivons un tueur piégé, ici Shigeru Amachi, qui sur le chemin de sa vengeance va faire la rencontre d'une mignonne jeune femme, Yoko Mihara, danseuse devant se rendre à Kobe pour un nouvel emploi dont elle ignore en fait la finalité. Le trio se complète avec un journaliste, Teruo Yoshida, parti officiellement enquêté sur le réseau « Yellow Line », mais aussi à la recherche de sa petite copine, enlevé par un tueur en fuite Dès le générique, le ton donné semble noir, le fond sonore est une balade mélancolique jouée à la guitare d'influence hispanique, puis un homme explique les détails d'un travail à un tueur, la caméra s'ouvre sur un gros plan du bonhomme pour s'élargir et montrer les deux hommes, l'un de face, l'autre de dos, le tueur, pour enfin se concentrer sur une paire de clés d'un hôtel du nom de « Domino » en gros plan. Avec une ouverture pareille, Teruo Ishii précise clairement le schéma de son film, il nous montre l'essentiel en quelques minutes. D'une situation apparemment sous contrôle les personnes vont se perdre dans un labyrinthe, se faire piéger, rencontrer des difficultés pour arriver au final, à la délivrance pour certains, à la porte de sortie pour d'autres. Teruo Ishii dispose de l'avantage d'avoir un script complet dans lequel il emmêle les personnages, chacun se rencontre, se croise sans pour autant se connaître. Il s'amuse à faire côtoyer les pires ennemis, sans que ces derniers soient au courant, profitant du hasard. C'est aussi parce qu'il nous propose une riche galerie de personnages, allant de la vendeuse de cigarettes à la prostituée ou bien encore la gérante d'un hôtel miteux sans oublier un vendeur de chaussures un peu à la traîne.


L'apogée de l'histoire se trouve dans la casbah de Kobe, parfait microcosme d'un monde hors frontières connues, dans lequel aussi bien les hommes que les cultures s'entrechoquent. Teruo Ishii prend d'ailleurs soin de créer le parallèle entre cette coquille et le monde urbain présenté au début du film comme émotionnellement froid et distant, avec ces larges rues et ces cabines téléphoniques permettant d'une certaine façon de relier les hommes entre eux. Il se dégage de la casbah une atmosphère étrange, indéterminable avec ses ruelles serrées plongé dans la lumière artificielle ou le plus souvent dans l'obscurité. Par moment, l'endroit donne l'impression d'être une sorte de rêve aux allures de cauchemar, personne ne se plaint ou du moins personne n'ose le faire ouvertement, tout en sachant les activités peu recommandables de chacun. L'un des rares à s'exprimer est un poète déchu complètement saoul, qui sous la pluie en pleine ruelle vend son livre tout en urinant là où peut et en contant ses histoires. Dans ce microcosme à l'abri du regard de la justice se dessine la toute puissance de la Yellow Line. Vu le contexte de cette zone, on n'arrive difficilement à saisir ses limites tant tout semble être corrompus et pourris par la prostitution. Ce qu'offre ce réseau ? Des jeunes femmes séduisantes aux étrangers. Voilà, la casbah est une twilight zone accaparée par la pourriture, ni les japonais, ni les étrangers n'en ressortent indifférents.


Il est surprenant de voir que qu'avec ce premier opus, Teruo Ishii arrive parfaitement à décrire son sujet, il ne fait aucune concession à cet endroit malfamé dont d'ailleurs les règles de vie, strictes, ne font pas de rescapés. On peut penser à cette jeune sud-américaine, du moins on le devine vu la dose de maquillage qu'elle a sur sa figure, tombée dans la prostitution après être tombé amoureuse d'un jeune japonais ambitieux. On pense aussi à notre tueur, lui qui nous raconte son passé d'orphelin élevé dans la misère avec comme seule porte de sortie le crime. En fait, les individus sont laissés maître de leurs décisions, il n'y pas de prise de parti à l'inverse des épisodes suivant qui s'attacheront beaucoup plus à un couple de personnages principaux. Ici, une fois arrivé à Kobe, la narration se fait plus librement, allant du côté de notre tueur pour le délaissé au profit du journaliste et s'arrêter en route sur la danseuse. Teruo Ishii divise sa narration sans l'enfoncer dans un tourbillon brouillon, il conserve une logique grâce aux nombreuses rencontres de personnages qu'on a souvent pu déjà croiser. Épisode sombre en couleur, à l'ambiance mélancolique, Yellow Line surprend par sa sobriété et son regard noir sur les Hommes, il n'y a en effet que très peu d'artifices ou d'effets spéciaux pour quelques meurtres finalement anecdotiques. Ce que fait Teruo Ishii, c'est laisser les hommes face à eux-mêmes, plongés dans un microcosme étrange et malsain, leurs servant de prétexte à leurs pires ordureries, oubliant qu'ils en sont les envahisseurs
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