Fire Line (Hiromichi Takechi, Kasen chitai, 1961) Scénario de Teruo Ishii
L'empreinte de Teruo Ishii sur le film se ressent au niveau d'une ambiance toujours à la limite entre la naïveté bon enfant et un sérieux dramatique. Conçue comme une balade sympathique au cœur d'une ville japonaise, l'histoire de ces jeunes arnaqueurs découvrant la liberté et l'amour laisse pourtant entrevoir une tout autre réalité bien moins joyeuse, même ironique, sur l'état de l'époque. Après tout, les personnages principaux sont des petits voleurs amenés à affronter un puissant gang de yakuzas bien implanté, et pourquoi ? Par amour ! Comme à son habitude, Ishii délaisse une vision moralement acceptable pour s'intéresser à l'envers du décor, quitte à user de l'humour pour amoindrir la noirceur de ce regard.

Un jour, n'importe lequel, dans un champ de course en fête, Kenji et Shinichi arnaquent les parieurs du dimanche en donnant de faux indices tout en usurpant la couverture du gang Kajikawa, un inconnu à l'allure sympathique vient les aider d'une façon intéressée. Pour les deux gus, la matinée a été plutôt bonne, il est l'heure de continuer de s'amuser, d'aller boire un coup, de fêter sa jeunesse. Mais nul n'est censé ignorer les règnes d'un gang, personne ne peut se moquer d'eux sans rester impunis. Pour les deux jeunes hommes, la journée prend un tournant inattendu, une course-poursuite s'engage dans les ruelles, on sort le pistolet, on tire, on se sauve. Et quand on croit être sauvé, on tombe sur notre fameux inconnu qu'on croyait avoir plumé. Sous les traits de Shigeru Amachi, on découvre un homme moqueur, du genre à savoir profiter de sa vie. Lui aussi est armé, les pauvres jeunes garçons se laissent berner par un pistolet-briquet. Ces quelques minutes de film nous plonge dans un univers loufoque presque irréaliste où tout semble possible, il y a comme un sentiment de nouvelle vague dans cette histoire. Les deux garçons ont une vie libre, on ne connaîtra jamais tout d'eux, leur histoire passée n'existe simplement pas, ils vivent devant nous un présent riche en aventures et rebondissements, à la recherche d'un travail, d'un groupe, d'une appartenance.
C'est suite à la rencontre improbable avec la femme séduisante du chef du gang Shigemori qu'ils vont être recruté par cette famille. L'après midi passé avec cette femme, du nom de Yumi, est complètement libre. Les trois jeunes gens roulent en voiture, ils boivent un soda, et rigolent de bon cœur tout en étant baigné dans une ambiance jazzy, ils se dirigent vers un club pour profiter d'une soirée folle durant laquelle les garçons ridiculiseront les amoureux du dimanche, comme cette pauvre femme qui se retrouvera en petite tenue après avoir vu sa robe déchiré par l'un des odieux jeune fou.
Oui mais voilà, ils sont encore rattrapé par une réalité, dans un club appartenant à un gang, on ne rigole pas. Coup de pot, leur vivacité surprend dans ce monde du gang étriqué, aussi bien dans les costumes que dans les manières, la jeunesse fait défaut, on la déteste, alors utilisons là à notre avantage. Piégeons la.
Comme déjà dit plusieurs fois, chez les gangsters il y a des règles proches d'un cercle vicieux duquel on n'échappe pas, pas même les premiers intéressés, paradoxe ou réalité trop souvent oublié. Un traître est un donc un homme mort. La jeunesse qui pensait avoir trouvé refuge dans une organisation solide, qui se voyait déjà gravir les échelons, se retrouve du jour au lendemain livré à elle-même, comme depuis toujours pourrait-on dire. Et c'est dans ce moment là, croyant que tout est plus ou moins perdu que l'histoire prend son ampleur. Car des seuls à comprendre un minimum la jeunesse, il y a bien cette femme lassée d'être le porte manteau d'un chef sans charisme et sans force qui tombera dans les bras du jeune Shinichi, mais il y a surtout cet inconnu fou, cet électron libre. Shinichi deviendra son ami, comme un nouveau couple, les deux hommes apprennent à se connaître, à se confier mutuellement leurs idées.

Le script de Teruo Ishii base tout sur ces trois personnages, on suit avec intérêt leurs mouvements dans une ville à l'ambiance presque orinique, ces personnages nous sont sympathiques, qu'il s'agisse de Shinichi, un jeune homme découvrant la vie, de l'inconnu dont le rêve est de partir en Amérique du Sud et de Yumi, femme desesperée par sa médiocre vie de femme de chef. Tous ces personnages cherchent une sortie magistrale de l'emprise d'une ville régie par des impératifs et codes immoraux et finalement sans grande ambition, si ce n'est l'argent. Les hommes batifolent et se pensent être libres quand l'argent s'impose comme le seul véritable maître de leurs vies. Il faut avouer que l'histoire met à profit d'une honnête façon les personnages et leurs sentiments, créant une interaction intéressante dont il découle de la passion inavouée, du désir, de l'amour, du respect, de la folie, du rêve.
Mais n'oublions pas le monde des gangsters qui domine principalement ce film. Cet univers là est violent, sans pitié, il s'avoue sans complexe être dominé par l'argent. C'est sa première volonté, l'argent, la puissance et le pouvoir. C'est aussi, comme souvent, les gangsters qui creusent sans le savoir leur propre tombe, pensant bêtement être au-dessus de tout. Le succès du film réside en sa galerie de personne traversant des situations diverses, certaines assez folles comme la double filature qui se termine au poste de police, ou les rencontres dans la chambre d'hôtel et enfin les fusillades, manipulations, jeux de pouvoir. Du côté de la réalisation, c'est sobre, jouant assez simplement avec les contrastes noir et blanc sans en abuser, l'important c'est après tout l'ambiance libre et décomplexée du film. On pourra être séduit par ce Fire Line, qui s'il n'a rien de transcendant propose un résultat sympathique avec néanmoins quelques temps morts. Ce film est un morceau honnête d'absurde et de folie qui peut pêcher de par son manque d'enjeux ou peut-être d'ambition. La raison de la jeunesse semble être sa facilité d'adaptation à cette bizarrerie ambiante.
Avec ce regard sombre, Teruo Ishii détourne l'apparence habituellement calme et heureuse du Japon pour y dévoiler la réalité des oubliés et des rejetés. Pour le moment, son approche sobre exploite le fil de l'ironie mais bientôt il se jettera dans la surenchère excessive de la violence pour souligner les maux et perversion d'un pays. Vous avez dit changement radical ?