.Teruo Ishii : les années noires
 
 

Sexy Line (Teruo Ishii, 1961, Sekushi chitai)

Son jazzy, générique composé de photos découpées de magazines et d'écritures manuscrites, une ville de nuit, une horloge. Teruo Ishii continue dans la lignée des autres épisodes, il pose ici dès l'ouverture son ambiance, mixte de folie, de rêve et d'une réalité peu glorieuse. À la manière d'un film noir, il se tourne vers ces faces ignorées des villes, là où la prostitution, la drogue, les bandits dominent. Néanmoins, pour ce dernier opus, il porte un regard plus optimiste en cloisonnant ces groupes non pas à un monde souterrain puissant parcourant toute la ville, mais à une petite organisation frauduleuse prisonnière de ses locaux. Car ce que filme Teruo Ishii, c'est avant tout les individus, les corps en libre mouvement dans cette ville. La base de son sujet peut rappeler plus ou moins l'un des chef d'œuvres du film noir américain, une pickpocket, incarnée par Yoko Mihara, bouscule la vie d'un rédacteur en le faisant passé comme son complice de vol. Le jeune homme se retrouve à son travail avec une étiquette de pickpocket, l'obligeant à quitter la ville pour Osaka. Pire, il se retrouve accuser d'avoir assassiné sa petite copine. C'est alors qu'il décide de partir enquêter, aux côtés de la pickpocket, devenue son amie. Ils découvrent l'envergure du crime, une organisation de « call-girls » est derrière

De Pickup on South Street , Teruo Ishii conserve avant tout le rôle du pickpocket embarqué dans une haute affaire, le groupuscule communiste laisse place à un club de prostitution, et Richard Widmark cède son rôle à la très vivante Yoko Mihara, actrice récurrente de la série. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle rend hommage à l'interprète d'origine, à l'insouciance et le goût pour la provocation, elle ajoute son charme féminin, qui lui permet de voler véritablement la vedette au pauvre journaliste en détresse. Les ressemblances s'arrêtent pratiquement là, il faut oublier la réflexion sur les castes et les hommes du grand Sam Fuller pour arriver à un film plus modeste à l'ambiance légère et agréable. Tout comme Black Line , le personnage masculin principal est fade, il s'agit encore une fois d'un journaliste pris dans un rouage infernal qui souhaite avoir le dernier mot. D'une façon assez mécanique, il parcoure le film au rythme des indices, prenant rarement d'initiatives, il est surtout guidé par son désir de la justice. Il n'a ni le grain de folie, ni la présence de son acolyte. Il semble être un simple prétexte, un simple corps en mouvement dans les limbes de la ville. L'homme n'a rien de surprenant, il est banal et sans vices, sans surprises et finalement assez prévisible dans ses émotions. Peut-on parler de pantin ? En tout cas, l'idée de ce personnage demeure intéressante, un homme vierge et intègre confronté à des problèmes déstabilisant sa vie déjà toute tracée, sorte de modèle d'un salaryman.

Si Teruo Ishii sème au début du film des points laissant penser à un regard critique sur la société japonaise de l'époque, il s'en détourne très vite. Il y a avait pourtant l'idée du salaryman et de l'organisation de « call-girls » tenant les principaux cadres et responsables des sociétés de la ville. D'un côté un homme qui vit principalement pour son travail où il rencontre d'ailleurs celle qui devait être sa future épouse, ignorant tout du monde qui l'entoure, de l'autre les grands patrons japonais en apparence dignes, respectables dirigeant d'une main de fer leurs affaires qui une fois la nuit tombée s'empressent d'aller, avec excitation, retrouver la midinette de leurs rêves, pliant à la moindre de ses exigences. De même en ce qui concerne la pickpocket, il élève au rang de personnage principal une voleuse cherchant sans cesse une proie dans les bons quartiers, certes elle nous est très rapidement sympathique mais reste une voleuse. De cette matière intéressante sur les Hommes, Teruo Ishii n'en fait rien ou presque, puisqu'il se limite entre autre à faire rencontrer notre journaliste avec la pickpocket, ainsi deux mondes se rencontrent, sans pour autant se compléter…

Sans approfondir ces thèmes, Teruo Ishii utilise principalement ces symboles pour créer des situations comiques. Par exemple on peut penser à cette scène dans laquelle notre couple piège une pauvre call-girl, devenant ainsi extorqueurs d'informations, faussement armés. Ou plus marquant, avec l'usurpation d'identité de call-girl par la pickpocket qui piège un vieux bonhomme trompant impunément sa femme en lui faisant croire qu'il va faire du golf, il ramène d'ailleurs des brindilles d'herbes pour prouver sa bonne foi! Mais l'un des atouts de ce film, est certainement sa mise en scène. Outre placer son action à 90% de nuit, il montre son savoir faire en gérant admirablement bien les mouvements des individus dans cet espace urbain, aussi bien à l'intérieur des immeubles que dans les rues. De nuit, il nous montre des rues vastes plus ou moins désertes, avec un danger omniprésent à l'image de la rencontre d'un homme suspect qui demande simplement du feu. De jour, il coince ses personnages dans une foule ou dans des ruelles proche d'un labyrinthe, enchaînant à ce propos des gros plans sur des enseignes diverses renforçant le sentiment d'enfermement.

Encore de jour, il se permet une somptueuse scène, simple dans sa forme, sur un toit d'immeuble, du même genre que celui du final de La Maison de Bambou , un autre Fuller. Il s'agit de la rencontre entre le journaliste et de son patron, à cette hauteur il n'y a pas grand monde, on domine l'ensemble de la ville, le lieu est propice à une discussion d'affaire ! Teruo Ishii cadre fixement le dialogue à son apogée, les deux protagonistes restreint par ce plan fixe alors qu'ils sont en pleine domination du monde, vont bouger de façon à s'échanger de place, et par conséquent de rôle. Si les deux individus sont socialement de rangs différents, ils restent pourtant placés à la même enseigne au niveau de leurs émotions. Ils sont tour à tour, en position de force et de cocu, avant que l'un d'entre eux décide de quitter le cadre et d'abandonner l'autre à son existence. Les exemples ne sont pas rares pour montrer que Teruo Ishii enrichi son film avec une mise en scène nous offrant toujours quelque chose de bon à voir et à prendre. Sur un propos assez simple et basique, il fait preuve d'une maîtrise surprenante pêchant à quelques moments par sa trop grande liberté. Sexy Line se rapproche de par son ambiance jazzy légère en complète roue libre de Fire Line , néanmoins en sacrifiant les quelques thèmes du film, en les réduisant presque au néant, comme cette organisation qui s'avère être ridicule au point de devoir attendre l'heure de fermeture pour agir, point d'ailleurs largement appuyé par Teruo Ishii, le film se retrouve finalement orphelin. Il reste une ambiance sympathique, un regard amusé et optimiste sur la ville et des idées visuelles à la pelle pour nous combler… Mais surtout un brillant hommage au film noir américain