.Cinéma & Japon : les livres
 
 

Behind The Pink Curtain [Jasper Sharp, 2008, Edition Fabpress]

Genre emblématique du cinéma japonais, le pink-eiga (cinéma érotique) n’avait jamais reçu jusqu'alors le traitement qu’il méritait. Grand absent des grands ouvrages dits de 'référence', les seuls échos qu’il reçut furent dans des publications mineures livrant une vision parcellaire et déformée de ses seuls aspects cultes et outranciers.  Behind The Pink Curtain vient enfin réparer ce manque en s’attachant à un traitement ambitieux du genre, de ses origines jusqu'à ses récentes productions.

Découpé chronologiquement en une dizaine de chapitres, le plan de l’ouvrage parvient à offrir une vision claire d’un historique riche et mouvementé.  S’il procède à l’analyse des cinéastes et films importants, Jasper Sharp propose aussi un regard richement documenté sur une industrie en marge, de ses studios en passant par ses modes de fonctionnement spécifiques. Genre né marginal, l’importance du cinéma érotique ne peut en effet s’apprécier qu’au regard  de ses particularismes et de leurs influences qui trouveront progressivement échos dans l’industrie cinématographique entière. Une passionnante étude où l’on découvre l’importance capitale de personnages de l’ombre et où la notion de ‘cinéma indépendant’ apparait dans toute sa complexité.

Débutant par une nécessaire mise au point sur la définition du pink-eiga, à savoir un genre défini autant par ses thématiques érotiques que par son mode de production et de distribution, l’ouvrage se penche ensuite sur le cas de Mitsugu Okura, producteur qui dès les années 50 s’attacha à moderniser le cinéma d’après-guerre en y injectant des germes érotiques qui exploseront littéralement la décennie suivante. Da la série de films sur les ama (plongeuses sous-marines) en passant par la faillite de son studio et son rebond amenant la naissance ‘officielle’ du genre en 1962, on découvre les premiers pas d’un genre qui se construit thématiquement et structurellement par opposition aux grands studios ‘nobles’. Une large part est également accordée au versant politisé d’un genre prenant les traits de films militants. On y discute de l’existence du motif politique comme simple ‘gimmick’ ambigu avant de se pencher sur les figures emblématiques de Koji Wakamatsu et de Masao Adachi dans deux chapitres distincts mettant bien en évidence les trajectoires liées de deux cinéastes aux parcours et thématiques distincts qui pourtant s’influenceront l’un l’autre.

Le cas Nikkatsu y est ensuite traité, ou comment le déclin des grands studios prend bientôt les atours de grande récupération et où les éléments érotico-violents jusqu’alors cantonnés aux seules salles obscures ‘roses’ débarquent à une échelle mainstream. Si le chapitre sur période critique de reconversion la Nikkatsu est bien amené, le traitement du ‘roman-porno’ en général reste malheureusement assez décevant car se limitant à la seule étude de quelques films clés de réalisateurs importants. Le traitement de la décennie 70 se voit heureusement étendu à l’étude d’autres aspects transitionnels tels l’émergence de thématiques violentes et sensationnalistes (la figure de gaijin), l’apparition de la vidéo, et des tentatives de diversification à l’international – passionnant chapitre où l’on découvre l’existence de tout un circuit de distribution complètement ignorés par les historiens du cinéma.  Une phase transition s’achevant sur la décennie ‘excessive’ des années 80 marquant l’impasse d’un genre mais aussi paradoxalement sa renaissance.  Par la suite, près de 100 pages sont consacrés à la période  ‘moderne’ de renouvellement où éclot le pôle d’auteurs du Shi-Tenno (portraits des 4 cinéastes) portés sur l’exploration de thématiques nouvelles et personnelles et amenant le cinéma pink en dehors des circuits classiques. L’apparition du cinéma gay (via l’entremise du studio ENK) y est également discutée via moult détails éclairants sur un cinéma de niche à l’équilibre extrêmement précaire. L’étude de l’après- Shi-Tenno parvient également à saisir de belle manière l’évolution de cette ‘nouvelle-vague’ et  de s’interroger sur l’avènement d’une ère incertaine où les schémas classiques de distribution sont plus que jamais mis-à mal.

Ouvrage ambitieux de plus de 300 pages, Behind The Pink Curtain parvient à retracer les grands axes de développement du genre et s’impose sans mal comme la référence incontournable pour l’amateur souhaitant passer de l’autre coté du rideau ‘officiel’.  On appréciera également l’approche neutre de l’auteur rompant avec la veine sensationnaliste de ses prédécesseurs, ainsi que l’accent mis sur les réflexions ouvertes où l’on évoque les limites et spécificités du genre (importance des producteurs, notion de cinéma de scénariste,…).On regrettera tout de même l'absence surprenante de sous-paragraphes qui auraient amélioré la visibilité des mouvements de l'étude en fournissant des points d'articulations bienvenus. Enfin, une riche iconographie illustre pertinemment le propos en proposant de nombreuses photos de films et de tournages, affiches et autres salles de cinéma dédiées.


Martin Vieillot - Mars 2009