.Cinéma de genre : l'influence Okura
 
 
Shin-Toho : histoire d'une naissance


Génerique de la Shin Toho
Avant d'acquérir sa propre autonomie, l'existence de la Shin-Toho est tout d'abord intimement liée à celle de la maison mère Toho. Fondée en 1936 par le riche homme d'affaire Ichizo Kobayashi fusionnant la P.C .L. et la J.O ., la Toho occupe vite une place majeure dans la production et la distribution cinématographique nippone. La seconde Guerre Mondiale se révèle une période active pour le studio, en effet la Toho participe à plein dans l'effort patriotique en livrant des films de propagande militariste. A l'heure des comptes avec l'occupant américain, c'est l'après-conflit qui causa les plus grandes difficultés à la compagnie de Kobayashi. Aux explications demandées par le général MacArhur (le réalisateur Kajiro Yamamoto est considéré comme criminel de guerre), viennent trois vagues successives de grèves qui enfoncent le studio dans la crise (mouvements impliquant, dans une moindre mesure, les studios de la Daiei et de la Shochiku ). Menées par des syndicats où les communistes ont une forte représentation, les revendications vont au-delà de la simple amélioration du niveau de vie. Sont notamment réclamés une participation collective aux projets ainsi qu'un engagement thématique plus personnel. Lorsque se termine la seconde grève en décembre 1946, l'influence communiste sans cesse croissante commence à créer des tensions internes parmi les salariés. C'est en mars 1947 que se détache logiquement une branche dissidente lassée de ces conflits idéologiques (parmi eux les réalisateurs Kumio Watanabe, Nobuo Nakagawa et Torajiro Saito),. La Shin-Toho (‘Nouvelle Toho') est née. Charge à elle de représenter le versant commercial du studio et de rapporter la majorité des fonds, la maison mère se concentrant sur les films ‘nobles' et se chargeant de distribuer les productions estampillées Shin-Toho dans son réseau de salle. Dès le début, le destin de la Shin-Toho est ainsi explicitement lié aux impératifs financiers. Ce diktat de la rentabilité traçait une ligne éditoriale où les productions consensuelles et commerciales étaient préférées aux films difficiles ou peu vendeurs.

Dans le chantier de l'après guerre, l'élaboration des formules populaires reste encore en pleine expérimentation. En effet l'interdiction des jidai-geki (films historiques) aux valeurs d'exaltation jugées dangereuses touche indirectement les kaidan-eiga (films de fantômes). Privée de ces deux piliers commerciaux, l'industrie cinématographique se tourne dorénavant vers des histoires contemporaines. Dans ce délicat épisode de la reconstruction d'un pays meurtri, les shomin-geki (drames du petit peuple) et comédies musicales douces-amères occupent une large part des écrans nippons. Les premières productions Shin-Toho voient notamment les premiers pas de Kon Ichikawa dont les récit gravitent autour des structures familiales et du quotidien difficile. Avec à sa tête plusieurs producteurs au style propre tels Hideo Koi, Motohiko Ito, Ichiro Nagashima, la Shin-Toho livre un panel varié de formules populaires où l'on distingue les réalisateurs Kon Ichikawa, Nobuo Nakagawa, Koji Shima, Kiyoshi Saeki, Yasuki Chiba, Yutaka Abe. Jeune compagnie, la Shin-Toho réussi à s'inscrire dans le temps et à dégager des bénéfices tandis que la Toho reste encore handicapée par ses conflits internes et purges anti-communistes (1948). La Shin-Toho , désormais stable, grandit jusqu'à se voir confier des productions de réalisateurs vedettes de la maison mère : Mikio Naruse ( La mère , 1952), Heinosuke Gosho ( Les quatre cheminées , 1953 ) ; accueillant même les projets personnels de Kenji Mizoguchi ( Oharu femme galante , 1952) ou débauchant Yasujiro Ozu de la Shochiku pour des productions de ‘prestige' ( Les sœurs Munekata , 1950).


Les Aventures de Tobisuke

Lynch

Chien enragé

Plus ciblées vers l'audience masculine, les premières incursions du studio dans le genre du film-noir apparaissent sur les écrans en 1949. Chien enragé d'Akira Kurosawa, inspiré par le cinéma noir américain et les écrits de George Simenon, se distingue par son sous-texte social et ses séquences ‘documentaires'. Sur le sujet des yakuza émergeants de l'après-guerre, Lynch (Nobuo Nakagawa, 1949) offre une mise en abîme cinématographique où l'atmosphère prime sur le fond : travail sur les ombres, découpage et rythme, la tension des plans rapprochés. Ce même cinéaste polyvalent qui réalise la même année Les aventures de Tobisuke , une très remarquée comédie initiatique aux allures de parabole sur l'après guerre où se croisent géants, énormes araignées et champignons cannibales. A la fin des années quarante, la Shin-Toho n'est pourtant pas à la pointe de ce créneau ‘commercial' où la concurrence fait aussi preuve d'esprit d'innovation. La maturation de formules commerciales plus modernes et audacieuses est notamment bien visible chez le studio de la Daiei. Loin du Rashomon (1950) de Kurosawa, le studio accouche en parallèle de séries B qui surent grandement influencer la Shin-Toho dans la seconde moitié des années cinquante. Empruntant pour beaucoup aux codes des films noirs et fantastiques américains, la série de L'homme invisible (trois opus de 1949 à 57 dont une version Toho) est l'occasion de dépeindre un Tokyo d'entourloupes : personnages louches dans une ville aux ruelles sombres, péripéties et règlements de comptes aux poings ou aux pistolets, filatures plus ou moins maîtrisées, incursions dans des laboratoires secrets et cabarets aguicheurs et sulfureux. Aidé d'Eiji Tsuburaya, qui officiera en 1954 sur le Godzilla de Ishiro Honda, le recours aux trucages est une affirmation franche d'une ère moderne de films de genre. Le dernier opus de la série est notamment prétexte à la confrontation entre un homme invisible et un voleur qui inhale une substance mystérieuse afin, trucages à l'appui, de muter en mouche !. Dans la même veine moderniste made in Daiei, l'année 1949 verra atterrir dans les salles Le démon aux cheveux blancs cachant en fait un décalque de Dracula , ainsi que L'homme arc-en-ciel où un psychopathe drogue ses victimes à la mescaline avant de commettre ses forfaits. Plus novateur et symptomatique encore , Les griffes de fer (1951) synthétise les influences de Dr Jekyll et Mr Hide , Crime dans la rue morgue et King Kong , sans oublier d'y adjoindre nombre de danses sexy de cabarets. Le récit improbable suit les recherches de policiers traquant un tueur en série ayant trouvé refuge dans un nightclub. L'homme se trouve être en fait un ancien soldat mordu par un gorille (!) dans une île du Pacifique pendant la seconde Guerre Mondiale. Bientôt acculé par la police, l'homme se transforme en un gorille qui finira, inévitablement, sur le toit du bâtiment avant de faire une chute mortelle.


L'Homme invisible contre l'homme mouche

Les Griffes de Fer

Autant de pellicules improbables qui préfigurent la voie d'un nouveau cinéma populaire où l'amalgame d'influences étrangères se trouve directement insufflé dans un cadre japonais, des conséquences indirectes des directives ‘modernistes' de l'occupant américain. Ce contrôle étranger s'efface en 1952 lorsque les restrictions sont levées ouvrant ainsi l'âge d'or d'un cinéma japonais désormais libre. Le Shin-Toho tente donc logiquement de capitaliser sur le filon des films de guerres qui inondent les écrans après de longues années de silence imposé. Par le biais de drames tels Riru de retour de Shanghai (52) qui, basé sur une chanson populaire, narre le retour au pays d'une danseuse où elle retrouve l'Amiral Yamamoto l'ayant sauvé en Mandchourie ; Lettre d'amour (53) avec le retour d'un soldat découvrant sa femme maîtresse d'un officier américain ; Sur la queue des nuages (53) relatant les dernières heures de pilotes kamikaze ou encore Une nuit à Hawaii (54) où peu de temps avant l'attaque de Pearl Harbor, un jeune soldat est envoyé à Hawaï pour finalement tomber amoureux d'une belle nippo-américaine. Citons encore Le sous-marin Ro-Gou n'a pas fait surface (54) où un équipage se trouve prisonnier d'un bâtiment plongé vers les fonds marins ou encore La flotte de l'Amiral Yamamoto (55), une biographie de l'Amiral Yamamoto.


La Jeune faucheuse d'herbe

Profitant du relâchement progressif des mœurs, le studio livre en 1953 La jeune faucheuse d'herbes , un des premiers films où la thématique sexuelle est clairement apparente : geishas frivoles, fermières peu vêtues, numéro de strip-tease ambulant. Paradoxalement, le boom de l'industrie cinématographique locale se révèle loin d'être un catalyseur pour la Shin-Toho et annonce le début des difficultés. Les contres- performances des productions, le nombre de salles insuffisant alliés à l'apparition de studio concurrents (l'année 1954 marque l'émergence de la Toei et la reprise des productions Nikkatsu après une longue inactivité) plonge le studio dans la fragilité de ses débuts. Plus grave, son incapacité à capter l'air du moment l'empêche de rebondir et l'enferme dans des formules figées de plus en plus boudées par le public. Ratant le train du renouveau du jidai-geki qui fait le succès foudroyant de la Toei (hormis quelques réalisations de Daisuke Ito, transfuge de la Daei et ici seulement de passage), ne sentant pas venir la vague des films de jeunesse rebelle qui seront le créneau de la Nikkatsu , la Shin-Toho doit de plus faire face aux succès colossaux de la Toho ( Godzilla , Les sept samouraïs , les films de Misora Hibari,..) qui font bientôt tendre l'association inter-studios vers une simple relation de dépendance ne demandant qu'à rompre. En 1955, la Shin-Toho tente bien quelques incursions infructueuses dans le fantastique familial ( La revanche de Orochi et Noriko au dessus des nuages ) mais la tendance semble irréversible. Promis à une faillite prochaine, les têtes des producteurs ne tardent pas à tomber et la nécessité d'un électrochoc se fait de plus en plus pressante.