.Nikkatsu roman-porno : gloire et décadence
 
 

Une saison de la violence

1 - Tentations et alignement

Si le cycle des roman-porno fut dans un premier temps orienté vers une approche d'un matériau érotique noble, la tentation d'un cinéma d'exploitation facilement rentable s'est toujours inscrite à divers degrés dans la politique des grandes pontes du studio. Ainsi la première moitié des années soixante-dix voit logiquementi l'apparition de dérivés des 'pinky-violence' de la Toei et de résurgences de formules maison pré-roman-porno. Dans le flot continu de productions alimentant les salles, les films de Masaru Konuma se font les premiers remarquer par leurs dérapages; L'appel du pistil (1971) se construit autour du trauma amnésique d'une jeune femme violée (par une bande de GI noirs...) que son ami tente de guérir en reproduisant l'évènement avec un GI embauché pour l'occasion. Le même réalisateur qui illustre également l'inceste dans sa contribution à la série des Amours de l'après-midi (1973) et dans La putain blanche (1974) où un jeune homme paraplégique, retrouvant l'usage de ses membres après avoir épié les viols répétés commis sur sa sœur (!), vient apporter sa sinistre contribution. Des ‘coup d'éclats' cataloguant vite un réalisateur qui avec Fleurs et Serpents (1974) l'amène à inaugurer le Best-SM , déclinaison du genre érotique caractérisé par son orientation envers les pratiques érotiques japonaises basées sur l'humiliation, la séquestration et la soumission. Un genre tout d'abord peu prolifique (Une femme à sacrifier en 1974, La rose et le fouet, La passion de Oryu en 1975) et dont le rythme de production ira ensuite crescendo avec les difficultés financières du studio.


"Une femme à sacrifier" (1974)

L'année 1976 marque une césure nette avec les roman-porno ‘première époque' et se fait le reflet de l'inclinaison inflationniste des producteurs envers des matériaux plus sulfureux. Si le Best SM tente de se couvrir d'un vernis noble en tant qu'illustration de traditions inscrites dans l'inconscient collectif nippon, d'autres formules complémentaires ne tardent pas à atterrir sur les écrans de la Nikkatsu et à aguicher ouvertement le badaud par des titres racoleurs. Apparaît une nouvelle corde à l'arc d'un studio dont les pratiques marquent un retour au temps des années soixante où les multiples petits studios indépendants se menaient une guerre impitoyable dans l'exploitation d'un filon érotique encore tout frais. Ainsi avec dix ans de retard, la Nikkatsu aborde désormais sans fard des formules chocs et fait le deuil de sa gloire passée. Un alignement qui se révèle inévitable tant l'air du temps est à la surenchère, une ligne dure et brutale manifestée par les films de Wakamatsu Production et de la grande Toei qui, en pleine lutte post- Pinky Violence , dérape dans les grandes largueur avec le mondo Les secrets cruels des yakuzas (1976), et surtout La torture de l'écartèlement par des bœufs (1976) et La prêtresse déchirée (1977), deux opus sanglants de Yujii Makiguchi bientôt rejoint par Ikuo Sekimoto et Hiroshi Mukai dans la confection de pellicules roses.


"La prêtresse déchirée" (1977)

Si la Toei opte pour un amalgame de violence et d'érotisme graphique et outrancier, la Nikkatsu prend les pistes différentes d'un cinéma plus viscéral où l'érotisme s'inscrit dans une ère de trouble psychologique et de violence sèche. Une peinture voulue plausible dont le réalisme impose un ancrage résolument contemporain dans la société de l'époque. Des arguments commerciaux qui jouent en parti sur la carte du nihilisme et de la catharsis de ses personnages mais reposent essentiellement sur l'appel des bas-instincts masculins en figurant l'acte du viol, trait caractéristique de l'érotisme japonais, comme thématique à part entière. En cristallisant à l'échelle mainstream une complaisance malsaine envers le viol, ces films érigent ces actes viles en convention avec ses passages obligés et ses figures prédéfinies ; le violeur devenant ainsi un personnage type récurrent au même titre que celui du yakuza ou de la secrétaire de bureau. Présenté sous son aspect unidimensionnelle, la peinture du personnage s'affranchit souvent de nuances psychologiques et témoigne d'un détachement froid vers ses actes dénués de motivations, apparaissant dès lors comme les résurgences d'un mode de séduction basé sur le fantasme de la jouissance forcée. Logique au regard de l'architecture globale du cinéma japonais conçu autour de la notion de genre, cette segmentation qui accouche de ces avatars appuie la banalisation à grande échelle d'un acte condamnable. Si la portée infamante du propos est amoindrie par l'inscription dans un contexte codifié bien défini et par l'absence d'ambition didactique explicite ; cette sérialisation et matérialisation du concept s'avère beaucoup plus ambiguë dans sa fréquente habitude à volontiers s'affranchir de moralisation et parfois même tendre indirectement vers la glorification sous-tendue des actes où la frontière du fantasme projeté reste floue.

 

2 Concept et sérialisation

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"Violer" (1976)
Pour impulser le mouvement, les producteurs font dans un premier temps appel à Yasuharu Hasebe, un réalisateur aguerri (et survivant du virage érotique du studio) dont l'attrait pour la violence physique et sexuelle est manifeste dès la fin des années soixante. De ce nouveau courant filmique, les opus de Hasebe restent les plus notables tant ils sont représentatifs de la pure logique commerciale qui anime alors un studio en cours délitement et pour ce qu'ils constituent paradoxalement de ‘curiosités' cinématographiques. Habituellement conçue comme élément déclencheur d'un récit, l'agression sexuelle devient ici l'élément mécanique et répétitif qui construit le film. Premier de sa longue série sur le thème, le bien nommé Violer (1976) définit les constituants fondamentaux de la formule du cinéaste où l'érotisme a tôt fait de s'effacer devant de fortes poussées machistes et discours réactionnaire. Si le film narre par le détail la vengeance d'une jeune femme dirigée vers son violeur, la filiation avec les figures de femmes fortes typiques de la Toei est pourtant reniée tant le narration marque des hésitations et contradictions franches (voulues?) dans sa progression. En effet, la femme brisée qui se reconstruit progressivement semble détournée de sa vengeance par les forces invisibles de la chair qui lui sont apparues depuis le terrible événement et la gouvernent désormais. Hasebe offre une peinture des relations humaines bien pessimiste, le sexe servant de monnaie d'échange ou s'imposant par un droit de cuissage dans le milieu de l'entreprise. Ainsi en sous-texte se lit une véritable appréhension des femmes qui semble conditionner le fonctionnement de la société régit par des rapports exclusifs de domination. Le film sous-tend une image ambiguë de la gente masculine, ainsi s'il humanise le personnage du violeur dépeint dans son quotidien morne, il procède par piques acides lorsqu'il montre ce même personnage, littéralement impuissant, fuyant après qu'une de ses victimes infortunée l'invite à plus d'entrain. Les hommes également ridiculisés lors d'une scène cynique en complet porte-à-faux où deux compères minables chronomètrent et comparent leur piètre endurance à l'ouvrage. Si le fond du propos s'avère éminemment contestable, le projet de mise en scène et la patine technique qu'applique le cinéaste contrastent de manière surprenante avec le mince sujet et inaugurent un véritable courant stylistique qui fera école à la Nikkatsu. Mettant l'accent sur l'atmosphère nocturne pesante et l'isolement des personnages, Hasebe symbolise un univers régit par des force obscures en recourant a un travail efficace sur la bande-sonore ainsi que la photographie et ses contrastes. Un réalisme froid se fendant de fulgurances stylisées (travail sur les matières métalliques ‘saillantes') où des moments étirés dénotent avec la tension sur le vif pris par une caméra-épaule conférant un cachet de film de suspense et d'ambiance décidément bien particulier.



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"Attaque ! Jack l'éventreur" (1976)

Le réalisateur enchaîne ensuite avec Attaque ! Jack l'éventreur (1976) et Le viol de la 25 ème heure (1977), deux films marquant la radicalisation d'un propos de moins en moins nuancé, et faisant le constat d'un règne où la violence dérègle définitivement les rapports humains. Se positionnant cette fois du point de vue de l'agresseur, ici le personnage peu recommandable du violeur en série, Hasebe illustre le motif du passage comme un rite initiatique impulsé par une tierce personne (ici respectivement une petite amie et un inconnu de passage). Une expérience accidentelle dépeint complaisamment comme un véritable révélateur dont l'évidence frappe les personnages et dirige désormais leur mode de vie marginal. Encouragé comme stimulant d'une vie sexuelle de couple ( Attaque ! Jack l'éventreur) ou simple distraction ( Le viol de la 25 ème heure ), les trajectoires des personnages sont une longue fuite en avant d'où émerge un inquiétant détachement progressif avec les implications du monde réel. Fait novateur qui dénote l'hybridation du genre érotique et fait du film une matrice influente dans le cinéma de genre japonais, Attaque ! Jack l'éventreur partage les caractéristiques thématiques et graphiques du film d'horreur glacial, ici reposant ses arguments commerciaux sur une synthèse de meurtres crapuleux et de pulsions sexuelles incontrôlées. L'arrière fond sociétal désespérément morne semble précipiter la fuite d'un personnage vers l'acte gratuit et amoral laissant sur son passage des cadavres meurtris lâchement abandonnés tels des détritus.

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"Le viol de la 25ème heure" (1977)

Campé par des acteurs crédibles et une mise en scène tendue, l'épaisseur psychologique du récit prend une tournure plus crédible qu'à l'habitude sans pour autant éviter des clichés du genre. Ménageant des moments introspectifs de lassitude doublés d'une surprenante bande-son mélancolique, Hasebe semble prendre parti pour son personnage qu'il accompagne dans une démence culminant dans le carnage sanglant d'infirmières. Une trajectoire que Hasebe se refuse de nuancer et condamner moralement, concluant son récit d'un plan montrant le tueur apaisé, errant en liberté et admirant la lame saillante de son couteau. Le prolongement hors-écran de la menace, fait écho à l'ancrage dans le réel de ces films et conditionne un projet de mise en scène refusant tout effets lourds et distanciateurs. Par la suite, Hasebe réalise Le viol de la 25 ème heure qui participe aussi à plein dans la démarche de radicalisation du studio où l'érotisme lugubre est dépeint dans ses plus basses manifestations. Abandonnant les motifs des meurtres pour ceux plus ‘classiques' des agressions physiques, le propos du film n'en est pas moins extrême et irresponsable dans son entreprise cinématographique ; le parcours de l'apprenti-violeur l'amènera à réaliser qu'au final les victimes finissent toujours par apprécier la délicate attention. Le film se double de plus d'une vision réactionnaire sur la lutte sexuelle des classes où l'ouvrier/violeur se venge de la bourgeoisie/femme oisive à l'image de ses grandiloquentes scènes où le luxe et raffinement rococo sont mis à sac par l'animalité primitive du prolétariat. Choquant par sa mécanique inexorable et amorale, Le viol de la 25 ème heure peut à l'aune du parcours du cinéaste se concevoir comme le rejet d'un homme dont le désintérêt d'un sujet sans ambition l'amène à la surenchère et la pure provocation. A rapprocher du traitement premier-degré de scènes véritablement too-much comme lorsqu'une victime finit par offrir de l'argent à son agresseur en le priant de revenir ; ou bien la célèbre scène où le malfaisant duo se retrouve traqué par des yakuza homosexuels, qui obtiendront leur vengeance en fracassant à coup de marteau les dents du cadavre du meneur afin d'en faciliter une fellation (!). Baignant dans ambiance et une surenchère permanente de mauvais goût, Hasebe remplit haut la main son cahier des charges et stigmatise la dérive dangereuse de la Nikkatsu que les producteurs viendront désormais tenter de contenir.

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"Assaillir" (1977)

Mis au frais le temps d'un pinku plus classique ( Le train secret de la lune de miel, 1977), Hasebe rempile avec Assaillir (1977) qui marque l'exaspération d'une formule archi-usée que le réalisateur détourne sur le mode de l'absurde. Si le film emprunte tous les ressorts narratifs ayant trait à la mise en exergue du suspense de la terreur (une policière tente de démasquer son violeur masqué), la transposition érotique du thriller transpire le désintérêt flagrant d'un cinéaste narguant le spectateur en refusant de répondre au postulat du film (il laisse l'identité du coupable irrésolue). Un teasing géant et une posture vengeresse renvoyant directement au mode de production à la chaîne de films sans ambition ni marge de manœuvre. Si la mise en scène définitivement en mode mineur illustre tristement la mise en berne de la formule, le recours à une bande-son classique (Beethoven) en complet décalage vient surligner la démarche et pointer la grandiloquence du concept. Le récit s'avère remarquable tant sa structure incroyablement répétitive (six viols à la suite !) semble constituer l'unique motif d'un film à l'artificialité frappante. Sur un canevas de film à suspense, Hasebe saborde son sujet et enchaîne à la hâte les scènes sacrifiant méthodiquement tout travail de mise en haleine. Le réalisateur prend un plaisir sadique évident à acculer son héroïne résignée dans des twists éhontés et des mises en abîme ironiques où la lassitude béate du personnage transpire celle du cinéaste. Grand film déceptif, Assaillir ! est le bras d'honneur d'un homme fatigué qui annonce le traitement ironique de Baiser ! (1978) , son dernier effort pour la Nikkatsu.

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"Baiser ! " (1978)
S'impliquant pour la première fois dans la conception d'un scénario de roman-porno, Hasebe livre avec Baiser! une mise en abîme originale du genre et élargit sa réflexion désabusée à la violence des relations humaines et de ses formes d'abus diverses. Ainsi si le viol est ici abondamment illustré, les relations de soumission sont aussi transposées aux mécanismes de la société entière. Le viol est ainsi redéfinit comme forme abusive de pouvoir et instrument d'oppression dirigés vers les faibles. Dès lors tout l'enjeu du récit se focalise sur la virginité psychologique (et non sexuelle) d'une héroïne découvrant la réalité cruelle du monde. Conte initiatique en forme de road-movie , le film narre le retour mouvementé vers Tokyo d'une femme ‘faible', superbement interprétée par Natsuko Yashiro qui insuffle avec conviction la perte d'innocence à son personnage. Si les violences sexuelles restent abondamment illustrées, elles n'affaiblissent par le scénario qui propose une progression cohérente où s'intègrent la peinture noire de la société ; abus du pouvoir de l'autorité de policiers pervers et de mèche avec les agresseurs , abus du pouvoir de l'argent où un garagiste accule l'héroïne de montants exorbitants, abus de confiance où l'amie prostituée fera un acte de trahison calculateur. Ainsi les scènes sexuelles brillent par leur froideur et leur anti-érotisme, les ‘ébats' prenant littéralement forme de combats physiques.

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"Baiser" (1978)
Si les films précédents de Hasebe affligeaient unilatéralement les hommes dans leur globalité, la vision du monde selon Hasebe se fait plus désabusée puisque les femmes ne s'avèrent guères plus fréquentables. Régit par les règles imposées du roman-porno , le film réussit pourtant à s'en accommoder et à trouver sa tonalité propre. Abandonnant la provocation brouillon des opus précédent, le cinéaste épure son propos conférant à son oeuvre une structure minimaliste et répétitive où les métaphores et l'ironie permanente distille un message construit. A l'image du superbe refrain jazzy qui appuie la structure répétitive du récit, le détachement du cinéaste envers son héroïne est pleinement visible et fait migrer le film vers une comédie amère, violente et surréaliste. Une conclusion brillante réussissant la délicate synthèse des thématiques animant ses précédents opus. Une application à la tache clairement perceptible à l'image d'une mise en scène fluide et sensuelle et des belles compositions de plans et éclairages de l'héroïne. Un film-phare pourtant pas si éloigné de ses brouillons prédécesseurs et rétrospectivement l'une des rares réussites notables du courant violent de la Nikkatsu.

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"La proie de la chair" (1979)

Loin d'être les seuls exemples de films à animer ce courant, les films de Hasebe s'inscrivent dans un mouvement plus global que la Nikkatsu alimente en parallèle d'autres productions où le viol lugubre devient le constituant érotique principal de récits de vengeance se concluant sur une tonalité amère et désabusée. Cette atmosphère pesante doublée d'une imparable loi du talion se retrouve ainsi dans Violée (1976), Agressée (1977), Le prédateur à la peau blanche (1978) ou encore Rape Climax (1979). Comme dans un écho étrange au parcours de Hasebe, Yukihiro Sawada, autre vétéran du studio, hérite de scripts similaires où le viol prend une place capitale dans son rôle d'appuyer le malheur et d'alimenter le nihilisme de personnages ponctuant invariablement les récit de violents carnages comme dans Attaque ! (1976), Assaillons ! (1978 ) et Rape Hunter (1980). Dans une veine plus routinière, Sawada hérite entre-temps de la réalisation de La proie de chair (1979) qui reprend tous les pires poncifs du genre. Dans une introduction symptomatique, on y voit le personnage principal (un businessman d'apparence recommandable) scruter par les fenêtres de son building l'arrivée matinale des cinq plus belles femmes de l'entreprise (!) et se promettant de coucher avec elle. Sauf que la belle entreprise de séduction à tôt fait de se transformer en traque où les rapports inter-sexes sont unilatéralement dépeint sous le règne de la soumission par la force physique. Décidément déprimant et affligeant dans sa monotonie machiste, le film enfonce le clou en conférant à son héros détestable une touche glamour, lui réservant même quelques gimmicks cool (des scènes d'arrivée avec musique groovy de rigueur) et une allure irrésistiblement dandy. Le pire étant sans doute la morale abjecte et grossière où les forfaits du ‘héros' finissent de le propulser au rang envié de président et les victimes converties à son charme d'en redemander. Ironie du 32 ème degré ?

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"Provocation" (1979)

Une ironie qu’on trouve fonctionnant à plein dans Provocation! (1979) du débutant Nobuyuki Saito qui signe une oeuvre-hommage directement inspirée de celles de Yasuharu Hasebe. Mise en abîme du sous-genre via la comédie pince-sans rire, Saito manifeste une aisance indéniable à détourner un matériau toujours si peu consistant. Suivant les traces de la belle Natsuko Yashiro (l’égérie violentée de Hasebe), ce road-movie illustre les mésaventures d’une jeune femme claquant la porte à son amant. Campée par des personnages hauts en couleur et des situations grotesques aux dialogues épicés, la teneur parodique apparaît ici bien plus évidente et insuffle un humour à froid particulièrement savoureux. Accompagnée d’un compagnon d’infortune homosexuel, notre héroïne s’en va se faire séquestrer dans une auberge de campagne tenue par des ouvriers bourrus dont les hormones dynamisent et orientent un récit dans des directions sans cesse divergentes. Une tonalité où le décalage ironique sait se dévoiler de manière originale, par un jeu de mise en scène inattendue ou bien par des situations grotesques interprétées avec conviction et énergie. En résulte une histoire d’amour déçu sachant étonnamment s’accommoder des contraintes du genre pour se fondre en comédie atypique, violente et exubérante. A voir la bande-annonce au premier degré rigide, nul doute que les pontes de la Nikkatsu durent regretter l’espace de liberté pris par le jeune réalisateur sans gêne.

 

3 - Une tendance forte

Loin de se tarir, le courant violent décidément bien implanté se perpétue au tournant des années quatre-vingt et la radicalisation de son érotisme finit même par déborder de son strict cadre pour atteindre les réalisateurs vedettes jusqu'alors épargnés. Avec Viol et mort d'une maîtresse de maison (1978), la Nikkatsu tente d'aguicher le spectateur avec des titres toujours plus sensationnalistes. Une entreprise que Noboru Tanaka détourne pourtant en livrant une réussite majeure du genre à la sensibilité en contradiction avec son titre. L'adaptation d'un manga sulfureux de Dirty Matsumoto échoue même à Tatsumi Kumashiro, Université secrète : jeux interdits (1980) témoigne du talent du cinéaste même si l'on note une inévitable montée de la teneur misogyne dans l'univers pro-féminin du cinéaste. Autre adaptation de manga mature ici signée Takashi Ishii, la série Les entrailles d'un ange marque un durcissement notable des drames urbains ; des atours commerciaux qui n'empêchent pas les films de constituer de vraies réussites artistiques aux succès et à l'influence considérable.

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"L'étoile de David - chasse aux beautés" (1979)

La mise en chantier de blockbuster est même envisagée avec le recrutement d'un concurrent de la Toei , le célèbre Norifumi Suzuki alors embourbé avec sa série comique Les gars aux camions (1975-79). Nanti de moyens conséquents et sur une durée inhabituellement longue (cent minutes au lieu d'une heure), L'étoile de David – Chasse aux beautés (1979) s'ambitionne en projet transgressif à large portée. Une mise production symptomatique où l'on retrouve même un étonnant caméo de Bunta Sugawara (dans le rôle-clin d'œil à Les gars aux camions ). Le portrait de l'éternel violeur s'agrémente ici d'une dimension psychologique où les pulsions déviantes sont décrites comme étant l'héritage génétique de son père, célèbre violeur en son époque. Le film appuie la carte des implications traumatiques de l'enfance et s'ambitionne comme réflexion mystique sur fond de religion et de rédemption. Un sous-texte prétexte à une nuée de clichés lourdingues plombant la mise en abîme du personnage. Un long format qui s'éteint progressivement dans une triste mollesse aux silences plombants avant de s'accélérer brutalement dans un twist bien maladroit. Un bilan technique auquel on ajoute un manque flagrant de fulgurances stylistiques attendues et la déprimante apathie d'un montage monocorde. Narrant la dérive d'un jeune bourgeois oisif, les plans de boiseries et de jardins de luxe laissent place épisodiquement aux jeux pervers d'un adepte du SM auprès de victimes qu'il recrute sans mal. Des jeux érotiques enrichis de pulsions sanglantes où l'on retrouve la référence récurrente du cinéaste au christianisme. Une production de luxe non-consensuelle qui s'inscrit dans la moyenne du genre pour lequel le cinéaste s'abaisse à reprendre sans passion ses passages obligés bien corsés mais finalement moins bien choquant les références au drame de l'Holocauste sensées illustrer le délire de puissance du maniaque. A l'image de ce projet, le spectre de la redite menace et les sujets commencent à manquer cruellement de variété et d'ambition narrative. Dans une évolution commerciale logique, l'attrait du borderline va pervertir des séries respectables et bien établies comme celle de La professeur (1973-83) allant jusqu'à causer son arrêt définitif devant les protestations indignées d'associations professorales sans doute alertées par les titres ronflants des trois opus incriminés : Chasse à la professeur (1982) , La professeur agressée (1983)  Professeur : deux fois violée (1983).

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"L'Université de la Rose blanche : et toutes furent violées" (1982)

A ce glorieux palmarès viennent s'ajouter des films où la vulgarité assumée du sujet semble constituer leur seule raison d'être. Ainsi le réalisateur Koyu Ohara livre un triste exemple représentatif des concepts germant dans la tête des hauts-dirigeants de la Nikkatsu. Dans L'université de la rose blanche : et toutes furent violées  (1982), une bande de ravisseurs primaires et surexcités prennent en otage un bus de lycéenne partant pour une excursion qu'elles pensaient relaxante. Si le triste scénario se déroule avec tous les poncifs attendus, la vulgarité éclabousse littéralement l'écran transformant un huis-clos tendu en gigantesque farce noire et apologie du mauvais goût. A l'image du leader bedonnant cabotin déambulant culotte sur la tête et tampons hygiéniques (usagés tant qu'a faire) dans les narines, le spectateur reste perplexe devant une telle pellicule dont l'outrance évoque directement le style désarçonnant des films d'exploitations de Hong-Kong de l'époque préfigurant les fameux Catégories 3 . Filmant et retranscrivant la tension des évènements de manière convaincante (un comble!), Ohara livre un festival braillard de misogynie abjecte, d'humour cynique (des filles, qui exclues du bus, s'expriment le plus sérieusement du monde : ‘ On a de la chance d'être laides ! '), de rebondissements grotesques (les sauveteurs tant attendus prendront finalement le relais des ravisseurs dans leur sinistre besogne) avant d'achever son chef d'œuvre de manière douteuse en laissant consciemment la morale en suspens et refusant de condamner les exactions. Une dangereuse morale des images qui s'efface néanmoins sans peine devant l'outrance du propos.

 

4 - Evolution et hybridation

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"Zoom : Le lieu de l'agression " (1980)

Alors que les avatars Best SM sont fondamentalement prompts au détachement du réel et l'échappée fantasmatique du quotidien, les films constitués sur l'attrait de la sexualité violente se distinguent par leur ancrage contemporain affirmé. Un environnement propice à des mises sous tension de situation quotidienne où le règne de la peur prend le beau rôle et où le postulat de l'agression trouve de nouvelles déclinaisons en s'attaquant au fantasme de l'insécurité comme illustré dans Viol en série (1982), L'affaire du viol des jeunes femmes (1984) ou Les femmes du manoir du viol (1985) qui constituent les premiers scénarios de Rokuro Mochizuki. Déclinaison perverse des Epouses en appartements (1971-1979), la série des Zoom (1979-86) se font remarquer par leurs débordements sadiques sur fond de paranoïa urbaine . Dans Zoom : Le lieu de l'agression, Koyu Ohara se laisse aller avec force détails à illustrer des meurtres crapuleux (éclatement d'une ampoule judicieusement introduite, ..). Dans le second opus (Zoom : Le lieu de l'agression), le débutant Naosuke Kurosawa tente de dynamiser une histoire d’amour par un recours aux effets de mises en scène ostensibles. Exemple symptomatique de la faiblesse du scénario du genre érotique, Kurosawa brode autour de la liaison passionnée entre une femme et son ancien violeur. Si l’intrigue reposant sur le trouble psychologique suggéré tombe très vite à plat, les quelques saillies surréelles détonnent aisément de l’ensemble et témoignent du sang-neuf d’un débutant maladroit mais volontaire. Le motif visuel du feu qui parcourt tout le récit vaut quelques dérèglements sensoriels bienvenus appuyant l’étrangeté du récit (des secrétions s’écoulant d’un cadavre prennent subitement feu au contact du sol, …). La filiation avec le giallo est aussi, par moment, clairement affichée par les procédés sadiques du violeur dépeints avec éclats, comme dans la très stylisée immolation d’une victime au beau milieu d’un square urbain devenu soudain obscur.

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"Le collectionneur de femmes " (1985)

Une tension urbaine qui va bientôt devenir une toile de fond récurrente dépeignant une vision particulièrement sombre d'un Tokyo déshumanisé. Exemple emblématique, Le collectionneur de femmes (1985) voit le jeune Hisayasu Sato insuffler une puissante poussée novatrice dans le genre. L'approche réaliste s'affiche là de façon remarquable et confère au récit à un sens de l'urgence permanent, une paranoïa qui s'illustre par une narration brute et sèche qu'accompagne une surprenante new wave glaciale. La tension naît du rappel permanent à la véracité des lieux et situations (un chauffeur de taxi viole ses clientes) et se trouve mise en exergue à plusieurs reprises par le procédé du cinéma guérilla typique d'un cinéaste frondeur se plaisant a choquer et interroger la frontière entre fiction et réalité. Plusieurs séquences bien réelles n'ont encore aujourd'hui rien perdu de leur force d'impact ; le corps nue d'une femme abandonnée sur le bord d'un périphérique en plein effervescence ou l'agression d'une femme devant une foule médusée restent dans les mémoires des spectateurs de l'époque. Si le portrait stéréotypé du sinistre chauffeur manque encore cruellement de substance et de nuance, Le collectionneur de femmes s'avère passionnant par ce qu'il témoigne du processus d'élaboration stylistique et thématique d'un cinéaste qui deviendra bientôt le chef de file du renouveau de l'érotisme nippon. On y distingue en filigrane l'attrait de l'image et ses pouvoirs, mais surtout l'approche du thème de la cellule familiale près de l'implosion et la description d'une société au bord du gouffre régie par des individus à la psyché tourmentée (un des titres alternatifs du film est d'ailleurs La ville en décomposition). L'ébauche d'un existentialisme nouvelle vague qui prendra de plus en plus d'épaisseur, et qui trouve ici une de ses premières incarnations dans cette pellicule choquante et perverse aux qualités cinématographiques pourtant évidentes.

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"Viols en série dans le métro" (1985-88)

Alors que les films Best SM s'enfoncent définitivement dans la vulgarité et la médiocrité, le courant de l'érotisme violent semble posséder plus de degrés de liberté dans l'approche de son cahier des charges. Ainsi tout comme dans le film de Sato, le réalisme urbain constitue le credo de Shuji Kataoka dans la série des quatre Viols en série dans le métro (1985-88) dépeignant une montée de l'insécurité jusque dans le métro même. Articulé autour de scènes récurrentes particulièrement abjectes appuyant l'agression dans le détail et la durée, le rappel à l‘environnement réel se fait moins efficace car plus théâtralisé même si certains détails laissent particulièrement dubitatifs (certains passagers/voyeurs sont manifestement des badauds, on aperçoit même un enfant à quelque mètres du lieu de l'acte!). La série manifeste la tendance à la diversification du roman-porno qui vit alors ses dernières heures. Si le quota du sexe non-consenti s'inscrit en cliché tenace, la filiation avec les films de yakuza est un élément novateur remarquable. En effet, les enjeux de l'érotisme sont clairement mis en second plan devant les règlements de comptes qui animent la vie nocturne tokyoïte en illustrant la figure de l'anti-héros (étonnant Ren Osugi) en passant par les luttes de clans. La descendance des films mafieux voit ici une ses premières hybridations qui s'inscrit en chaînon d'importance dans la maturation et radicalisation d'un courant qui constituera bientôt la matrice du V-Cinema  ; à savoir un mélange stéréotypé et bon-marché de violence et sexe sous les lumières saturées des néons de la ville (les débuts de Takashi Miike ne sont pas loin !). Plus spécifique au roman-porno , la série des Viols en série dans le métro se donne des ambitions didactiques en introduisant une réflexion sur la thématique du viol. La Nikkatsu, qui n'est plus à un paradoxe près, tente de se dédouaner de son fond de commerce en appuyant la nécessaire évolution des mentalités dans la société contemporaine (les femmes n'ont plus à avoir honte et doivent savoir porter plainte). Le dernier opus, une vraie curiosité, prend même les traits d'un film d'enquête et d'une réflexion sur la dérive des media (un talk-show fait son commerce sur le viol et finit par provoquer les évènements pour répondre à la pression de ses annonceurs). Quelque brides pertinentes se noient dans un schéma d'une lourdeur éléphantesque pour aboutir à une morale ambiguë et cynique dont l'impact s'effondre devant l'insignifiance de l'ensemble. Une fin de cycle à l'image de tout un courant d'importance quantitative mais trop souvent plombé par des scénarios routiniers aux coup d'éclats si rares.

 

Filmographie sélective :

1976
Violer (Okasu), Yasuharu Hasebe
Attaque! Jack l'éventreur (Boko! Kirisaki Jack), Yasuharu Hasebe
Violée (Okasareru), Masaru Konuma
Attaque! (Boko!), Yukihiro Sawada

1977
Le viol de la 25 ème heure (Reipu 25-ji: Bôkan), Yasuharu Hasebe
Agressée (Yarareru), Akira Kato

1978
Assaillir (Osou), Yasuharu Hasebe
Baiser! (Yaru!), Yasuharu Hasebe
Assaillons! (Osoe!), Yukihiro Sawada 
Le prédateur à la peau blanche (Shiroi Hada no Karyudo), Shogoro Nishimura

1979
Rape Climax, Katsuhiko Fujii
L'étoile de David – Chasse aux beautés (Dabide no Hoshi – Bishojo gari ), Norifumi Suzuki
La proie de chair (Niku no Hyoteki), Yukihiro Sawada
Provocation! (Chohatsu!), Nobuyuki Saito
Zoom : Le lieu de l'agression (Zoom up : boko genba), Koyu Ohara

1980
Rape hunter, Yukihiro Sawada
Zoom : L'appartement de l'agression (Zoom in : boko danchi), Naosuke Kurosawa

1982
L'université de la rose blanche  (Shirobara Gakuen), Koyu Ohara
Viol en série (Renzoku Boko), Shogoro Nishimura
Chasse à la professeur (Onna kyoshi gari), Junichi Suzuki

1983
La professeur agressée (Osowareru onna kyoshi), Nobuhiko Saito
Professeur : deux fois violée (Onna kyoshi wa nido okasareru), Shogoro Nishimura

1984
L'affaire du viol de la jeune fille (Shojo Boko Jiken), Yasuaki Uegaki

1985
Les femmes du manoir du viol (Hitozuma boko mansion), Nobuyuki Saito
Le collectionneur de femmes (Hitozuma collector), Hisayasu Sato

1985-88
Viols en série dans le métro (Chikatetsu Renzoku Rape) , 1985-88, Shuji Kataoka