.Le village de Furuyashiki
 
Titre original:
Nippon-koku
Furuyashiki-Mura
   
Réalisateur:
Ogawa Shinsuke
Année:
1982
Studio:
Ogawa Pro
Genre:
Documentaire
Avec:
L'équipe Ogawa
Les habitants de Furuyashiki
 dre
Riz et sentiments

Après la période euphorisante des années soixante-dix marquée par l’immense succès de sa série documentaire "Sanrizuka" détaillant la résistance des paysans face au projet de construction de l'aéroport de Tokyo, la société de production du réalisateur Shinsuke OGAWA connut un sérieux revers : les mouvements étudiants, qui l'avaient soutenu, ainsi que les difficultés de diffusion de documentaires n'assuraient plus la rentabilité financière suffisante pour continuer à produire de nouveaux métrages.
Un groupe de paysans du fin fond des montagnes de la préfecture de Yamagata, impressionnés par le portrait réaliste de leur communauté, invitaient alors OGAWA et son équipe à venir s'installer dans le village de Magino. Le célèbre poète fermier Kimura MICHIO leur mit à disposition une vieille ferme en guise d'habitation. Finalement contents de s'extraire de la relative torpeur quotidienne de "Sanrizuka" dans laquelle tous les membres de l'équipe semblaient s'être engluées au fil des années, OGAWA débordait de bonnes idées. Il souhaitait créer deux espaces communs importants. L'un serait "le Centre Culturel", une immense bibliothèque remplie de livres et de films documentaires mis à disposition de la population locale; l'autre était "le centre de vie", un complexe formé de plusieurs maisons abritant les membres de l'équipe et leurs familles. Bien évidemment, le projet ne s'est jamais concrétisé, tué dans l'œuf par l'indisponibilité de bâtiments suffisants. Les quatre couples (avec enfants) et cinq personnes seules devaient donc se partager une seule et même maison pendant toute la durée de leur séjour long de treize ans.

En revanche, il avait été convenu dès le départ que l'équipe cultive ses propres terres pour subvenir à leurs besoins et ainsi se rapprocher de la réalité de leurs sujets filmés. Louant des champs d'une superficie totale de 2400 m², les documentaristes mirent près de quatre ans pour apprendre tous les aspects de la difficile culture du riz. Occupation à plein temps, ils ne pouvaient plus se consacrer au tournage d'un film et ne progressaient que par segments de courtes séquences éparses. La première année leur servait donc surtout à représenter le grain de riz en lui-même, la seconde aux procédés de culture, la troisième à cerner toutes les étapes de maturation du riz et la quatrième à comprendre comment une vague de froid avait bien pu affecter les rizières.
De cette expérience résultait le film-fleuve "Le Village de Furuyashiki". Pensé tout d'abord comme un simple documentaire à caractère scientifique sur la culture du riz, OGAWA ne put s'empêcher de recourir à sa principale préoccupation : réaliser le portrait d'autrui. Tourné en des conditions difficiles, l'implication et la co-habitation au quotidien permit néanmoins au réalisateur de s'immiscer au plus profond de l'intimité des villageois autrement plus réservés.
La première heure du documentaire est donc une étude approfondie sur la culture du riz et plus spécifiquement le processus de la fermentation des graines. A l'aide de nombreux tableaux de relevés, schémas et maquettes reconstruites, l'équipe d'OGAWA suit au jour le jour les différents paramètres influant sur la progression du mûrissement. Conditions climatiques heure par heure, exposition des champs par rapport aux courants d'air de la montagne et nature chimique de sols sont méticuleusement passées en revue. Si les résultats ont certainement été de quelque intérêt pour l'équipe impliquée dans le projet, la progression à l'écran est quelque peu plus laborieuse pour le néophyte en la matière.
Pourtant, l'introduction par le portrait d'une vieille paysanne décrivant la difficile vie montagnarde passée n'était pas un simple leurre; la seconde heure amorce un documentaire d'une toute autre envergure. OGAWA s'attache au portrait de quelques membres des huit familles habitant encore – ne serait-ce qu'une partie de l'année – au village reculé de Furuyashiki. Des quelques rares anecdotes sur la découverte d'un fossile à la vie résolument difficile dans le passé racontées par des vieillards plus ou moins bavards, en passant par les passionnants métiers d'éleveurs de vers à soie ou fabricants de charbons en voie de disparition, OGAWA cristallise pourtant un sujet parfaitement en ligne avec les dénonciations revendicatives de ses anciens documentaires : Il explore le douloureux souvenir des villageois et de leur implication en tant que japonais aux différentes guerres passées. Mères privées de leurs fils abattus, soldats engagés de force, leurs témoignages – parfois édifiants – sur leur mobilisation en Mandchourie ou dans différents archipels durant la Seconde Guerre Mondiale pointe un nouveau doigt accusateur sur la profonde bêtise de bureaucrates décidant de la vie et de la mort de centaines de milliers d'individus qui n'en demandaient pas tant. Parfois drôle, souvent lucide, tous reconnaissent que tout cela ne valait RIEN. Les médailles pourtant précieusement conservées sont traitées de "camelote" et un autre homme entonne son hommage à la mémoire des morts sur sa trompette ayant jadis lancé les attaques au fin fond de la Mandchourie ou de l'archipel ATTU. Tranchant singulièrement par rapport à la première partie du documentaire, pointant leurs véritables préoccupations quant à savoir si la récolte allait être bonne ou s'ils sauraient amasser suffisamment de bois pour alimenter le four à charbon, les anecdotes distillent toute l'horreur de conflits impersonnels.
Largement commentée par une voix off du réalisateur dans la première partie, de nombreux intertitres sur fond bleu complètent des explications souvent auto-suffisantes. Adepte – depuis son "Sanrizuka: Peasants of the Second Fortress" – du plan-séquence interminable et de la répétition d'une action pour bien faire comprendre l'idée émise et de par là, reproduire le mode de communication des campagnards japonais, le film s'étire bien souvent en longueur. OGAWA était un curieux de (la) nature et aimait autant approfondir, que de partager les choses. Ses documentaires s'éparpillent donc souvent dans tous les sens au fur et à mesure qu'il poursuit une idée nouvelle ou l'assimilation d'un thème auparavant inconnu. Il aime à témoigner d'un maximum de choses et ne semble pouvoir suffisamment tailler dans ses rushes pour les expurger. Ayant matière pour alimenter plusieurs documentaires, son "Village de Furuyashiki" est certes intéressant et bourré de bonnes intentions, mais est définitivement trop long. Si la dénonciation de l'implication japonaise dans les différentes guerres se cristallise dans le dernier quart du film, l'ensemble manque singulièrement de cohésion et se trouve singulièrement plombé par la démarche trop scientifique de la culture du riz en début du film. Il n'empêche que la démarche d’immersion totale dans l'environnement documenté allant jusqu'à cultiver ses propres terres est une bien belle initiative, récompensée par la confiance accordée par les villageois. Le témoignage de cette difficile vie dans un village déserté par les jeunes partis trouver du travail à la ville constituera certainement aussi l'un des derniers d'une époque bientôt révolue.
Le film a obtenu le prix Fipresci au Festival de Berlin et a été nommé troisième meilleur métrage dans la prestigieuse liste annuelle du journal japonais Kinema Junpô, rare privilège pour un film documentaire.
Le tournage du film a été immortalisé par un autre documentaire "A visit to Ogawa Productions" de Oshige JUN'ICHIRO, filmant la rencontre du cinéaste Nagisa OSHIMA et Shinsuke OGAWA.
 
Bastian Meiresonne