.Entretien avec Shinji Aoyama
 
 
"Je continue à tourner des films pour Toshiya Fujita, qu'il puisse les voir de là où il est"
Shinji Aoyama

Né en 1964 à Kitakyushu et ancien diplômé de l’université de Rikkyô, Shinji Aoyama tourne d’abord, après des années d’assistanat, des direct-to-video comme A Cop, a Bitch & a Killer, un polar d’action. Puis il tourne son premier film officiel ; Helpless, un film noir dans l’esprit du cinéma existentialiste de Toshiya Fujita, puis, ce sera Deux Voyous, nouvelle version d’un scénario de Shôji Kaneko (Ryûji). Mais il aura la reconnaissance avec Eureka, un film-fleuve de 3h30 à la gloire du cinéma errant de Wim Wenders. Après avoir tâté du genre comme le mélodrame (Shady Grove, Desert Moon, Crickets), le fantastique (E.M. Embalming, Eli, Eli lema Sabachthani?), le documentaire (Kenji Nakagami, AAA), le film musical (An Edge of Chaos, Wish you were here, Song of Ajima) et surtout le polar (An Obsession, Wild Life), Aoyama tourne son chef d’œuvre Sad Vacation, une suite à Helpless et à Eureka où les héros des deux films respectifs se rencontrent dans une ville en bord de mer, mais d’une froideur fantomatique. Lors de cet entretien, le cinéaste revient sur ses souvenirs de cinéphile, de cinéaste, d’amoureux de littérature…

Sur Deux Voyous et Shôji Kaneko :

"Ce qui m’a profondément étonné est la grande différence entre le film de 1984 et le scénario original. En fait, la famille Kaneko cherchait un cinéaste qui pouvait réaliser une nouvelle version plus fidèle au scénario d’origine, très importante dans toute l’œuvre écrite de feu-Shôji Kaneko. Et c’est le producteur, à la demande de la famille, qui m’a contacté avec ce scénario. Mais la raison pour laquelle le producteur m’a contacté pour Deux Voyous est que j’ai précédemment tourné mon premier film officiel, Helpless, dans ma ville natale de Kitakyûshû, d’où venait également ce producteur. Il avait envie de travailler avec un gars de chez lui !"

Sur Toshiya Fujita :

"Je l’ai rencontré quand il a fait l’acteur sur un film où j’étais assistant-réalisateur. Je me trouvais donc à le côtoyer, à le voir se préparer pour le rôle. Malgré le fait que sur ce film, il était acteur, et moi, assistant-réalisateur, j’avais devant moi un très grand cinéaste et je ne pouvais m’empêcher de lui poser des questions sur son travail, son style le pourquoi du comment de tel film, de telle scène… Et il m’a répondu gentiment, c’était presque comme un long entretien dans un magazine de cinéma."

"J’ai bien évidemment énormément de respect pour Fujita, qui était de la génération après les grands noms que sont Kurosawa, Mizoguchi et Ozu, mais je ne peux dire précisément à quel point Fujita m’influence cinématographiquement, mais je sais que c’est très inconscient. Hélas, Fujita était déjà décédé quand j’ai tourné mon premier film, , je n’ai donc jamais pu lui montrer mon travail. Mais je continue à tourner des films pour que Fujita puisse les voir, de là où il est. Par ailleurs, dans Sad Vacation, Aoi Miyazaki chante Hachigatsu no Nureta Suna, la chanson éponyme de Wet Sand in August."

"Dans sa filmographie, on peut distinguer deux périodes dans son travail pour la Nikkatsu. La première période est composée de polars d’action, les New Action, puis vient le deuxième cycle avec les Roman-Porno. Mon Fujita préféré de la période New Action est Shinjuku Outlaw (1970). Mon Roman-Porno préféré de lui est Double Bed (1983) et mon Fujita hors-Nikkatsu favori est Play it, Boogie Woogie (1981), qui d’ailleurs fut mon premier Laser-Disc acheté."

Shinji Aoyama
Wet Sand in August (1971)

Sur les années Rikkyô :

"Lors de ma scolarité à l’université Rikkyô, je n’ai côtoyé ni Kiyoshi Kurosawa, ni Makoto Shinozaki. Ils faisaient parti d’un groupe d’étudiants alors que j’évoluais de mon côté dans un autre groupe et faisais, dans mon coin, en indépendant, mes propres films amateurs. On ne s’est rencontré la première fois que lors d’une projection de nos films lors d’une réunion des anciens étudiants. Mais c’est en fait Kunitoshi Manda, le second de la bande à Kiyoshi, qui m’a embauché comme assistant-réalisateur sur son propre film. Ce qui m’a amené finalement à devenir amis avec les autres."

Sur Kenji Nakagami :

"Étant tellement fan de Nakagami, j’ai ma propre vision de son œuvre. Aussi, j’ai toujours refusé de voir les autres adaptations de ses romans, aussi bonnes soient-elles. Pour moi, tous ses romans sont déjà un peu comme des films, donc je n’ai pas envie de trouver à l’écran les sensations que je n’ai pas eu en lisant un de ses romans ou nouvelles. Mais si je devais adapter moi-même un livre de Nakagami, comme producteur ou plutôt probablement comme réalisateur, ce serait Miracle. Mais hélas, cela serait un énorme budget, en effet le roman raconte l’histoire d’un alcoolique qui se transforme en kue [NDR : sorte de mérou japonais] et se remémore sa vie passé d’humain en nageant dans la mer. J’aimerai bien voir cet homme-poisson en CGI bouger à l’écran, ce serait aussi un très bon film de yakuza."

Ses Futurs Projets :

"Je ne peux trop en parler pour le moment, mais je suis sur trois ou quatre projets qui pourraient se faire à l’étranger." [NDR : son dernier projet connu est Decadent Sisters, évocation du milieu de la prostitution dans la période de l’après seconde guerre mondiale]

Shinji Aoyama
To the Backstreet - The Films Kenji Nakagami Left Out (2001)

Propos recueillis par Mohamed Bouaouina, traduction de Jun Fujita. Entretien réalisé dans le cadre du festival Paris Cinéma 2010. Remerciements à Dimitri Larcher, à Lucie Pedrola et à toute l’équipe de Paris Cinéma pour leur gentillesse et leur professionnalisme. Remerciements à Shinji Aoyama et Jun Fujita pour cette rencontre des plus sympathiques. (Photo Shinji Aoyama © Artemis)