.Hara Kazuo, dans les entrailles du soleil levant
 
 
Good-bye CP (1972)

Note: CP pour Cerebral Palsey soit Paralysie Cérébrale

Dans le Japon des années 70, les handicapés sont des marginaux ignorés du reste de la société. Personne ne s'intéresse à eux, ils sont presque considérés comme des monstres vivants. Par ce documentaire, Kazuo Hara change la donne, il laisse la parole à ces handicapés qu'une caméra va suivre pendant quelques jours. Ces marginaux en profitent pour briser l'horreur des apparences, exposer leur quotidien et leurs pensées. Ils sont tout à fait conscients de ce qu'ils vivent. Ces soit disant monstres n'ont donc qu'une envie, se faire reconnaître en tant qu'êtres humains.

En pleine rue, personne ne remarque ces handicapés. L'un d'eux préfère descendre de sa chaise roulante pour avancer sur ses genoux, il trouve ce moyen plus rapide. Attitude étrange, l'homme décide de traverser une route importante au feu rouge. Sur le passage piéton, il avance comme il peut, devant des automobilistes indifférents qui n'attendent que de pouvoir repartir. Rien ne dérange, rien ne choque, l'handicapé n'est pourtant pas invisible. Au contraire, son attitude aurait plutôt tendance à attirer la curiosité. Mais rien n'y fait. Alors pour tenter de sensibiliser les passants, les handicapés se regroupent au coin d'un trottoir d'une rue fréquentée. Ils s'adressent à la foule, en distribuant des papiers ou en s'exprimant avec un micro pour un appel au don. Le tout devient un spectacle de rue devant lequel les badauds s'arrêtent quelques fois et donnent un peu d'argent, difficile de savoir si la curiosité vient de la caméra de Hara ou bien du discours sincère des handicapés, le doute est maintenu.

L'approche du réalisateur est frontale, il met le spectateur directement face à face à ces hommes, et par extension, face à son malaise. Pendant les images montrant les hommes dans la rue, la bande son fait entendre les témoignages des familles ou les commentaires des passants. Les familles racontent la difficulté de cette situation, avec parfois l'obligation d'un sacrifice financier pour payer les soins appropriés. Les pères apprennent à se passer de loisirs et les mères espèrent offrir à leurs enfants une vie normale et correcte. Les passants ayant fait un don ont été interviewé par Hara. Chacun explique la raison du don, et par la même occasion, chacun nous livre son regard sur ces handicapés. La caméra va s'attarder sur le regard de la foule sur les handicapés. Hara nous montre ces gens qui vont faire un don, ceux qui vont envoyer un enfant pour donner l'argent, mais surtout ceux qui vont regarder la caméra. Le réalisateur a une idée géniale, il filme cette foule en y ajoutant la bande son des interviews, ce qui casse l'approche micro-trottoir et rend la foule vague et dépersonnalisée pour au final faire ressortir le sentiment – de la gêne à l'apparente générosité - de cette foule vis-à-vis des handicapés.

Dans la continuité de cette approche, Kazuo Hara met en parallèle l'handicapé photographe avec la caméra du film. Avec son appareil photo, l'homme vise tout et n'importe quoi. Et la plupart du temps, lorsqu'il vise un passant, celui-ci détourne le regard. Rarement, les gens osent le regarder, ils préfèrent simuler l'indifférence. Alors que la caméra passionne la foule, les gens n'ont pas honte de la regarder, de rire, de sourire. Le point de vue est totalement différent. Il n'y a que les handicapés pour avoir le droit d'être interviewés et filmés en même temps, ou presque. Puisque la bande son est légèrement désynchronisée. Ce décalage, c'est celui d'une société à ne pas vouloir considérer ces handicapés comme des êtres humains. Pourtant eux, lorsqu'ils parlent, disent des choses censées et communes. Rien d'étrange là dedans. Au contraire, ces hommes parlent de sexualité, de la première fois, de la difficulté à s'intégrer… Mais aussi de leurs sentiments, de la honte qu'ils ont lorsqu'ils sont dans la rue à vouloir sensibiliser les passants. Ils tiennent un discours humain et logique. Pour ce documentaire troublant, Kazuo Hara adopte une caméra à l'épaule, il veut faire trembler les préjugés de cette société. Sa caméra demeure instable, elle suit le rythme des spasmes des hommes qu'elle filme. Toujours mouvementée, elle n'a aucun moment de répit, en alerte constante. À la recherche de réactions, de détails dévoilés timidement par ces êtres humains lorsqu'ils sont entre eux, heureux et souriants.