.Romain Slocombe, mon Eros très privé
 
 
Entretien avec Romain Slocombe


- L'Occident et le Japon -

•  Quelles influences et reconnaissance avez-vous au Japon ?


© Photo : Caroline Maufroid

En ce moment je ne sais pas, mais à une époque j'étais assez reconnu dans le milieu “branché”, ce qui peut correspondre à pas mal de monde au Japon, le terme “ medical arto ” est même rentré dans la langue courante. Quand j'allais au Japon dans les années 90, on m'avait raconté qu'une élève d'école de photo avait dit dans son questionnaire d'entrée que son photographe préféré était Romain Slocombe, ce qui fait toujours plaisir (rires).

Mes bouquins partaient comme des petits pains, les librairies spécialisées écoulaient très rapidement leur stock … Mais le temps passe, les gens qui avaient 20 ans à cette époque ont peut-être d'autres préoccupations, les nouvelles générations ne connaissent pas forcément mon travail.

•  Mais votre public se renouvelle?

Oui, bien sûr, peut-être qu'on va voir des Japonais débarquer lors du vernissage, s'extasiant de voir que je suis toujours vivant et que je travaille maintenant avec des occidentales (rires).

•  Comme vous, l'artiste anglais Trevor Brown témoigne d'un attrait obsessionnel envers l'érotisme japonais déviant. Que pensez-vous de ses travaux ?


Trevor Brown

Oui, au début on m'a montré son travail en me disant à quel point son style ressemblait au mien. Il se trouve qu'il a été très marqué par Bazooka, les dessins de Kiki Picasso, les miens, le Japon, le lolicon … Je lui ai envoyé un petit mot, ce qui l'a beaucoup touché. Vers 1992 on a beaucoup correspondu, par lettres car Internet n'avait pas encore explosé, je l'ai reçu quand il est venu à Paris avec sa femme, qui est d'ailleurs japonaise … C'est quelqu'un de très timide, qui ne parle pas mais écrit beaucoup et bien sûr s'exprime dans ses peintures. Il a d'abord repris le style de Bazooka, puis est parti vivre pour de bon à Tokyo. Il vend surtout dans le privé, a quelques commandes de magazines, notamment érotiques, mais a suffisamment de clients particuliers pour en vivre totalement. Il y a chez lui une espèce de culture rock avec toutes ces petites punkettes qui ne me parle pas vraiment, mais en général j'aime beaucoup ce qu'il fait

•  Croyez-vous à une possible interpénétration entre culture japonaise et culture française ?


Trevor Brown

Non, pas vraiment, l'état d'esprit français reste très différent de l'état d'esprit japonais. Les Français ratent pas mal de subtilités et ont à l'inverse une forme de sophistication que n'ont pas les Japonais, qui eux restent très à l'affût de tout ce qui se passe à l'extérieur de leur pays, mais je pense qu'il y a peu de gens comme Trevor Brown ou moi pour vraiment essayer de comprendre le Japon et se nourrir de cette culture. Bien sûr ce genre de chose est plus fréquent aujourd'hui avec la culture manga, le charme des petites japonaises … Il y a beaucoup de couples mixtes qui se sont formés, le plus souvent des garçons français tombant amoureux de Japonaises. J'ai d'ailleurs peut-être eu un petit rôle là-dedans, j'ai notamment rencontré un monsieur qui m'a dit que c'était grâce à mon livre L'Empire érotique qu'il était parti épouser une Japonaise (rires).

•  Il y a quand même eu énormément de progrès en termes de culture populaire. Si on compare avec la situation du manga d'il y a quinze ans …

Oui, on a eu un déclic entre le manga et une certaine jeunesse française. Mais pour moi ça reste bien moins pointu que ce sur quoi je travaille, qui s'est lui aussi amplifié, mais sans commune mesure avec le phénomène manga.

•  De plus en plus de films occidentaux font référence au Japon. Avez-vous vu Kill Bill ou Lost in translation ? Qu'en avez-vous pensé?

En fait non. Ma fille a bien aimé, mais pour Lost in translation quand un film plaît à ce point ça finit par m'énerver. Mais Tarantino est un passionné, il comprend profondément le film de yakuza. Je finirai par voir ces films.

•  J'avais lu une interview d'une personne qui parlait des rapports culturels entre la France et le Japon, et les comparait à un homme et une femme, très amoureux l'un de l'autre, mais qui ne se comprenaient absolument pas. Que pensez-vous de cette image ?

J'en parle dans mon premier livre, je pense que le Japon en tant que culture a une attitude masochiste, qu'en tant que peuple cette virilité apparente cache un énorme complexe de victime, quelque part assez féminin. Le Français serait par comparaison plus viril, mais c'est de l'esbroufe à côté de l'Allemagne ou l'Angleterre. Le Français est très frimeur, mais au premier coup, en guerre, en politique, c'est la débandade. Finalement ce sont peut-être les aspects féminins de la France et du Japon qui peuvent se comprendre, dans leur côté “ faux héros ” et leur sens de l'intellectualisation. Les Japonais comprennent très bien les mouvements philosophiques français, Sartre, Beauvoir …

•  On recevrait donc l'imagerie mais en aucun cas le fond culturel du Japon?

Oui, la partie émergée de l'iceberg. Il faut vraiment aller au Japon ou vivre avec un Japonais ou une Japonaise pour comprendre.