.Romain Slocombe, mon Eros très privé
 
 
Entretien avec Romain Slocombe


- Romain Slocombe l'artiste fétichiste -

•  Vous vous définissez volontiers comme un ‘auteur fétichiste'. De quels thèmes et cinéastes érotiques vous sentez-vous proches ?


L'étudiante blessée

Déjà je pense que tout le monde est fétichiste, tout le monde a des fantasmes. J'en fais un carburant créatif, mais ça tient à ma fonction d'artiste. Concernant les réalisateurs érotiques, je m'intéresse plus aux réalisateurs parlant de l'érotisme. J'adore par exemple Luis Bunuel. C'est quelqu'un qui à travers des films “ normaux ”, grand public, pas spécialement connotés, a parlé de thèmes fondamentaux, souvent avec une violence incroyable restant malgré tout cachée, comme sa période mexicaine, quelque part très lisse. Il faisait ces comédies mondaines en noir et blanc mais qui parlent en fait de fétichismes, de délires morbides … C'est l'héritage du surréalisme évidemment, et c'est ce genre de cinéma qui me parle le plus, en fin de compte.

Il y a aussi bien sûr des réalisateurs japonais, mais je prendrai plutôt des petites choses chez chacun. Chez Kumashiro, chez Wakamatsu qui livre quelque chose de très brut, très poétique, pas du tout intellectualisé. Oshima au contraire est très cérébral, très érotique mais aussi “ ennuyeux ”, assez godardien. L' Eros+Massacre de Yoshida est d'un ennui total mais très esthétique … Ensuite il y a les pinku eiga de Tanaka, intéressants mais déjà plus commerciaux…

•  Vous parlez d'esthétique, et justement dans mon expérience je ne me souviens pas d'avoir vu un film japonais réellement mal cadré.

Oui, c'est vrai. C'est d'autant plus frappant que c'est souvent du Scope en caméra à l'épaule. Fukasaku est, à ce sujet, complètement étonnant. C'est ce que j'apprécie au Japon, c'est un peuple d'artistes, un peu comme les Italiens, ils sont très sensibles à la beauté et ont une culture de l'épure, de l'image simplifiée, un peu comme l'histoire du maître de thé qui a coupé toutes les fleurs, n'en laissant qu'une pour le shogun, car il s'agit de la quintessence de la beauté de cet arbre. On le voit aussi dans la présentation de la nourriture japonaise.

•  Pour en revenir au fétichisme, vous avez scénarisé L'Étudiante blessée pour le label Kinbiken. C'est un travail souvent ignoré, pouvez-vous nous en parler ?

En fait c'est une improvisation. J'avais eu l'idée de base, j'ai trouvé l'actrice principale, qui est devenue Natsué dans Un été japonais . Le film est disponible en vidéo, mais a été tourné en deux heures, avec juste un peu de montage par la suite. C'est le musicien Masami Akita qui filmait, il y a eu une diffusion dans le circuit érotique, mais c'est vraiment leur film.

•  Avez-vous des anecdotes particulières concernant Kinbiken et ses têtes pensantes ?


Un film de la série Onna Harakiri du label kinbiken

En fait je les rencontrés grâce à Trevor Brown, qui admire beaucoup ce groupe. Nous avons pu assister à l'une de leurs séances, on m'a laissé filmer et faire des photos, j'ai ensuite fait venir le travail du photographe Akio Fuji à Arles. Ce sont des puristes du bondage. Quelqu'un comme Chimuo Nureki est vraiment un maître, ce qui demandait des rapports très respectueux avec lui. C'est un vieux monsieur avec un vrai côté prima donna, très nerveux, très sensible et colérique.

Pour l'anecdote donc j'avais une fois fait des photos avec eux, et comme je cherche toujours des modèles, nous nous sommes tous retrouvés à table, avec une dizaine de personnes, et moi en train de discuter avec une jeune fille que je voulais faire poser. On s'est mis à pas mal bavarder, ce qui a fini par gêner Chimuo Nureki, lui aussi en train de parler. Ça ne se faisait absolument pas, il est rentré dans une colère noire et m'a ordonné de partir. J'ai fait celui qui ne comprenait pas trop, me suis platement excusé, il a fini par se calmer. Le problème c'est que l'incident s'est reproduit dix minutes plus tard, ce qui l'a vraiment mis très en colère.

•  Pour finir tout en restant dans les questions de compréhension, quel a été le malentendu le plus embarrassant que vous ayez causé ?


La maison des perversités (tanaka)

Au Japon, je m'y retrouve à peu près car je connais cette culture, mais en plus de l'incident Nureki, j'avais eu l'occasion jadis d'aller dans la campagne japonaise dans une vraie ferme, chez une collègue de ma première femme. Vivait là la matriarche du coin. Toute la petite communauté était venue présenter ses respects et peut-être aussi voir quelle bobine j'avais.

Ils se sont donc tous inclinés devant la vieille dame, limite tête contre le plancher à la façon des films de samouraï, et moi comme un con je me suis aussi cru concerné et j'ai fait pareil à leur égard, en réponse (rires). Tout le monde a pouffé, et on m'a expliqué ensuite que je n'étais pas du tout celui qui était salué.