.Romain Slocombe, mon Eros très privé
 
 
Entretien avec Romain Slocombe


- Romain Slocombe réalisateur -

•  Contrairement à vos travaux écrits, vos films sont difficilement trouvables. Pourquoi cette situation ?


© Photo : Caroline Maufroid

C'est-à-dire qu'ils sont sortis à une époque où le DVD n'existait pas et où il y avait des petites boîtes vidéo. En fait Haxan (éditeur d' Un monde flottant NDLR) m'a contacté, ainsi que les gens de l'Étrange Festival suite au scandale d' Un monde flottant à Arles. Je me suis bien entendu avec les gens de L'étrange Festival, mais ils n'ont finalement pas pris le film, car c'était un vrai documentaire, certes un peu corsé mais pas assez bizarre pour eux. Haxan l'a distribué en vidéo, puis a produit Tokyo Love . Il y a eu des problèmes avec eux, j'ai dû leur intenter un procès et j'ai récupéré les droits sur ces deux films qui, tournés en vidéo, n'ont aucune raison de sortir en salles. Canal + m'a ensuite contacté pour L'œil du cyclone , en fait le grand final de l'émission, une nuit entière constituée de courts-métrages un peu trash. Ils voulaient que je fasse un documentaire sur mon propre travail. J'avais déjà des projets en cours avec Pierre Tasso, qui venait du dessin animé, et nous étions soutenus par la société Ex Nihilo. On a donc fait la commande de Canal + et dans la foulée Week-end à Tokyo , toujours produits par Canal + et Ex Nihilo. Week-end à Tokyo était un scénario que j'avais écrit, une sorte de correspondance, entièrement en voix off.

•  Ce film a notamment été primé à Clermont-Ferrand.


Week end à Tokyo (1999)

Oui, il a reçu neuf prix l'année de sa sortie. C'est vraiment une réussite en cela qu'il y a eu une conjonction très favorable, entre mon style et celui de Pierre, le travail de la monteuse, l'association entre le rythme très lent du personnage de la Japonaise et celui très rapide du Français qui débarque à Tokyo complètement halluciné. Pierre a un sens du montage très cut alors que je travaillais sur les moments les plus calmes. J'étais parti tout seul, j'ai tout filmé, à l'inverse de La Femme de plâtre par exemple. À côté de ça j'ai eu une chance extraordinaire : j'ai trouvé l'actrice à Tokyo alors que rien n'était sûr, on a eu de la neige au moment où on en avait besoin … Beaucoup de choses ont été faites en une seule prise avec des acteurs non professionnels et ça a marché à chaque fois.

•  Vous avez parlé de Pierre Tasso. Quel est son rôle précis sur les films ?

C'est le co-réalisateur des courts-métrages. En principe je fais le scénario et lui travaille surtout en postproduction avec sa connaissance de la technique, du dessin animé, des effets spéciaux …

•  Votre roman Nao (2004) était à l'origine votre projet de premier long-métrage. Que s'est-il passé finalement ?

Oui, Pierre et moi voulions passer au long-métrage. On a donc réfléchi à l'histoire d'une Japonaise à Paris, avec des yakuzas … On a écrit le scénario à deux. Ce n'était pas un polar, les yakuzas étaient traités sur un mode humoristique, car présents en tant que touristes. Le projet n'a pas intéressé Ex Nihilo. Plus tard, Artcam, une structure assez réduite mais travaillant beaucoup avec des jeunes cinéastes notamment chinois, a repris le projet. Mais l'Avance sur Recettes a été refusée et c'est resté dans un tiroir, jusqu'à ce que Roland Jaccard, aux PUF, qui connaît bien le Japon, me demande d'écrire un roman pour sa collection “ Perspectives critiques ”.

Il fallait retravailler le scénario et finalement j'ai viré toute la partie yakuza pour me concentrer sur Nao, et les deux otakus. Pierre et la production n'aimaient pas cette partie-là, mais j'ai pu la réinjecter dans le roman, ce qui lui a finalement donné un côté un peu polar puis que l'un des otakus se révèle un serial killer.

•  L'Internet Movie Database nous a permis de voir que vous travailliez sur un dessin animé. De quoi s'agit-il ?

Oui, j'ai écrit un scénario sur un projet collectif baptisé Peur(s) du noir produit par Prima Linea, qui m'avait représenté lorsque j'étais illustrateur. Ils se sont reconvertis dans la production de dessins animés pour la télévision et le cinéma, et voulaient faire ce projet très ambitieux de dessin animé pour adultes, en noir et blanc, sur le thème de la peur. Les 7 sketches sont visuellement unifiés par Étienne Robial, (directeur artistique de Canal +, après avoir été le fondateur des éditions Futuropolis), mon scénario traite du Japon et est réalisé/dessiné par Marie Caillou, qui est très influencée par le Japon et l'univers enfantin des anime , mais de façon très perverse. C'est un faux dessin animé japonais, jouant beaucoup sur les codes du lolicon , avec une fillette perdue dans un asile psychiatrique.

•  Vous imaginez-vous réaliser un pur pinku eiga ?

Non, je me sens plus à l'aise dans le documentaire-fiction un peu à la Chris Marker, que j'admire beaucoup, où ce qui est filmé génère l'histoire — à l'inverse d'un scénario pré-écrit avec ensuite le financement, le casting, le pur tournage de fiction … Faire un pinku m'intéresse dans l'absolu, tout comme je voudrais être pianiste de concert, mais ce n'est pas vraiment dans mes cordes. Pour être réalisateur il faut je pense avoir un ego assez fort, savoir contrôler les gens soit par la douceur, soit par la cruauté, en tout cas transformer une situation en quelque chose d'utilisable. Moi je suis tellement fataliste qu'en cas de pluie je me fais une raison et filme quand même, ce qui est impossible pour une grosse production où il serait décrété qu'il faut du soleil.