- Quels sont vos souvenirs de
jeunesse ?
Je ne m’en rappelle pas très bien, sauf
qu'il était très dur de concilier l'école
professionnelle et le travail. Chaque jour, j'allais
à l’école de 9h à 16h, puis
j'enchaînais de 16h30 à 00h30 par mon travail
d'apprenti infirmier. Je dormais en moyenne 4h30 par
nuit, c’était éprouvant et j'ai
connu de graves problèmes de santé. Je
me suis réellement dépensé à
l’école professionnelle d’infirmier.
J'étais parmi les rares hommes dans une classe
essentiellement composée de femmes et j'éprouvais
comme une fierté masculine à vouloir à
tout prix être le meilleur. C'est présomptueux
de le dire, mais j’étais effectivement
le premier de la classe.
- Quand avez-vous pour la première fois
éprouvé l'envie de réaliser des
films ?
A 10 ans, un riche voisin m'a montré un film
en 8mm de son voyage à l’étranger.
Je me suis dit, « On peut aussi faire du cinéma
sous cette forme ! ». J’ai alors décidé
d'en faire à tout prix à partir de mes
13 ans.
- Pourquoi avoir finalement choisi le métier
d'infirmier en psychiatrie et non pas avoir tenté
d'intégrer un studio de cinéma ?
Mes parents s'y opposaient fermement; ils disaient que
le cinéma était un métier de Yakuza
ou un métier qui n'avait pas des revenus sûrs.
J'ai pensé que ma qualification en tant qu'infirmier
en psychiatrie allait les rassurer.
II.:
CONCRETISATION D'UN LOISIR
- Votre premier film important
était "Yohaku-No-Machi" ? Quelles sont
les principales difficultés auxquelles vous vous
êtes heurtées ?
Oui, il s'agit de mon premier long métrage. Je
voulais voir d’emblée jusqu’où
on pouvait aller en faisant un film en 8mm. Je ne me
rappelle pas des difficultés; c’était
avant tout amusant à faire.
- Qu’en a pensé votre père,
qui était opposé à ce que vous
fassiez du cinéma ?
Il a vu le film. Il en a seulement ri, mais il n'a donné
aucun avis en particulier.
- De quoi parlait votre métrage suivant,
"Nightmare" ? En quoi l'expérience
de votre premier long vous a-t-il aidé pour la
réalisation du second ?
J'ai voulu faire un film choquant et le thème
en était l’horreur. Le simple fait de voir
diffusées mes images sur grand écran et
de voir les spectateurs réagir vis-à-vis
des films qui représentent mon monde.
- Comment vous est venu le sujet de votre troisième
métrage "A Fossile in Summer" ?
Je déborde en général d'idées;
mais elles émergent surtout quand je suis devant
un large panoramique. J'avais tourné plusieurs
courts-métrages au cours des quatre ans passés,
mais aucun ne m’a plu et je les ai tous reniés.
J’ai tourné ce film en 5 jours.
- Vous n'avez conservé aucun de ces films
?
Tous ces films-là n’existent plus. A mes
yeux, ils n'étaient pas très réussis
à mes yeux et j'avais voulu faire beaucoup mieux.
Je me suis dit, « Je vais tous les supprimer »,
et j’ai brûlé la plupart de ces films.
III.:
FRANCHISSEMENT D'UNE NOUVELLE ETAPE
- "Gloss" est votre
premier métrage encore visible. Le sujet vous
a-t-il été inspiré par votre métier
?
Je voulais juste essayer de synthétiser mon métier
d'infirmier en psychiatrie dans un film.
Je voulais sortir de l’impasse de ma vie, y compris
du cinéma : je souhaitais que ce film soit une
révélation pour moi-même.
- Dès ce film,
la nature – symbole récurrent dans toute
votre œuvre – prend une signification particulière…
J’aime sentir la petitesse de soi au milieu d'un
paysage naturel et la joyeuse union avec la Terre par
le soleil, la montagne, le ciel et les vers; j'aime
partager ce sentiment avec d'autres. C’est important
pour se changer les idées étant déprimé
ou renfermé sur soi. La force de la Nature est
effectivement l'un des principaux thèmes dans
mes œuvres.
- La fin de "Gloss" rappelle celle
de vos œuvres suivantes, "For Me and my gal"
et "Wayajan" – tous trois se terminent
par la mort…
"La mort" et "La vie" sont des faits
indéniables. Je me pose la question : n'y aurait-il
pas "la vie" après "la mort"
? C’est un thème récurrent dans
mes films.
- "For me and my
gal" amorce une autre thématique récurrente
de votre œuvre : l’incommunicabilité
entre deux êtres.
Il n’existe aucune relation humaine qui s’entended
à 100%. Ce petit décalage va aller en
s’élargissant, comme des cerceaux à
la surface d'une eau troublée. Je souhaitais
montrer cette particularité de la société
humaine sous une forme réduite. Le contact humain
se fait au hasard (en fait par nécessité)
à partir d'une solitude. Voyez une symbolique
du Japon actuel : le manque de communication…
- Quelle est l'explication
psychologique des photos d'yeux collés au plafond
en fin du film ?
Veuillez l’interpréter comme l’acte
narcissique par excellence.
- La fin semble inaboutie…
?
En fait, il y avait une suite : Le suicide de la femme
n'avait été qu'une simulation. Son geste
(le suicide simulé) était son dernier
acte pour tenter de le retenir. Après ça,
chacun revient à sa solitude.
- "Wayajan"
reprend la thématique de l'impossibilité
à communiquer…
Comme je l'ai expliqué précédemment,
c'est à partir du petit décalage que le
malentendu entre deux humains va aller en s’agrandissant.
- La Nature joue-t-elle
cette fois le reflet d'un certain retour à l'état
sauvage par la violente altercation en fin de film ?
Exactement !
- "Summer Lady"
est une très belle fable métaphorique
sur une femme de foyer se divertissant en pénétrant
illégalement dans les appartements des autres.
Vous avez dû être surpris du film de KIM
Ki-duk - "Locataires" sorti l'année
dernière ?
Parmi ses films, je n’ai vu que "The Isle"
(2000); mais j’ai l’impression que sa sensibilité
ressemble quelque part à la mienne.
- L'épisode du revolver est-il la métaphore
du dépassement de la femme ? Une chose –
comme l'intrusion dans les appartements de ses compatriotes
– qu'elle ne ferait jamais autrement ?
Oui ! C’est exact.
- Comment avez-vous eu
l'idée de "Summer Park" ?
J’ai écrit ce scénario en partant
du postulat d'une paranoïa que j’avais étant
petit : que mes parents m'abandonnent tout d’un
coup.
- Est-ce à cause de l'innocence enfantine
que le "décalage" de vos deux personnages
n'aboutisse pas à un drame comme dans vos précédentes
œuvres ?
Ces deux personnages ont un environnement semblable
qui fait qu'ils se comprennent.
- La fille est SIMILAIRE
à la femme, mais pourrait également être
la femme étant enfant ?
Cette interprétation aussi est exacte !
IV.:
LES LONGS METRAGES
Pourquoi avoir attendu près
de neuf ans avant de vous remettre à la réalisation
avec "Six-Jizo" ?
Jusque-là, j'avais été un infirmier
salarié; mais en souhaitant poursuivre les soins
médicaux psychiatriques à ma propre façon,
j’ai eu l'idée d'ouvrir une clinique avec
un ami médecin. L'aboutissement du projet m'a
demandé énormément d’énergie,
et je ne pouvais me remettre à la réalisation
de films avant de retrouver un certain équilibre.
Je n'ai pourtant jamais perdu mon envie de "filmer".
Une fois la clinique sur les bons rails, toute l'énergie
bouillonnant en moi a explosé.
- Le film marque un net progrès dans
votre manière de réaliser.
Peut-être à cause de mon nouvel état
d'esprit et parce que j’ai voulu utiliser un nouveau
style.
Je me suis principalement inspiré de J-P Melville
et de Robert Bresson. Leurs films m’ont stimulé
quand j’étais encore un adolescent sensible.
- Comment expliquez-vous votre soudaine passion
pour la représentation d'actes violents?
Certaines violences, même par de simples mots,
peuvent pousser des êtres humains à "la
mort". A mon avis, le terrorisme aveugle ou le
suicide sont bien plus épouvantables que la violence
que je décris dans le film. Comme je l’ai
dit précédemment, je voudrais qu’on
voie au-delà de "la mort".
- Pourquoi filmer les scènes de violence
en Noir & Blanc dans "Gokuraku" (et "Six-Jizo")
?
Je trouve les scènes plus naturelles en Noir
& Blanc. A force d'exercer mon métier d'infirmier,
je suis souvent confronté à "la mort".
Quand je me tiens devant un de ces lits de "mort",
j'ai parfois l'impression de les voir en Noir &
Blanc. Donc j'ai voulu m'exprimer de cette même
façon.
- Vous déconstruisez la structure narrative
du film ?
Ce qui se passe dans le film est en quelque sorte une
illusion ressentie par le projectionniste Nakamura.
J’ai donc décrit le "rêve"
et la "réalité". A mon sens,
chaque spectateur percevra cette nuance différemment.
J'ai voulu tenter un nouveau style de montage (NdlA.
: notamment grâce au travail sur du numérique).
J’ai entrepris de se faire croiser les mondes
"réalité" et "illusion".
- "September Steps" prend de directions
inédites en faisant une incursion par le film
d'horreur !
Effectivement, au début j'ai voulu faire un film
d’horreur; mais vu que j’ai pris connaissance
de la métempsychose (NdlA. : doctrine selon laquelle
une âme peut animer successivement plusieurs corps
humains) en cours de tournage, j’ai décrit
"la mort" et "la renaissance".
V.
: LE TRAVAIL DE LA REALISATION
- Le coût relativement
peu élevé du tournage en numérique
relance-t-il votre énergie à tourner?
Comment réussissez-vous à enchaîner
aussi rapidement les tournages ?
Sans aborder la question
budgétaire, j’ai toujours eu envie de filmer.
Les principales vertus de la vidéo numérique
sont une projection en bonne qualité sur un grand
écran et un montage plus facile. L’avantage
du film indépendant est la simplicité
et la rapidité. J’en profite au maximum.
- Comment rédigez-vous
vos scénarios ?
La plupart des scénarios sont co-écrits.
Après les premières idées –
même vagues – émises au cours d'une
discussion, nous écrivons la suite chacun notre
tour. Vu que nous nous complétons parfaitement
au sein de "l’équipe Toda", nous
peaufinons les derniers détails sur les lieux
même du tournage.
- Travaillez-vous votre
découpage sur story-board ? Vous soignez beaucoup
plus votre mise en scène. Pensez-vous que votre
style est en train de progresser ?
Je prépare toujours le découpage et un
story-board. Je ne sais pas si c’est la progression
ou la régression, mais en tout cas j’aimerais
avoir tout essayé.
- Comment se passe le
travail avec vos acteurs ?
C'est comme une relation amicale, mais sans contestation
quant à ma mise en scène. Comme ils aiment
mes films, ils me font confiance. Bien sûr, nous
organisons beaucoup de réunions avant le début
du tournage.
- Avez-vous trouvé
en l'acteur YAMADA une sorte de alter ego ou plutôt
un acteur fétiche ?
Les deux. Lui aussi a dû abandonner le rêve
de devenir acteur de cinéma par respect pour
ses parents, mais sans renoncer "au cinéma";
il est actuellement projectionniste. Nous véhiculons
donc une même philosophie dans notre "sang"
et nous nous comprenons sans mot dire.
- Comment se passe la
collaboration avec votre compositrice Mikiko HASEGAWA
?
Je l’ai connu en réalisant "Gokuraku";
elle aimait beaucoup mes films. Nous pensons avoir la
même sensibilité; je m'occupe des images,
elle de la musique. Je ne lui donne aucune indication.
Chacun crée en fonction de sa propre sensibilité.
La musique m'importe désormais beaucoup, mais
je ne voudrais surtout pas m'en servir comme vecteur
émotionnel au cours de l'histoire. Elle le comprend
bien.
- Suite à vos récentes
incursions dans le jidai-geki (films en costumes avec
"Tempête Rouge") et le yakuza eiga (films
de gangsters avec "Six-Jizo"), aimeriez-vous
aborder d'autres genres cinématographiques à
l'avenir ?
Je n’ai pas d’autres projets pour le moment,
mais j’aimerais tenter différentes choses.
Propos
recueillis par Bastian Meiresonne en janvier 2006.
Traductions et retranscriptions assurées par
Yuka Ishizu-Tauveron.
Un chaleureux remerciement à Guillaume Tauveron
pour son indispensable contribution.