Aux côtés de Keiichi Hara et des fringants animateurs du Studio 4°C, Mamoru Hosoda incarne une nouvelle génération de réalisateurs évoluant dans l’ombre de l’ogre Ghibli. Dans le giron d'un studio Mad House friand des univers de l'écrivain Yasutaka Tsutsui (Paprika, La Traversée du Temps), il signe avec Summer Wars une prolongation de ces thématiques où virtuel et réel cohabitent harmonieusement. Il nous expose ici son point de vue sur sa dernière œuvre, une discussion qui s’étend sur son parcours dans un milieu de l’animation nippone aux perspectives d'avenir pas toujours sereines. Selon vous, comment a évolué l’animation japonaise ces 20 dernières années ? Je dirais que la spécificité de l’animation japonaise d’aujourd’hui vient en effet des années 90, tout simplement parce que c’était une période où beaucoup de changements sont intervenus. Dans les années 60-70-80, les dessins animés japonais étaient vraiment faits pour les enfants, même si on a eu quelques séries qui ont réussi à atteindre les adultes, comme Gundam ou Yamato. Dès les années 90, les films des studios Ghibli ont commencé à rapporter énormément d’argent. Porco Rosso ou Princesse Mononoké ont ainsi rapporté des sommes considérables et ont montré à l’industrie que les enfants n’étaient pas les seuls à regarder des dessins animés. Et c’est aussi dans les années 90 qu’a explosé le phénomène Sailor Moon, qui a rapporté plusieurs centaines de milliards de yens de bénéfice, et que la saga Evangelion a vu le jour, saga qui passionne encore un très gros noyau de fans. Ces séries ont marqué le public geek, qui est un public de niche mais un gros public quand même. Et donc, voilà ce qu’ont apporté les années 90 : désormais, l’animation japonaise allait s’adresser en priorité au grand public, sur le modèle de Ghibli, et aux geeks, sur le modèle d’Evangelion. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est vraiment passé sur Le Château ambulant ? Je suis désolé mais, avec Ghibli, nous nous sommes mis d’accord pour ne pas trop évoquer cette histoire. Donc je peux vous raconter comment ça s’est passé mais je vais être assez évasif sur certains détails. Est-ce que ça vous convient ? Allez-y. Mais en fait, sans forcément rentrer dans les détails, c’était surtout pour savoir, malgré tout le respect que l’on peut avoir pour l’œuvre de Miyazaki, si ce n’est pas difficile, pour un jeune animateur, de travailler chez Ghibli lorsqu’on essaie de faire autre chose que du Miyazaki… Oui, c’est ça. Le studio Ghibli est une structure qui a été créée essentiellement pour permettre à monsieur Miyazaki de produire ses œuvres et malheureusement pas pour créer d’autres choses. Le succès de Ghibli a donné une position assez délicate à la production animée nippone car, aujourd’hui, au Japon, on considère que seuls les dessins animés du studio Ghibli méritent d’être vus. Et je pense que ce n’est pas une situation très saine pour notre marché de l’animation. Or, fondamentalement, il y a la place pour les films du studio 4°C, du studio Madhouse ou de Toei Company, car ce ne sont pas des studios Ghibli que naîtront les nouveaux talents. Et pour revenir au Château ambulant, l’expérience que j’ai eu au studio Ghibli a été très enrichissante. J’ai été embauché à l’époque parce que le producteur du studio, monsieur Suzuki, souhaitait commencer à former de nouveaux réalisateurs. Et c’est comme ça que j’ai eu la chance d’être choisi par eux pour faire Le Château ambulant. Hélas, je ne me suis pas entendu avec l’équipe d’un point de vue artistique et logistique, mais j’ai quand même beaucoup appris de cette courte expérience. Tout simplement parce qu’à l’époque où je travaillais chez Toei, j’avais cette sorte de posture un peu adolescente : je souhaitais réaliser des choses très sophistiquées, extrêmement sombres et classieuses. Je me disais que j’allais faire des œuvres tourmentées pour pouvoir faire passer un message, mais en fait, en travaillant sur Le Château ambulant, je me suis aperçu que c’était beaucoup plus gratifiant de faire passer un message en allant vers la rondeur et la simplicité. Même si ça a l’air plus classe, la complexité et les tourments ne permettent pas d’atteindre le public avec autant d’impact. La simplicité est le meilleur des vecteurs pour faire passer un message. Et vu que c’est de cette constatation que sont nés La Traversée du temps et Summer Wars, du coup, je ne regrette absolument pas d’être passé par le studio Ghibli. | |
![]() | le parcours de la vie ... une scène métaphorique de La traversée du Temps | Mais, et la relève du studio Ghibli alors… Effectivement, c’est une question qu’on se pose beaucoup au Japon. Monsieur Miyazaki a quand même 69 ans donc tout le monde se demande « qui sera le prochain Miyazaki ? », mais c’est une question un peu bizarre, parce que le prochain Miyazaki, on le connaît, c’est son fils Goro. Il est déjà là, le second Miyazaki, donc il n’y a pas à chercher bien loin. Et de plus, je ne pense pas que monsieur Miyazaki se cherche un héritier dans le monde de l’animation car il n’a vraiment pas poussé son fils à faire ce métier. Donc, pourquoi chercher un autre Miyazaki alors qu’on en a déjà un qui est très bien. D’autre part, je pense que l’animation japonaise doit évoluer avec son temps. Tout comme Leonard de Vinci continue d’exister aujourd’hui uniquement par ce qu’il nous a légué, il faut laisser l’animation japonaise évoluer plutôt que de vouloir à tout prix trouver une suite à Miyazaki. Surtout que, de toute façon, ce sont les spectateurs qui choisiront. Comment avez-vous été amené à travailler avec le studio Mad House et, selon vous, que représente ce dernier dans le milieu de l’animation japonaise ? Tout a commencé au moment où j’ai quitté Ghibli. Venant de la Toei, j’étais plus ou moins destiné à aller chez Ghibli, mais j’ai eu la chance de rencontrer monsieur Masao Maruyama, qui est le président du studio Mad House, avec qui j’avais fait des petites choses auparavant et qui m’a proposé de faire un film avec eux. J’ai eu de la chance car Mad House est une société très importante dans le paysage de l’animation japonaise : ils mettent l’accent sur les auteurs plus que sur les productions. Je pense que c’est d’ailleurs la seule société japonaise à fonctionner comme ça, en mettant les auteurs au centre du processus de création. Grâce à ça, j’ai pu réaliser les dessins animés que je voulais. Je pense que c’est grâce à cette politique que Mad House produit des œuvres aussi originales. Est-ce qu’il y a une sorte d’esprit Mad House, une sorte d’émulation entre les réalisateurs qui y travaillent ? Non, pas vraiment, ça ne fonctionne pas comme ça chez Mad House. Mais ça ne fonctionne comme ça dans quasiment aucun studio. Si l’on prend l’exemple de Ghibli, monsieur Takahata et monsieur Miyazaki, lorsqu’ils travaillent sur leurs films respectifs, ne se parlent jamais. Moi, lorsque j’étais sur Le Château ambulant, je n’ai jamais parlé avec monsieur Miyazaki. Sauf chez Toei. Là, on discutait beaucoup entre nous. On était tous de joyeux réalisateurs et de joyeux directeurs de l’animation ! (rires) On venait se voir en se disant « Oh dis donc, ta scène, elle est pourrie ! Qu’est-ce que c’est que ça ? ». on allait boire des coups en s’envoyant des vannes, c’était très sympa cette ambiance de caserne. Bon, et chez Mad House, il arrive quand même que l’on se voit et que l’on discute d’animation. Par exemple, je suis très ami avec Keiichi Hara, le réalisateur d’Un été avec Coo, et ça nous arrive de discuter de nos films, d’échanger des points de vue et des conseils sur ce qu’on fait. Bon, c’est vrai qu’il a une dizaine d’années de plus que moi et que j’ai donc plus à apprendre de lui qu’il n’a à apprendre de moi, mais on se voit souvent pour discuter de nos projets en cours. |
![]() | "Je voulais avant tout montrer la combativité et la vitalité d’une famille réunie contre une même cause." | D’où vous vient ce goût pour les univers parallèles qui communiquent entre eux ? C’est vrai que c’est un thème que j’aime explorer. Principalement parce que j’ai envie de dessiner le monde réel, à la base. Et que pour donner plus d’importance à ce monde réel, je lui oppose un autre monde. De plus, pour les personnages, revenir d’un monde parallèle les aide à davantage profiter de leur propre monde. Par exemple, dans Summer Wars, toutes les séquences qui se déroulent dans le monde virtuel sont suivies par des séquences reprenant pied dans un monde réel plus rassurant. On est toujours content de rentrer chez soi et il ne faut pas sous-estimer ou négliger son entourage. Lorsqu’on revient du virtuel, on retrouve sa famille et on est heureux d’être en son sein. Summer Wars est un film plutôt hybride. Comment avez-vous réussi à concilier chronique familiale intimiste et science-fiction abstraite ? C’était en effet l’un des défis du film. Mais en même temps, c’était tout le propos du film que de faire cohabiter ces deux univers, tout simplement parce que je voulais mettre en parallèle les relations qu’on a avec des gens que l’on a connus sur Internet et que l’on a jamais rencontrés de notre vie, et les liens familiaux. Car les liens que l’on tisse au cours de notre vie n’ont finalement que l’importance qu’on leur donne. Evidemment, je ne voulais pas tenir un discours manichéen prétendant que certains types de relations sont meilleurs que d’autres. Je voulais avant tout montrer la combativité et la vitalité d’une famille réunie contre une même cause. Je trouvais ça intéressant de faire reposer le destin du monde non dans les mains d’un super-héros tout puissant mais dans celles d’une famille toute simple qui décide de se serrer les coudes face à l’adversité et de partir en guerre par le biais d’Internet. Du coup, j’ai vraiment cherché à bien différencier les deux mondes, dans leurs ambiances, leur tonalité graphique… Aviez-vous une volonté de réconcilier, à travers ce film, le Japon ancien et rural et la haute technologie des grandes villes modernes ? Tout à fait, il s’agissait vraiment de réconcilier les différentes générations entre elles. C’est d’ailleurs pour ça que les deux héros de Summer Wars sont un jeune garçon et une grand-mère de 89 ans. Quand on parle d’Internet et des nouvelles manières de communiquer, vous allez avoir une séparation nette entre les générations. D’un côté, les jeunes, qui sont très adeptes de toutes ces nouvelles technologies comme le tchat ou les messageries instantanées, qui sont très absorbés par tout ça et qui ont tendance à négliger leur entourage direct. Et de l’autre, on a les personnes âgées, qui ne vont même pas essayer de s’intéresser à ces nouveaux modes de communication, qui vont tout rejeter en bloc et regretter à tue-tête leur bon vieux temps. Et ça ne m’intéressait pas de prendre parti pour l’un des deux groupes. Ce que je voulais dire, c’est que, réels ou virtuels, les échanges qu’on a avec autrui ne sont pas définis par les moyens de communication qui nous permettent de les exprimer mais bien, encore une fois, par l’importance qu’on leur donne. C’est l’échange en lui-même qui est important. |
![]() | "Takashi Murakami est venu me voir pour me dire qu’il avait adoré ma représentation de cet univers flottant dans Digimon." | La deuxième partie de Summer Wars, de même que votre court-métrage Superflat Monogram, récupère l’esthétique du Superflat. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce courant artistique ? Ce genre d’univers flottant est pour moi empreint de nostalgie puisque la première fois que je l’ai utilisé, en 1999, j’étais alors réalisateur du long-métrage Digimon. Et monsieur Takashi Murakami, qui est designer pour Louis Vuitton et qui est l’un des artistes les plus représentatifs du Superflat, cette sorte de pop-art nippon, est venu me voir pour me dire qu’il avait adoré ma représentation de cet univers flottant dans Digimon. Du coup, il m’a demandé de mettre en scène cet univers à l’occasion d’un court-métrage promotionnel pour Louis Vuitton. Et c’est comme ça que nous avons collaboré sur Superflat Monogram en 2003, sur lequel j’ai été totalement libre. Quand j’ai conçu l’univers virtuel de Summer Wars, je me suis dit que j’allais à nouveau utiliser cela car j’ai beaucoup d’affinités avec ce concept visuel. Comptez-vous retravailler avec Mad House ? J’aimerais bien mais, malheureusement, je ne sais pas car, Mad House, en choisissant de privilégier la vision des auteurs, ne réalise pas vraiment de bonnes performances financières. Et cela peut, à terme, remettre en cause son existence même. Auquel cas ce serait triste car je devrais trouver une autre structure pour produire mes films. Pourtant, Summer Wars a été un gros succès au Japon… Le problème, c’est que pour un Summer Wars, vous avez un certain nombre d’autres productions du studio qui ne gagnent pas autant d’argent. Je ne pense pas qu’avec un Summer Wars, on puisse redresser uune situation financière pas très confortable. |
Propos recueillis par Arnaud Bordas en mars 2010. Traduction Grégoire Hellot. Entretien réalisé dans le cadre de la sortie française de Summers Wars. Photos © Kaze
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