Si l’on croise épisodiquement son nom dans des projets ouvertement commerciaux (Dog Star, MoonChild ou encore récemment Pandemic), l’importance de Takahisa Zeze doit surtout s’apprécier à travers son rôle de rénovateur du cinéma érotique contemporain ; aidé en cela par ses camarades du Shi-Tenno (les quatre empereurs du pinku) : Hisayasu Sato, Kazuhiro Sano et Toshiki Sato. Figure à part dans ce milieu, ses films foncièrement sombres et dépressifs, avares en scènes dénudées sont loin de faire l'unanimité chez les spectateurs érotomanes des salles obscures spécialisées. A travers son univers, on y découvre un Japon en marge, froid et violent, peuplés d’exclus et d'êtres à la dérive. Avec Raigyo, Zeze signe un film profondément anti-érotique, un modèle de froideur et de déprime. La présence du raigyo, repoussant poisson à tête de serpent, plane insidieusement tout le long du métrage. Tel un oiseau de mauvais augure, il annonce l'inéluctable drame à venir. La puissante photographie de Koichi Sato pose un pesant voile verdâtre, un univers terne et monotone d'où surgit de vifs fragments de couleurs. Une tension des contrastes qui finira par éclater dans une chambre de love-hotel, étrange lieu surréel où se jouera, dans le sang, le drame entre deux êtres. Femme délaissée, homme adultère, une rencontre parmi tant d'autres possibles, le cinéaste dépeint les vicissitudes du destin ; un hasard qui seul décide de tout, rencontres avortées, rencontres inopportunes. Tel un pantin pathétique, l'humain est accablé par un monde qui le dépasse. Un univers morbide où des intérieurs cliniques côtoient de lugubres marécages et d'oppressant complexes industriels en friche, et où une nature en pleine décrépitude offre un cadre mortifère : omniprésence de cadavres d'animaux et autres environnements souillés. | |
![]() | Directeur photo fidèle du cinéaste, Koichi Saito livre ici un de ses plus beaux travaux | Un cadre allégorique qui forme la clé de voute de l’œuvre : la question de la pureté perdue, du salut de l’âme et de la rédemption ; autant de thèmes récurrents que le cinéaste n’a de cesse de creuser de manière obsessionnelle (voir notamment Dream of Garuda ou encore Gap In The Skin). En lointain écho, la figure de l'enfance, période radieuse et insouciante, apparait dès lors comme le seul souvenir auquel se rattacher. Raigyo met en parallèle deux destins qui finiront, bon gré mal gré, par se rencontrer. Deux personnages déconnectés de la réalité, évoluant dans une sorte de no-man's land industriel et campagnard. Une succession banale de gestes et d'actes quotidiens parasités par l'irruption de scènes à la frontière de l'onirisme. En fond sonore, de stridents violons plaintifs ajoutent un peu plus à la déprime ambiante. D'un scénario dépouillé, Zeze tire une structure limpide où la narration use brillamment de multiples ellipses, laissant au spectateur le soin de reconstruire le puzzle tout en ménageant des zones d'ombres, renforçant ainsi la sensation d'étrangeté d'un univers déjà bien sinistre. La mort violente se révèlera finalement comme l'inévitable issue pour évacuer cette profonde solitude, amer constat s'il en est de l'incommunicabilité entre les hommes. Le plan final marquera le retour brutal à une normalité plus sereine, en apparence tout du moins. Raigyo ne se soucie guère des motivations de ses personnages, un film au rythme lancinant et quasiment muet où seule compte l'atmosphère et l’évocation d’un flottement diffus, celui de la solitude première des âmes. La mise en scène épurée à la violence sous-jacente, appuyée par des acteurs habités, cimente un peu plus ce qui mériterait indiscutablement de sortir de son ghetto cinéphilique. Une réussite marquante. |
Un film de Takahisa Zeze | 1997 | Avec Sakura Moe, Takeshi Ito, Takuji Suzuki, Ryumei Homura | Disponible en DVD chez Salvation • Une chronique de Martin Vieillot
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