.Cinéma de genre : l'influence Okura
 
 

Divertissements virils

Réalisateur à succès des Joo-Bachi ., la contribution de Teruo Ishii au studio ne s'arrête pourtant pas à cette seule série. Chef de file du polar noir, on lui doit des films virils où la figure masculine reprend le haut de l'affiche tels Le port de la chair (1958), Corps de femme (1960) où la fiancée du héros devient maîtresse d'un parrain de la drogue et Duel mortel dans le blizzard (1959) narrant la rescousse d'une femme captive d'un trio de malfrats. Pourtant en dehors de ces one-shot, c'est surtout la série des Chitai (‘Zone') qui va constituer le fer de lance du film noir made-in Shin-Toho et fortement influencer les polars japonais du début des années soixante. Basé en référence à La rue de la honte de Mizoguchi (1955) dont le titre littéral est ‘La zone rouge', la série de Teruo Ishii se pose en déclinaison ludique prenant pour cadre les ruelles sombres et docks d'un Tokyo de malfrats et de prostituées. Débutant par Zone blanche (1958) où Bunta Sugawara fait ses premiers pas, Ishii enchaîne avec Zone noire (1960), Zone jaune (1960), Zone sexy (1961) puis co-écrit le scénario de Zone brûlante (1961), volet final de la série. Inspiré des romans de gare où les ressorts narratifs font la part belle aux ‘hasards et coïncidences', les canevas sont avant tout l'occasion de décrire un Tokyo pittoresque fait de magouilles et trafics en tout genre. Si les enjeux dramatiques sont bien présents, Ishii désamorce le pathos au profit d'un regard parodique où le héros se trouve dépassé par des femmes rusées et manipulatrices. En effet dans ces histoires de detectives/journalistes en apparence viriles, Ishii renverse les rôles en promouvant la figure féminine incarnée par la charmante Yoko Mihara qui fait beaucoup dans la spécificité pro-féministe de la série. Tour à tour, femme ordinaire ou dame maquerelle, ses mimiques boudeuses et son attitude désinvolte constituent un contrepoint parodique aux clichés qu'Ishii introduit pour ensuite mieux les démonter. L'ancrage exclusif dans les quartiers chauds offre à Ishii l'occasion de dépeindre des personnages patibulaires et impayables typiques du tempérament exubérant du réalisateur : gaijin caricaturaux, maquereaux toxicomanes, prostituées calculatrices, homosexuels délirants. Moderne dans son approche, la série marque une rupture nette avec l ‘héritage classique de la figure de yakuza et de son code d'honneur. Véritables décalques des films noir américains, l'ancrage japonais du récit est relégué en arrière plan au profit des motifs habituels du genre  (ruelles sombres, truands embusqués à la gâchette facile,.). La Femme devient le catalyseur unique autour duquel s'affairent les truands, les allusions sensuelles et sexuelles encore timides valent nombres de plans de peaux dénudées. Sur le plan technique, le montage se met aux diapason du rythme alerte imprimé par les canevas riches en péripéties. Viennent s'y greffer, un regard documentaire sur ce swinging Tokyo en pleine effervescence, des angles de vue expérimentaux tape à l'śil, une photographie N&B tout en contraste ( Zone noire ) ou encore une pellicule couleur où Ishii joue avec les coloris rouges de la garde-robe de son héroïne ( Zone jaune ). Ces pellicules légères et jazzy aux rebondissements téléphonés et personnages manichéens restent en l'état de symptomatiques prototypes qui surent diversifier la peinture de la faune criminelle locale et mettre en avant une omniprésente thématique sexy . Autant de germes dont la Nikkatsu saura s'inspirer pour capter la jeune audience et contrer les ninkyou-eiga virils de la Toei.


Zone noire

Zone jaune

Zone noire

En parallèle à ces divertissements urbains, l'active Shin-Toho touche littéralement à tous les genres pour tenter de maintenir un équilibre financier toujours fragile. Pour un Okura ayant fortement contribué à l'essor transgressif dans les salles obscures, il n'est pas étonnant de le voir s'attaquer également à des films d'éducations sexuelles qui reçoivent un succès considérable de la part du public ainsi que les félicitations de quelques organismes officiels :  L'éveil sexuel des adolescents (1959) et le diptyque du Sexe et les Hommes (1960) qui insufflent des éléments érotiques aux films de jeunesse. Dans une optique tout aussi populaire mais aux sujets plus graves, citons notamment quelques opus dramatiques centrés sur la thématique guerrière. Toujours rentable, ces productions sont souvent confiées à Haku Komori qui se spécialisa dans le filon sitôt l'interdiction américaine levée. La Guerre du Grand Est asiatique et son tribunal international (1959) retrace les procès militaires de la Seconde Guerre mondiale, Le cuirassé Mutsu (1960) est une romance entre un jeune officier naval et une espionne ennemie. Dans une veine plus mélodramatique, Les anges du champ de bataille (1959) retrace l'abandon tragique d'une équipe de trente infirmières sur le champ de bataille chinois après la capitulation du Japon. Le thème de la guerre qui est aussi l'occasion de films d'aventures plus léger tel Le navire des femmes-esclaves (1960) . Débutant par un prologue grave aux images d'archives de kamikaze , la suite prend vite des faux-airs de films de pirates. Sur un toujours classique schéma de huis-clos maritime puis insulaire, la confrontation entres hommes et femmes délivre tous les archétypes attendus même si les débordements ne sont ici que suggérés. Ainsi derrière des scènes à la cruauté de façade, le film vaut surtout par l'érotisation du duo Bunta Sugawara/Yoko Mihara. Danses sexy, plans sur torses virils et groupes de femmes ruisselant de sueur se greffent sur un canevas exotique au rythme allègre. Prototype de film ludique, des bastonnades et une longue fusillade finale constituent le corps d'un véhicule rachitique aux accents héroïques surannés ; les couleurs criardes et le rendu faiblard des maquettes témoignant du budget réduit d'un genre populaire auquel le film s'attache sans gloire ni déplaisir.

Le Navire des femmes esclaves

Dans cette même veine d'action/aventure, le studio se montre toujours actif en livrant une multitude de rejetons tels Femmes espions (1957), L'affaire de l'empoisonnement (1958), Pas de Police (1959) ou encore la série des neufs Super Géant (1957-59) où on ne s'étonne pas de voir Okura et Teruo Ishii s'essayer au genre de la science-fiction malgré la toute puissance de la Toho dans le domaine. Basé sur les tribulations d'un super homo-japonicus aux attributs sexuels proéminents campé par Ken Utsui, la série à l'influence étrangère manifeste (particulièrement envers les ‘codes' américains) porte tous les stigmates d'un produit opportuniste où le faible budget échoue à rendre crédible la transposition futuriste. Pur serial aux rebondissements téléphonés et aux permanentes approximations scénaristiques et techniques, Super Géant s'inscrit pourtant en prototype d'un sci-fi local qui constituera bientôt un pan fondamental de l'industrie du divertissement cinématographique et télévisuel ( Gekko Kamen , Ultraman ,..). Si les enjeux des récits sont mondiaux ( la Terre est invariablement menacée), la tonalité d'ensemble reste extrêmement volage et l'issue heureuse inéluctable ; l'évocation de l'arme atomique qui apparaît par intermittence voit sa dimension métaphorique complètement effacée derrière l'attirail futuriste et grand-guignolesque d'extraterrestres et simili-nazis belliqueux. Action nourrie, bourre-pifs, stock-shot , héros invincible, méchants patibulaires & savants fous constituent les ingrédients exclusifs d'un produit à l'unique ambition pécuniaire et au charme préhistorique. Autant de lacunes et poncifs qui n'empêche pourtant pas la série de s'exporter aux USA ou en Europe. Une tentative isolée dans un genre coûteux qui restera le parent pauvre d'un studio préférant concentrer ses efforts sur des pellicules plus contemporaines.

La série "Super Géant"