.Hani Susumu, l'innocence illusoire de l'être spontané
 
 

Une nouvelle approche de la réalité

Littéralement fasciné par l'adolescence, et le souci d'y trouver une nature expressive non encore formulée socialement, Hani se lance enfin dans l'aventure du long métrage, après une série de courts métrages de commande très remarquables. Furyo Shonen (Les Mauvais garçons, 1961) est une date aussi importante dans l'œuvre de Hani que le furent Nuit et Brouillard du Japon pour Oshima, ou Cochons et cuirassés pour Imamura, tournés à peu près à la même époque. Tourné en deux mois, en 16 et 35 mm , avec une caméra synchrone et un recours fréquent au téléobjectif, Furyo Shonen traite de délinquants juvéniles regroupés dans un "Centre d'Education surveillée" de Tokyo, non pas tant comme problème sociologique que comme approche impressionniste de leur vie quotidienne, sans chercher la dramatisation plus ou moins romantique des films de la "Génération du Soleil" à la mode. Hani y appliquait sans apprêt ses théories, filmant en continuité, après de substantielles discussions avec les acteurs non professionnels, qui étaient de véritables "délinquants" rejetés par la société. Pas de scénario proprement dit, mais une sorte de psychodrame permanent, où Hani et son équipe étudiaient sur le vif une nouvelle ‘psychologie du comportement' avec les personnages du film : "Je voulais non seulement traiter un problème social, mais aussi saisir les problèmes de chaque garçon en tant qu'individu. Une chose insignifiante pour la société peut être très importante pour eux et vice versa".

"Les mauvais garçons" (1961)

Dédramatisé au maximum sans montage "interventionniste" de l'auteur, le film était aussi dénué de toute morale reçue, habituellement liée à ce genre de sujet, et ne plut guère aux hautes instances pédagogiques nippones, qui durent cependant reconnaître sa valeur humaine, basée sur les nouveaux rapports de sympathie entre le cinéaste et les protagonistes. Même si en tant que "documentaire", le film n'eut pas d'influence décisive sur les Seishun-Eiga (films de jeunes) commerciaux de l'époque, on peut tout de même apprécier son rôle dans un film ultérieur comme Hiko Shonen (Les Délinquants) que le jeune cinéaste Kazuo Kawabe tourna à la Nikkatsu en 1964, et dont la "crudité" et l'amoralisme furent à l'origine d'un conflit avec la compagnie.

Curieusement pour Hani, cette expérience originale et concluante n'eut pas de suite et fut suivie d'une adaptation littéraire inattendue, Mitasareta seikatsu (Une vie bien remplie, 1962) d'après un roman assez "engagé" de Tatsuo Ishikawa décrivant les nouveaux rapports d'une femme divorcée (Ineko Arima) avec un homme plus concerné par les réalités sociales du Japon contemporain, et Hani reconnaît (à regret?) que "le ton y est plutôt pessimiste". Mais il y reprenait son approche documentaire d'un destin vécu, aux implications socio-politiques assez vives.

Relativement détaché des contingences commerciales en ayant crée sa propre compagnie de production, Hani poursuivit sa peinture impressionniste d'une société japonaise "réelle", souvent occultée dans le cinéma commercial fait de codes et de mythes et déformée, même avec talent, dans les mélodrames ou les comédies satiriques populaires . Kanojo to Kare (Elle et lui, 1963) décrivait les rapports de personnages "moyens" habitant une zone de H.L.M, où l'environnement joue un rôle essentiel de catalyseur social. Pour la première fois, Hani y employait l'actrice professionnelle Sachiko Hidari (la même année que Imamura dans La femme insecte) qui deviendra un temps son épouse, et un acteur réputé à l'étranger pour son rôle dans Hiroshima mon amour, Eiji Okada. La simplicité voulue du titre souligne la volonté de l'auteur de montrer les rapports de "n'importe quel couple" et non pas ceux d'un couple bien défini. Pourtant, à mesure que le film évolue, ce sont les rapport de "Elle" avec une sorte de clochard vivant dans les terrains vagues voisins, Ikona, qui se substituent à ceux du couple, à travers son chien et une jeune fille aveugle, alors que le campement des clochards est détruit par le feu. En liant connaissance, "Elle" s'aperçoit que Ikona était autrefois camarade d'université de son mari, et, loin de le repousser, tente en vain de l'aider…

"Elle et Lui" (1963)

"Canevas de mélodrame" dira-t-on, mais duquel Hani, a fait surgir une réalité spontanée, où l'irréalité joue un grand rôle, et dont les personnages un peu naïfs sont pour lui "à mi-chemin entre des enfants et des adultes". Le caractère enfantin de ses personnages est une constante cultivée des films de l'auteur, qui, de moins en moins contrôlée, l'entraînera vers une approche de plus en plus fantasmatique de la réalité (Mio , L' horaire de la matinée) .