.Hara Kazuo, dans les entrailles du soleil levant
 
 
L'armée de l'Empereur s'avance (1987)


Près de 40 ans après la fin de la guerre du Pacifique, la vérité des horreurs commises reste à découvrir. Au cœur du problème, l'Armée Impériale Japonaise et ses atrocités demeurant taboues. Pour preuve, l'empereur responsable du désastre reste intouchable, il n'a jamais été inquiété et continue d'être célébré et respecté par le peuple. Pourtant, un homme a décidé de dévouer son existence à la reconnaissance de la vérité, accusant ouvertement son empereur d'être un irresponsable. Loin des beaux discours, cet homme va jusqu'au bout de ses idées, ce qui lui coûtera en tout, 14 années de prison. Kazuo Hara va suivre cet homme enragé, ce perturbateur national qui a osé s'attaquer physiquement à l'empereur. Il s'appelle Kenzo Okuzaki, âgé de 62 ans, c'est un ancien soldat de l'armée. Il a vécu les horreurs de la seconde guerre mondiale, ou plutôt la débâcle et l'abandon. De cette difficile expérience, il en retient l'envie de trouver les responsables. Ceux qui n'ont pas été capables de gérer la situation, de laisser les soldats mourir alors même que la guerre était terminée. Ceux qui ont profité d'un rang pour commettre des meurtres, tous ceux qui ont échappé à la justice et coulent des jours paisibles.

Ici, le seul ennemi de l'armée, c'est elle-même. Dans sa quête de la vérité, Okuzaki se montre direct et déterminé, il ne craint personne. Le jour de l'anniversaire de l'empereur, il se gare sur une rue principale et ouvre son microphone pour exprimer tout ce qu'il pense du haut dignitaire. Sa voiture ne passe pas inaperçue, il affiche clairement toutes ses idées sur la carrosserie et s'est aménagé des hauts parleurs sur le toit. C'est très rapidement que la police intervient devant les yeux des curieux passants. L'intervention se fait en douceur, une fois son discours terminé, Okuzaki sort de sa voiture pour discuter avec les autorités. L'homme ne rejette jamais les conséquences de ses actions, sa responsabilité. Après cette présentation, Okuzaki se rend sur les tombes de ses anciens camarades guerre, pour ne pas les oublier. La plupart sont morts dans des conditions atroces, maladies ou exécutions sommaires. C'est alors que l'homme part enquêter sur la mort mystérieuse de deux soldats, il va aller interroger les survivants d'un régiment du médecin au gradé, il leur rend visite. Il veut comprendre, il faut que la caméra filme les témoignages de ces hommes pour que la vérité existe.

À chaque rencontre, Okuzaki vient gêner ses témoins, il prend soin d'arriver à l'improviste. Il se fera toujours bien recevoir par ses hôtes, qui même dérangés par sa présence, acceptent de discuter avec lui. Mais attention, l'homme veut la vérité et peut se montrer très incisif, voire même agressif. À deux reprises, il s'attaquera à ses témoins, énervés de les voir s'enfermer dans le mensonge. La violence surprend, Kazuo Hara n'intervient pas. Les proches appellent la police, et tout se termine calmement. Tous ces hommes ont joué un rôle important dans le meurtre de deux soldats affamés, plus de dix jours après la fin de la guerre. Okuzaki, un moment accompagné par les familles, veut savoir pourquoi ces hommes ont été exécuté, pourquoi un ordre pareil a été donné alors que la guerre était terminée. Et tous ses hommes se souviennent plutôt bien de ce tragique évènement, ils se rappellent des noms mais camouflent des détails importants.

40 années plus tard, ces hommes ont peur d'aborder le sujet. Pour se justifier, ils ressortent des idées d'une autre époque. Si la vérité ne peut être dite, c'est par respect pour les morts, mais aussi pour les familles qui devraient vivre avec la honte d'un membre déserteur. Des justifications effrayantes sortant de la bouche de meurtriers. Même le contexte de cette époque est timidement abordé, les soldats abandonnés n'avaient rien à manger, ils étaient poussés au cannibalisme pour espérer survivre. Les morts ou les plus faibles servaient de repas aux gradés, aux autres. Les déserteurs n'étaient donc que des soldats affamés partis rechercher de la nourriture. Une aubaine pour les officiers appliquant une solution de temps guerre sur ces lâches afin de remplir leurs assiettes. Et 40 années plus tard, cette réalité fait toujours peur.

Par cette recherche de la vérité, Kazuo Hara confronte trois types d'histoire. D'un côté, il y le véritable vécu de ces hommes et de l'autre, les versions retouchées par la morale, par la société. Au milieu, il y a Kenzo Okuzaki, il incarne le trouble-fête, c'est celui qui ose perturber l'ordre et interroger violemment un consensus. Hara ne remet pas directement en doute le passif de Okuzaki, qu'il utilise comme l'investigateur, celui qui nous guide à travers l'enquête. Il le laisse vivre son obsession et ses violentes dérives susceptibles de créer une distance avec le personnage. Le doute naît de ses actions, donc est-ce que les témoins racontent la vérité ou lui racontent ce qu'il veut entendre (l'obsession) ? Comment savoir la réalité, l'authenticité de l'Histoire ? Et pourquoi est-ce que les hommes vont avoir le besoin de raconter une version plus glorieuse, même pour une défaite ? Une question d'honneur ou de honte ? Kazuo Hara s'intéresse de l'origine à l'évolution d'une histoire, au niveau d'une société. Le moment où les hommes vont d'eux-mêmes modifier la réalité, voire même l'oublier, pour vivre avec une version atténuée. Pour rester intégrer dans la société. Ils n'envisagent pas leur vécu autrement que comme une honte. Pour eux, ça reste un sujet tabou et pas un possible enseignement pour les générations futures, comme peut l'envisager Kenzo Okuzaki. Néanmoins, quelque soit l'utilisation de ces histoires, qu'elles soient vraies ou non, dans tous les cas elles servent les intérêts de la société.