.Hara Kazuo, dans les entrailles du soleil levant
 
 
Une vie consacrée (1994)


Les dernières années de la vie de l'écrivain Mitsuharu Inoue, filmées par la caméra intimiste de Kazuo Hara. Évolution logique pour le documentariste, passer des histoires engendrées par la société à celles créent totalement par l'individu. Au départ, le réalisateur souhaitait suivre le quotidien de cet homme sur une longue période. Mais le projet se trouve chamboulé par l'annonce de la maladie de Inoue, l'homme est atteint d'un cancer. Cette triste nouvelle fait apparaître le courage et la volonté de vivre de l'écrivain, permettant à Hara d'interroger l'existence de Inoue. De dépasser le simple statut de portrait. Quelle est la place du mensonge et de la fiction dans la vie de ce grand conteur ?

Le charisme et la personnalité joviale de l'homme attirent la sympathie de tous. Qu'il soit en conférence ou en plein cours, l'audience semble boire chacune de ses paroles. Elle est comme hypnotisée par ces récits suffisamment bien rythmés pour savoir détendre l'atmosphère tout en faisant passer les bonnes idées. Inoue est un fin parleur, il sait toujours trouver les mots pour toucher ses interlocuteurs. L'homme ne s'enferme pas dans son rôle de professeur, il est assez proche de ses élèves pour manger, boire et faire la fête avec eux. Il ne s'énervera qu'une fois sur l'un d'entre eux, un malaise temporaire rapidement oublié. Durant ses cours, il fait appel à son expérience personnelle pour développer ses idées. Il a une approche ludique qui rend ses prises de parole agréable. Alors quand il parle de son enfance et de l'époque où il travaillait dans une mine, le silence est total. Du moins jusqu'à sa prochaine blague. C'est à cette époque qu'il découvre l'intérêt du mensonge. En connaissant les dangers de la mine, où les morts sont atroces, il se dit qu'il peut jouer le rôle du médium pour apaiser les femmes des hommes disparus. Plutôt que d'expliquer l'horrible réalité, il dit que les maris n'ont pas souffert, qu'ils regrettent de ne pas avoir été de meilleur mari mais qu'ils aiment très fort leurs femmes. La combine marche à merveille, il dit avoir été le seul medium consultable sur rendez-vous, à cause d'un agenda complet. L'anecdote fait rire, la force du mensonge apparaît.

Devant la caméra, il se présente entièrement. Nom, prénom, date de naissance, père, mère, enfance… Il aborde tous ces points, qu'il a déjà écrits dans son autobiographie officielle. Né en 1926, il est abandonné à l'âge de 4 ans par sa mère et part vivre avec sa grand-mère. Très jeune, il travaillera dans la boutique familiale avant de partir dans une zone minière, où là encore, il doit travailler. En parallèle, il est aussi aller à l'école mais n'a pas été jusqu'au lycée. Plus tard, il dit avoir fondé le parti communiste puis s'être fait exclure quelques temps après pour avoir oser critiquer la politique interne du parti. C'est aussi à cet instant que sa carrière d'écrivain démarre. Grand séducteur et beau parleur, il séduit nombre de femmes. D'ailleurs, Hara interroge plusieurs de ses femmes qui admettent l'importance de Inoue dans leurs vies. Pour la plupart, elles sont amoureuses de lui, il n'y a pas d'âge et toujours beaucoup de respect. Le cancer vient bousculer le documentaire. Inoue va progressivement décliner et perdre de son dynamisme, tout en essayant de conserver son humour. Les réunions entre amis semblent être de plus en plus rares, l'écrivain goûte pratiquement à la solitude. Autour de lui, il n'y a plus que quelques amis et sa femme. L'homme fera plusieurs séjours à l'hôpital dont une opération de 8 heures filmée par Hara. Une séquence tendue et silencieuse, assez graphique. La caméra montre l'intérieur du corps de l'écrivain, avec sa partie malade. L'homme est tragiquement ramené à sa réalité explicite, il n'y a plus rien qui puisse masquer ce qu'il est.

Alors que la maladie vient affaiblir l'écrivain, Kazuo Hara entame une recherche de la vérité sur le passé de l'homme. Il va questionner une partie des affirmations de Inoue comme sur les anecdotes d'enfance ou encore ses liens familiaux. Hara se rend même sur ce qu'il reste de la mine avec des témoins pour constater par lui-même la différence entre les souvenirs, la fiction et la réalité. S'il interroge aussi beaucoup de gens ayant connu Inoue ou sa famille, son idée la plus efficace c'est surtout de mettre en scène les souvenirs de l'écrivain avec son récit sonore. La fiction apparaît désormais clairement à l'écran via ces quelques scènes, elles représentent bien la part de mensonge et de doutes de cet homme. Une impression qui se renforce à chaque fois que le réalisateur obtient un autre point de vue avec d'autres éléments. La réalité semble alors moins glamour, personne ne se souvient de ces prostituées coréennes qui faisaient le tour de la ville avant le jour de paie. D'autres révélations dévoilent les problèmes personnels de l'écrivain, à propos de sa famille. Dans tous les cas, cette réalité n'essaye pas de détruire Inoue, de l'afficher comme menteur. Il y a toujours du respect. Ces éléments complètent son portrait, Kazuo Hara montre que la fiction fait partie intégrante de la réalité de cet homme. La fiction part d'une fraction de vérité et sert à combler ce qui ne veut pas être partagé.

 

Conclusion

" Je fais des films pleins d'amertume. Je hais la société traditionnelle."
Kazuo Hara

Avec chacun de ses films, Kazuo Hara se rapproche d'une vision épurée du documentaire, montrer une histoire inconnue aux yeux du plus grand nombre en s'interrogeant sur cette histoire. Mais dans une société où l'image banalisée n'évoque plus rien, où la frontière entre réalité et fiction n'est plus questionnée et donc où les problèmes et tabous deviennent de plus en plus vagues, comment espérer continuer à captiver un public avec une histoire basée sur une réalité concrète ? Comment raconter la réalité ? Comment raconter une simple histoire ?