Ce
n’est qu’à titre posthume, que le
talent de Mizoguchi en tant qu’un des plus grands
réalisateurs (japonais) de tous les temps a été
véritablement reconnu. Ses nombreuses récompenses
de son vivant avaient certes déjà entraîné
une certaine célébrité mondiale,
mais critiques et public n’estimeront que bien
plus tard toute l’étendue de son talent.
Au-delà
de son génie de cinéaste, Mizoguchi a
également réussi à créer
son propre mythe. Décrit par ses pairs comme
un homme courtois, réservé, avenant et
passionné en-dehors des plateaux de tournage,
il était connu pour son caractère véritablement
tyrannique en tant que metteur en scène. Impitoyable,
il poussait souvent ses acteurs et techniciens à
bout et beaucoup craignaient et appréhendaient
d’avoir à travailler avec lui.
Le cinéma était sa vie et il cherchait
à atteindre un rare degré de perfection
dans la réalisation de ses projets. Cela commençait
dès l’écriture des scénarios
: à l’origine, les scénaristes étaient
chargés de rédiger les histoires prêtes
à être filmées soit par un studio
commanditaire, soit par un réalisateur. Ils s’occupaient
autant de la trame, que du découpage filmique.
Mizoguchi s’impliquait énormément
dans ce travail et les différentes réécritures
étaient fort souvent très nombreuses.
Il n’aimait pas à en discuter, préférant
annoter les scénarios de ses remarques et modifications
à entreprendre. Il a usé bien des scénaristes
pourtant reconnus, ne collaborant sur les deux dernières
décennies de sa vie quasiment plus qu’avec
le fidèle Yoshita Yoda.
 |
Sa
méticulosité – et une certaine paranoïa
– le poussaient à remanier les scénarios
jusqu’à la dernière seconde, changeant
parfois encore le déroulement d’une scène
ou les dialogues, alors que les caméras étaient
en train de tourner !
Mizoguchi attribuait une large importance à la
pré-production, suivant personnellement chaque
étape de la création des costumes, du
choix des accessoires jusqu’à la construction
des décors. Dans ses dernières œuvres,
il n’hésitait pas à demander l’édification
de bâtiments entiers correspondant à ses
visions, parfois même pour le seul besoin d’un
(arrière-)plan. Des témoins rappellent
des anecdotes savoureuses, où il demandait le
déplacement d’éléments de
décors - pesant plusieurs tonnes - de quelques
mètres pour le seul besoin d’un cadrage
perfectionniste – et donc plutôt que de
bouger sa caméra – avant de revenir sur
son idée première.
Tels les maniaques réalisateurs Chaplin ou Kubrick,
il n’hésitait pas à tourner et re-tourner
certaines séquences jusqu’à obtenir
la perfection, le tournage d’un seul plan pouvant
prendre jusqu’à trois jours pour la simple
prononciation d’une seule réplique par
une actrice.
Mizoguchi ne ménageait pas non plus ses acteurs.
Souvent avare en explications, ils étaient livrés
à eux-mêmes et subissaient les colères
légendaires du réalisateur jusqu’à
lui donner satisfaction – parfois même sans
comprendre ce qu’il avait réellement cherché
à obtenir.
Toujours le premier arrivé et dernier à
partir, il ne quittait sous aucun prétexte le
plateau de tournage, ayant même à portée
de main une pissotière transportable pour se
soulager.
Sa vie privée était quelque peu dissolue.
De nature plutôt douce, il était également
un bon vivant à la limite de l’autodestruction.
Il aimait à boire jusqu’à en tomber
et fréquentait abondamment les filles de joie,
même après avoir épousé sa
femme. Il mangeait tout et n’importe quoi et se
plaisait à ingurgiter des condiments propres
à lui donner la diarrhée.
Il était pourtant très conscient de son
état et avait confié à son producteur
– peu avant de mourir – de vouloir complètement
changer de vie. La folie maladive de sa femme l’a
beaucoup affecté et il a été dit
avoir pris grand soin de la famille de son bau-frère
suite à la mort de ce dernier. Il s’excusait
publiquement aux femmes de joie – au nom des hommes
et du sien – pour ce qu’elles étaient
obligées d’endurer et les magnifiques et
sensibles portraits qu’il leur dédiait
sont une preuve irréfutable de sa conscience
des choses.
Passionné, il lisait énormément
et s’intéressait aux sujets les plus divers.
Il aimait à discuter de longues heures et à
apprendre de mœurs, métiers ou coutumes
dont il n’était pas familier.
Un homme extrêmement intelligent, qui cachait
certainement de grandes faiblesses et fissures intériorisées
et qui ne vivait que pour son seul métier : le
cinéma.