.Sion Sono, posture ambiguë
 
 
Thématiques & Postures

 

Suicide Club (Jisatsu saakuru, 2002)

"J'ai voulu concevoir ce film comme un zapping… avec toutes ces  ‘'chaînes'', je voulais faire ressentir l'atmosphère du Japon".


Suicide Club s'ouvre sur un spectaculaire suicide collectif. Suicide Club suit l'enquête relative à ce suicide collectif. Le récit de Suicide Club reste émaillé de suicides collectifs. Le titre même renvoie au concept de suicide collectif. Et pourtant, le film ne se rapporte sur le plan thématique que de loin au phénomène du suicide collectif. Bon. Ceci étant entendu, il s'agit désormais de prendre le film pour ce qu'il est. En 2001, Sono Sion, qui est avec plusieurs films à son actif un réalisateur confirmé, marque son entrée dans un cinéma un tant soit peu grand public et constitue par ailleurs son plus gros succès commercial à ce jour. Il faut dire qu'entre sujet sensible et structure de thriller hardcore , il y a tout pour pondre un brûlot sulfureux scrutant le désarroi de la jeunesse japonaise à la façon d'un très apprécié –et très rentable- Battle Royale . Et on y croit pendant vingt bonnes minutes. Suite à une intro choc montrant cinquante jolies lycéennes en uniforme se jeter joyeusement sous un métro, des personnages efficacement archétypaux (le vieux flic blasé, le bleu qui lui sert d'adjoint, la geekette fouineuse) se lancent dans une enquête très correctement structurée autour d'un mystérieux site Internet clandestin, suivi par une mise en scène sobre et classique, pile entre le numérique très brut de Comme dans un rêve et l'opulence visuelle de son futur Strange Circus . Difficile de dire quand tout dérape. Peut-être est-ce quand le rythme de l'enquête commence à piétiner. Quand une scène hospitalière directement tirée de Ring s'incruste dans le récit en dépit du bon sens. Ou que l'imagerie du suicide dévie vers un grand guignol trop incongru pour pousser le récit vers la satire authentique. Non, Suicide Club ne sera pas un divertissement à la fois efficace et dénonciateur, Sono Sion trace une voie qui lui est propre, pour un résultat pas forcément meilleur, mais en tout cas différent.

On pourrait taxer Suicide Club de foutoir éhonté, d'œuvrette bancale dont la narration se désintègrerait pour aboutir sur un final vaguement ouvert, ne laissant de place ni à une évolution significative des personnages (devenus des portemanteaux depuis une heure) ou un discours quelconque. C'est d'une certaine manière vrai, d'autant que tous les films de Sion souffrent d'un manque de maîtrise narrative et pourraient facilement être sabrés de vingt minutes, quelle que soit leur longueur. Pourtant, si l'on fait le deuil de la thématique du suicide collectif, le projet de Sion se dévoile au travers de cette série de scènes apparemment décousues et le plus souvent avortées : l'idée d'un film zapping, passant de l'horreur à l'humour décalé et de la comédie musicale post Rocky Horror Picture Show au glauque lynchien, sans le moindre complexe. En jouant la carte de la rupture de ton permanente, Suicide Club prend le risque de perdre son public à chaque changement de bobine et s'il privilégie un effet de surprise parfois franchement bluffant, il est bien possible que le film ne tienne plus aussi bien à la deuxième vision. Il faut tout de même reconnaître au concept une audace réelle, qui fait du film un objet étrange, un portrait de la société japonaise actuelle dressé de façon impressionniste, par petites touches redondantes ou contradictoires, une espèce de film postmoderne ultime sur une civilisation qui à coup de starlettes jetables, de courants esthétiques (du rock visuel au film de fantôme Ringien ) surexploités et de solitude absolue est devenue l'univers postmoderne ultime.

Non, Suicide Club n'est pas pour tout le monde, cela bien pour des raisons de facture et non d'excès graphiques ou moraux (encore que ce soit pas triste de ce côté). Sono Sion délivre la vision d'ensemble qu'il a de la société japonaise contemporaine, selon des codes et un pessimisme qui lui sont propres, et c'est tout à son honneur. Mais c'est en s'attachant à ses personnages que Requiem pour Noriko , fausse suite de Suicide Club , obtient un impact bien supérieur, et un film aussi peu focalisé que le Lady Vengeance de Park Chan Wook nous rappelle que les ruptures de ton, plaisantes en soi, peuvent annuler les effets successifs d'un récit au lieu de précisément les additionner. Ces choix dateront probablement Suicide Club , de façon intéressante ou simplement embarrassante. Reste qu'en utilisant superficiellement le motif du suicide collectif, le cinéaste a gagné son pari, au moins industriel : obtenir un succès de curiosité et de provocation. Reste qu'il y a à faire un film traitant frontalement, et sérieusement, de ce phénomène marginal mais incontestablement fascinant. Masato Harada, peut-être, un jour...

 

Comme dans un rève (Yume no naka e, 2005)

"une salade verte entre deux steaks saignants...".


Sono Sion a fait jusqu'ici preuve dans ses films d'une certaine ambition thématique et/ou esthétique, Comme dans un rêve a tout d'une récréation. Manifestement tourné en vitesse (peut-être même dans la précipitation), Comme dans un rêve suit les tribulations de Mutsugoro Suzuki, acteur ringard profitant de son quart d'heure de gloire dans un soap-opéra navrant et slalomant entre sa petite amie légitimes, ses conquêtes clandestines, la bien peu glorieuse MST qui l'assaille, mais aussi les très réalistes rêves qui l'assaillent...

« J'ai rêvé que j'étais un papillon. A moins ce ne soit le papillon qui rêve qu'il est moi… » Par cette petite parabole Confucius a clairement synthétisé les questionnements liés aux rêves, leur réalité et l'emprise qu'ils peuvent voir sur notre existence. Comme dans un rêve annonce rapidement la couleur : les niveaux de réalité ne cessent de s'alterner par l'entremise des réveils brutaux de Suzuki : et si le comédien n'était que l'avatar onirique d'une autre de ses personnage? Quoique l'on pense de la réussite de l'entreprise, concédons à Sono Sion une approche originale de son récit : non, Comme dans un rêve n'en fait pas des tonnes dans la description d'un univers onirico-onirique, il n'y a pas de lapin géant, pas de panneau « regardez comme mon film est unique » et surtout pas de démarquage servile ou maladroit de David Lynch, LA grande référence du cinéma du rêve. Face aux récents Paprika , Nightmare Detective ou Killer7 (comme quoi le rêve et les réalités déformées semblent de plus en plus s'imposer dans la pop culture japonaise moderne, tous médiums confondus), Comme dans un rêve choisit la voie d'un film léger, tourné à l'épaule en numérique et délaissant le malaise et les interrogations à la Matrix pour une comédie de situation gentiment décalée.

Heureusement d'ailleurs, car si Comme dans un rêve se présente comme un film somme toute sympathique, son champ d'action est aussi méchamment limité. On assiste donc à une partie de ping-pong entre réalités imbriquées, sans vraie progression ou finalité, ce qui quarante ans après les récits de Philip K. Dick la fout un peu mal. C'est en fait dans les apartés comiques situés dans le premier niveau de récit (celui du Suzuki-acteur) que le film trouve sa rythmique au travers d'une description gentiment acide de comédiens à la frontière d'une vraie professionnalisation, observant la réussite très relative de types pas vraiment doués confits dans des productions affligeantes. Les conséquences de cette célébrité de deuxième catégorie donnent d'ailleurs au film ce qui reste de loin sa meilleure scène, un étonnant plan-séquence de 5 minutes où Suzuki doit composer avec un couple de fans bien décidés à l'embarquer dans d'aléatoires jeux sexuels. Techniquement très simple, la scène marque avant tout par l'inventivité de ses comédiens, et si Sono Sion affirme que tout est écrit à l'avance (déclaration crédible vu le caractère articulé du texte), il est facile d'imaginer une surenchère de la part des acteurs « importuns », rivalisant d'idées pour déstabiliser leur partenaire. En poussant un peu on peut voir dans la séquence des échos autobiographiques, Sono Sion, cinéaste branché au look savamment étudié, ayant clairement le profil pour se faire harceler par des groupies plus ou moins improbables. De là à dire qu'il connaît de près les affres de ce qui ressemble fortement à une blennorragie...

Tournant trop à vide pour être « important », trop brouillon dans sa narration (là encore un régime de vingt minutes n'aurait pas fait de mal) et dans sa forme pour fonctionner en tant que pur exercice de style, Comme dans un rêve n'en reste pas moins plaisant par intermittences, dévoilant ça et là un tempérament de cinéaste autrement plus affirmé dans ses autres films. Un film ouvertement mineur donne toujours un certain cachet à une filmographie mais en l'état, votre appréciation de Comme dans un rêve dépendra moins de votre vécu, de votre culture ou de votre sensibilité que de votre humeur au moment d'entrer dans la salle. C'est qu'il en faut parfois bien peu...

 

Strange Circus (Kimyô no sâsaku, 2005)

" Strange Circus est une espèce de boite à trésor où j'ai pu mettre mon amour pour le mauvais goût, ces décors et ces personnages un peu grotesques ".

Commençons par le plus évident : Strange Circus est, de très loin, le film le plus visuellement abouti de Sono Sion. C'est aussi celui qui, peut être plus encore que Suicide Club , a établi sa réputation de cinéaste transgressif hardcore, un Takashi Miike puissance 10, le maillot jaune de la course un peu vaine à l'image qui défrise le bourgeois. Si ce buzz fait partie du jeu, il convient d'élever un peu le débat. Strange Circus est un film généreux pour ce qui est des influences. David Lynch, David Cronenberg, la saga Silent Hill… Le film prend néanmoins clairement ses racines dans les écrits d'Edogawa Ranpo, auteur japonais culte connu pour avoir caviardé ses récits fantastiques ou policiers d'extravagances érotico-morbides qui troublent encore le lecteur moderne. S'éloignant des préoccupations sociales de ses précédents films, Sono Sion se crée un univers propre en investissant la psyché de Taeko, séduisante écrivain en fauteuil roulant rendue célèbre par ses romans érotiques, et dont le dernier ouvrage à base d'inceste pourrait avoir des résonances tragiquement personnelles, comme va le découvrir l'assistant embauché par l'éditeur de la belle.

En tant qu'artiste venu du graffiti et du théâtre de rue, on aurait pu penser que Sono Sion s'imposerait comme un cinéaste vériste, avant tout attaché à un style visuel sobre, quand bien même les histoires qu'il raconterait fonctionneraient à un niveau avant tout symbolique. Strange Circus constitue donc un virage à 180 degrés et impose dès les premières secondes un spectacle de cirque surstylisé montrant les artistes évoluer dans un décorum opulent et des costumes croulant sous les détails et la dorure. Cet univers baroque se décline par la suite en maisons luxueuses et costumes étranges, fonctionne excellemment sur un registre décalé, reste mis en valeur par une superbe photographie en 35 mm , un sens du cadrage et du mouvement d'appareil que l'on aurait pas forcément soupçonné chez un cinéaste dont le parcours n'en fait pas a priori un technicien virtuose. Ce luxe visuel est au service de véritables idées de mise en scène, en particulier dans les scènes du roman conditionnées par la voix off de Taeko, montrant avec « élégance » (faute de meilleur terme) et honnêteté les abus sexuels infligés à une fillette par un père dont le sadisme et les déviances en aucun cas érotisés projettent le récit dans une espèce de dimension hallucinée, un conte de fées cauchemardesque clairement réservé à un public averti, mais dont l'évidente stylisation lui permet d'éviter l'écueil du « regardez comme on vit dans un monde horriblement horrible ». Cette notion de fantasme n'est pas anodine, tant les personnages de Sion sont poussés à recréer leur propre réalité, soit en s'inventant une nouvelle existence et une nouvelle personnalité, soit en se réfugiant littéralement dans leurs songes. Strange Circus offre une nouvelle variation en se centrant sur une écrivain, transformée de fait en metteuse en scène d'écrits clairement visualisés et dont la validité est perpétuellement remise en question par l'étrange assistant chargé de s'occuper d'elle. Taeko s'abandonne-t-elle à des fantasmes extrêmes ? Exorcise-t-elle les blessures du passé en les analysant de façon frontale, ou cherche à les récréer pour se les approprier ? Si oui, dans quel but ? Et pourquoi ce fauteuil roulant ?

Chez Sion, le mensonge le plus éhonté relève moins d'un calcul ou même d'une pathologie que d'un réflexe de survie. Il s'agit de se récréer pour exister, et si Requiem pour Noriko explorera ce thème avec le plus de bonheur, Strange Circus pousse la logique le plus à son terme, ce qui a hélas pour effet d'aboutir à un twist osé dans les faits mais laborieux dans son long développement, une nouvelle preuve que Sion doit encore progresser en termes de narration et peut-être mieux annoncer ses effets en amont du récit. L'implication des comédiens (parmi lesquels Tomorowo Taguchi, fou furieux officiel du cinéma japonais depuis Tetsuo ) fait plus que sauver les meubles, mais il est rageant de voir qu'on a raté (comme dans Requiem pour Noriko ) le chef d'œuvre pour une question de technique d'écriture. Non, Strange Circus n'est pas le film dégueulbif extrême que certains ont décrit. C'est d'une certaine manière le film le plus proche du passé de poète de Sono Sion, une fable sombre, dure, imparfaite mais finalement cathartique. Il constitue la preuve que Sono Sion peut prendre de l'envergure en tant que cinéaste, en particulier lorsqu'il prend plaisir à explorer la « boite à trésor » que constitue cet univers vénéneux, fantasmatique et finalement profondément intime.  

 

 

Requiem pour Noriko (Noriko no shokutaku, 2005)

" Je suis fasciné par tout ce qui se détruit ".

A ma gauche, Suicide Club . A ma droite, Strange Circus . Il n'en faudrait pas plus pour cataloguer Sono Sion au sein du cercle des réalisateurs-exotiques-trash-mais-avec-de-la-substance-hein. Requiem pour Noriko vient pourtant joliment compliquer la donne, s'imposant au passage comme le meilleur film de son auteur. La structure de base est pourtant limite banale : Noriko, une jeune fille ordinaire et même assez terne, rencontre par hasard sur le net Kumiko, une charmante post-adolescente qui va la pousser à fuguer. Alors que son père et sa sœur partent à sa recherche, Noriko s'initie sous l'influence de sa nouvelle amie à une nouvelle forme de prostitution, le family-rental . A elle de combler les manques affectifs de ses clients, devenant au choix nièce aimante ou enfant vindicative, au risque de perdre sa propre identité...

« OK, on a compris, ça va être du Fight Club au féminin… » Pas tout à fait. Le film d'initiation est un genre en soi, avec le (la) bleubite de service qui se voit pris en main par un mentor charismatique dont l'enseignement s'avère à double tranchant. La formule existe, a développé des codes qui lui sont propres, et Sono Sion les évite avec une réelle habileté en faisant clairement le choix de… prendre son temps. Tous les films de Sono Sion souffrent d'un problème de rythme, d'une narration pataude, de flottements parfois réellement pénalisants. Avec ses 2H35 au compteur, Requiem pour Noriko aurait dû être le film le plus exposé à ce problème et c'est pourtant celui qui s'en sort le mieux. Le mammouth aurait sûrement pu être dégraissé, mais on sort du film avec l'impression que son auteur a pu prendre ses aises, s'installer tranquillement et choisir d'aller jusqu'au bout de ses idées et du développement des personnages. Spin-off de Suicide Club (le fameux suicide d'ouverture est évoqué par les personnages et montré de façon quasi-subliminale), Requiem pour Noriko n'en reprend pourtant aucun personnage et délaisse le 35mm « professionnel » pour un tournage en numérique plus léger et un intimisme sobre enrichi des rares coquetteries visuelles exigées par l'histoire. Les ruptures de ton sont par contre fidèles au poste, notamment déclinées, en bien mieux, sous la forme des nombreuses scènes de family rental . Alors que nous étions partis sur un film-laïus sur les danger des rencontres online, elles viennent joliment bousculer le récit et génèrent un malaise et une incongruité tragi-comique parfaitement maîtrisés, dont l'impact participe pourtant d'un véritable mouvement d'ensemble et non plus d'une juxtaposition de vignettes déstabilisantes. Si l'intention est toujours de dénoncer la déshumanisation de la société japonaise, on atteint là une authentique maîtrise du discours et des moyens de le communiquer, là où Suicide Club, thriller pourtant plus « accessible », fait en comparaison figure d'exercice de style un peu vain.

Outre l'abandon du « zapping » stylistique, Sion a eu la sagesse de ne plus passer par un personnage porte-parole (comme le « méchant » très symbolique de Suicide Club ) de sa propre vision des choses mais de fragmenter le point de vue entre trois personnages d'une même famille, aux raisonnements tous valides même si forcément incomplets. Face à ce triangle représentatif d'une normalité en crise, nous ne pouvons passer sous silence la performance de la comédienne Tsugumi (29 ans à l'époque du tournage !) donnant une force intérieure bluffante à Kimiko, nymphette manipulatrice et sans attaches. Sa vampirisation d'un casting pourtant concerné est par ailleurs assez typique de cette génération de réalisateurs nés dans les années 60, pour qui la jeunesse japonaise contemporaine est source de fascination (Hideaki Anno), de perplexité (Masato Harada) ou d'irritation (Shinya Tsukamoto). Le propos, pas loin d'être réactionnaire (y'a plus de jeunesse, la famille c'est plus ce que c'était…) était asséné de façon somme toute frontale dans Suicide Club , mais Requiem pour Noriko dépasse la simple dénonciation sociale, sans doute pertinente mais plus vraiment novatrice. Nous en revenons aux sessions de family rentals : sans elles le débat resterait au niveau rageur et/ou métaphorique de Tokyo Fist ou Evangelion (sortis il y a tout de même de 10 ans), elles ouvrent au film des horizons thématiques insoupçonnés sur les notions de réalité, d'identité et de bonheur, le tout culminant dans un final à première vue extrême et casse-gueule, mais aussi cohérent et bien senti. Suicide Club est au mieux un sympathique film de petit malin. Son frère cadet est une authentique œuvre de maturité, délaissant le pamphlet stylisé et les effets les plus provocs pour un drame imparfait, libre, frondeur, mais avant tout profondément humain.

Frédéric Maffre

Exte – Hair Extension (Ekusute, 2007)

" Une métaphore... ".

Dans sa démarche à vouloir se rapprocher d'un cinéma plus commercial (" C'est un pur film de divertissement ") tout en poursuivant ses thématiques obsessionnelles, Sion accouche d'un J-Horror ( Japan-Horror , film d'horreur japonais) d'apparence classique, mais éprouvant en fait les limites du genre. Le récit nous dévoile le corps d'une mystérieuse jeune femme dans un container d'une zone portuaire : ses organes ont été soigneusement prélevés, de ses entailles sortent des petites touffes de poils d'une beauté exceptionnelle. Yamazaki, employé mortuaire et fétichiste de cheveux, va subtiliser le cadavre. A son immense satisfaction, la chevelure de la défunte va continuer à pousser – et de plus en plus vite au fur et à mesure qu'il revend ses mèches comme extensions capillaires aux coiffeurs locaux.

Le film démarre comme les précédentes œuvres de Sion, par l'utilisation d'une structure narrative singulière basée sur la distanciation. Il fait en effet réciter le scénario par ses personnages ; y compris jusque dans la description des actions et des paysages ("comme chaque matin, Yuko se rend au travail en vélo…") et les dialogues ("Bonjour, dit-elle"). Une forme narrative inédite qui répand également des clichés semblant tous droits sortis d'un mauvais feuilleton télévisuel. Sion livre ainsi les clés d'une double-lecture, entre produit d'horreur formaté pour le grand public et œuvre parodique d'un genre éprouvé. A l'instar du duo américain Williamson / Craven sur la franchise des Scream , Sion fait appel à Masaki Adachi, l'assistant réalisateur des quelques-uns des plus éminents représentants du genre d'horreur nippon (Hideo Ring Nakata; Takashi Ju-On Shimizu) pour co-écrire le scénario. En résulte un regard personnel sur la surexploitation du genre horrifique.

Pas besoin de chercher bien loin l'inspiration première du cinéaste: il s'appuie sur le principal poncif des films d'horreur asiatiques récent : le personnage de " Sadako " (la méchante des Ring japonais), la "fille aux longs cheveux sales". Une figure qu'il va ainsi symboliquement "mettre à mort" dès l'entame de film, une façon d'illustrer la prédominance des motifs graphiques au détriment de la richesse du personnage. Les cheveux deviennent donc métaphore de toutes ces " Sadako " surexploitées depuis le succès des Ring , qui pullulent à la même vitesse que la crinière de la défunte, envahissant toute intimité jusqu'à "étouffer" l'audience. Quant à la mystérieuse fille décédée, elle ne sert que de carcasse vide, dépouillée de son "essence" (de ses organes vitaux) par des hommes peu scrupuleux (les producteurs) dans une séquence rappelant un autre genre, celui du gore américain (une séquence directement inspirée de Hostel d'Eli Roth, lui-même déclencheur de nombreux ersatz de moindre qualité). Cette métaphore se noie malheureusement dans une intrigue un brin trop classique où l'on regrette que Sion ne déverse pas davantage de vitriol pour dénoncer la surexploitation du genre. Les meurtres sont chiches et rares; et seule la scène d'une fillette cachée dans un placard assistant, impuissante, à la mise à mort de ses parents rappelle la verve provocatrice passée du cinéaste. Le personnage du fétichiste allumé Yamazaki (excellentissime Ren Osugi) reste finalement le seul bonheur du film. En l'état reste une réflexion intéressante malheureusement gâchée par l'inaboutissement de son effet de dénonciation.

Bastian Meiresonne

Requiem pour Noriko prochainement disponible chez Kubik Video