.Tomu Uchida, Maître mineur du cinéma japonais
 
 
L'avant-guerre


Uchida jeune.
Uchida est né en 1898 dans la ville d'Okayama à l'ouest du Japon; son prénom Tomu, comme il se fera appeler plus tard, est en fait la retranscription de l'anglais Tom qui met en évidence sa passion précoce pour la culture occidentale. Pour écrire son prénom, il choisit des caractères signifiant :"cracher des rêves". Dès son plus jeune âge, après s'être installé à Yokohama, Uchida s’implique dans les arts. A partir de 1920, il devient acteur pour la société de production de Junichiro Tanizaki, puis romancier écrivant des nouvelles à la manière occidentale. Après le grand tremblement de terre de 1923, il exerce le métier d'acteur itinérant pendant plusieurs années avant de retourner à Tokyo et de commencer à travailler comme assistant réalisateur et cadre pour les studios de la Nikkatsu. Il est promu réalisateur en 1927 avec Three Days of Competition (2).

La carrière de réalisateur d'Uchida se divise en deux parties, interrompue par la Guerre et par les années qu'il passe en Chine. Il quitte le Japon en 1945, initialement pour rejoindre l'Association du Film Mandchou appartenant aux japonais; puis après la défaite il reste sur place pour participer à l'essor technique du Cinéma Chinois. Malgré la rudesse de la vie causée par une Guerre Civile Chinoise ne cessant d’empirer, Uchida ne revient au Japon qu'en 1953.
Il est dit que son expérience de la Guerre et de ses années de captivité ont influencé son style et son comportement, et que sa conscience sociale d'avant-guerre a laissé place, dans ses derniers films, à une tonalité nihiliste. Il est désormais difficile de vérifier ces assertions puisqu'il ne subsiste quasiment aucune de ses œuvres d'avant guerre. Uchida est connu pour avoir réalisé l'un des premiers et plus célèbres films à message (des films d'implication sociale et d'idéologie largement gauchiste) en tournant La Poupée Vivante en 1929; pour avoir mis en scène une satire sociale historique avec Champion of revenge (1931) et ainsi que pour avoir été le pionnier d'un certain réalisme romancé avec des œuvres telles que Le théâtre de la vie (1936) et The Naked Town (1937).(3) D'un autre côté, Uchida s'est également essayé à des oeuvres pro-militaristes telles Asia cries out (1933) et The World Turns (1928), film aux intrigants éléments d'anticipation relatant une attaque aérienne du Japon (4).
Malheureusement, tous ces films sont soit perdus ou ne subsistent plus que sous forme de copies tronquées détenus par des particuliers.


"Sweat" (1929)
Bien qu'une analyse approfondie soit désormais impossible, on peut néanmoins émettre quelques réflexions concernant ses films d'avant-guerre encore existants. Les quatre métrages d'Uchida d'avant-guerre a avoir été préservés de manière (quasi) complète suggèrent que le réalisateur était déjà parfaitement à l'aise dans la diversification des genres et capable de développer des trames narratives aux sous-entendus sociaux critiques. Sweat (1929) est une parodie des films à message contant l'histoire d'un jeune millionnaire oisif se faisant dérober ses vêtements par un vagabond. Vêtu des haillons de son voleur, il n'a d'autre choix que d'accepter de travailler comme ouvrier. L'ironie semble évidente, le héros finissant par construire lui-même le mausolée dont il avait passé commande. Le message – le dur labeur est bon pour l'esprit – est plutôt banal; mais le rythme des gags valent ceux d'un Lloyd et se rapprocheraient d'un Keaton.
Le policier
(1933), décrit par Noël Burch comme "un parfait pastiche par anticipation du cinéma d'enquête policière à dimension sociale, tel qu'il s'en produira beaucoup au Japon après la guerre à l'instar d'un certain modèle hollywoodien" est un polar extrêmement stylisé, narrant la relation d'amour et de haine entre deux anciens amis d'enfance, un policier et un criminel (5). Les sous-entendus homo-érotiques de la relation au centre de l'intrigue sont une revanche subversive contre le gouvernement ayant sanctionné l’utilisation d'un gang communiste dans le rôle des méchants. Unending Advance (1937), d'après un scénario de Ozu, est un curieux regard porté sur les problèmes au quotidien d'un ouvrier d'âge moyen et de sa famille qui fait place à une séquence onirique représentant un avenir idyllique peu plausible. Avec ses visuels, décors et jeux d’acteurs stylisés, le rêve semble presque une satire du vœu d'épanouissement et de superficialité hollywoodien.


"La terre" (1939)
L'œuvre la plus connue d'avant-guerre d'Uchida, La Terre (1939) est le portrait épique de la vie de paysans du Nord du Japon, apparemment tourné en secret pendant un an sur les lieux même le temps des week-ends, alors que le restant de la semaine, Uchida travaille comme programmeur à Tokyo. Tourné dans des extérieurs austères, utilisant une lumière fortement contrastée et une caméra sur roues, La Terre semble influencé par le cinéma allemand ou russe. La rhétorique est frappante, mais l'humanisme apolitique plutôt simpliste : le film semble assumer que le simple fait de dramatiser la vie des pauvres, sans aucune autre véritable analyse, serait un geste politique en soi. En fait, comme le fait remarquer Peter B. High, la Censure de l'époque rendait déjà impossible une quelconque analyse gauchiste du système des classes de l'époque (6). De manière générale, le film manque de l'ironie qui caractérise les travaux d’avant et d’après-guerre d'Uchida et qui donne à ses meilleurs films toute leur complexité.