.Tomu Uchida, Maître mineur du cinéma japonais
 
 
Les années soixante


Tomu UCHIDA
Durant les années soixante, les films historiques d'Uchida rencontrent un moindre succès, bien que tous comportent des moments brillants. Particulièrement The Drunken spearman (1960) qui contient une première moitié magnifiquement subversive. Kurodo, un jeune samouraï impétueux, menace de commettre publiquement le seppuku en réponse à l'humiliation de sa famille par le Shogun. Une nouvelle fois, Uchida montre comment des obligations féodales peuvent interférer dans les affaires familiales : le frère aîné du héros lui ordonne tout d'abord de se suicider, puis lui ordonne d'obéir aux messagers du Shogun lui interdisant de se donner la mort, puis après la propre mort du Shogun, le somme finalement de se suicider – réagissant ainsi dans chaque cas de figure comme l'honneur le demande. Finalement, Kurodo rejette subversivement son devoir et se retire à la campagne avec sa femme.

La satire du film ne s'adresse pas uniquement à l’idéologie déshumanisante d'une autre époque; elle est également une critique envers son propre public. La décision du héro de commettre seppuku est largement colportée et une grande foule se forme pour assister au spectacle; Kurodo s'indigne de l'ambiance festive, "comme si", dit-il, "ils ne seraient venus que pour regarder des feuilles d'automne". Uchida se moque intelligemment du public des chambara, venant au cinéma pour des frissons bon marchés devant la violence exacerbée et le sang répandu, et pose l’éternelle question quant à savoir si la représentation de la violence sur l'écran désensibilise le public face à celle de la vie courante. Dans ce contexte, hélas, la fin du film semble malhonnête; le bain de sang final se voudrait ironique, mais semble plutôt comme témoigner du renoncement d’Uchida face aux attentes du public et aux pressions commerciales. La visuelle rhétorique surplombe tout sens du tragique: dans ce cas, le don d'Uchida pour l'action sape son message.


Sur le tournage de "Meurtre à Yoshiwara" (1960)

L'autre film historique d'Uchida de 1960, Meurtre à Yoshiwara, bien qu’une de ses œuvres les plus réputées en Occident (David Shipman allait même jusqu'à dire, qu'il était "l'égal d'un Mizoguchi ou d'un Kinugasa") compte parmi ses plus conventionnelles.(9) La tragédie d'un riche marchand de soie exploité par une prostituée sans cœur, illustre sa chute et l'ascension de la femme. Malgré l'élégance de sa construction dramatique, l'émotion semble finalement quelque peu forcée. Le violent climax est une nouvelle fois mise en scène avec une assurance époustouflante; il s'agit peut-être même là de la plus belle scène dans toute l'œuvre d'Uchida. Mais même en l'état, il manque la gravité des similaires fins explosives de Le Mont Fuji et la lance ensanglantée, The Outsiders et The Horse Boy. Le développement narratif semble d'une telle perfection académique que le bain de sang final semble moins tragique que perversement satisfaisant.

En contraste avec le classicisme plutôt académique de ce film, il est à souligner qu'il existe une dimension moderniste (voire post-moderniste) dans l'art d'Uchida. Ses intrigues sont souvent dérivées du kabuki ou du bunraku; alors que des adaptations telles que Meurtre à Yoshiwara sont aussi naturalistes que Les Amants Crucifiés de Mizoguchi (1955), d'autres pointent leur artificialité. Chikamatsu's love in Osaka met en scène Chikamatsu, l'auteur de la nouvelle originelle, comme un personnage à part entière au sein du drame. Relativement classique au premier abord, le film devient de plus en plus conscient de lui-même. Chikamatsu, à l'origine un observateur qui puise l’inspiration de ses écrits dans les évènements qu'il observe, commence à intervenir dans ces événements, sauvant l'héroïne du suicide, substituant ainsi une douce fin au drame qui semblait plus probable. La dernière scène n'est plus du tout jouée par des acteurs; en lieu et place, Chikamatsu regarde des poupées bunraku interpréter le climax sur scène.

Fascinant sur le papier, Chikamatsu's love in Osaka n'est finalement pas aussi réussi que son intrigue le laisse présager, ne serait-ce qu'en raison de la réalisation quelque peu pédante de quelques scènes. D'un autre côté The Mad Fox est un succès notoire en tant que relecture avant-gardiste d'un conte de l'époque Heian. Une nouvelle fois, certaines scènes ont été tournées sur fond théâtral; d'autres prennent place devant des décors peints rappelant la couleur de certaines peintures médiévales. Le film est une fable sur l'accomplissement d'un vœu : le héros qui perd sa femme dans une sombre intrigue de cour est rendu fou de chagrin, il rencontre finalement le double de la disparue – en fait un renard qui prend forme humaine. Se dispensant totalement de réalisme, Uchida utilise décors et lumières de manière expressionniste pour exprimer les états d'esprit changeants de ses protagonistes. L'artifice mythique et sauvage du film fait du coup paraître le Kwaidan (1964) de Kobayashi bien moins original.