.Mizoguchi Kenji
 
 
Époque du parlant


Après ‘’La fête de Gion’’, Mizoguchi est approché par Irie Sakako pour devenir le réalisateur phare de la compagnie ‘’Irie Productions’’ ; il décline l’offre, créant finalement sa propre unité - la Daiichi Eiga Production - sous l’égérie de Shinko Kinema (elle-même gérée par la Shochiku) en collaboration avec Masaichi Nagata et Isuzu Yamada. Ses dernières productions pour la Shinko Kinema, ainsi que les premières pour sa propre compagnie seront une série de films ‘’Meiji-mono’’ (situés à l’ère Meiji) : ‘’Vents Sacrés’’, ‘’Le col de l’amour et de la haine’’, ‘’O’sen aux cigognes de papier’’, ‘’O’yuki, la vierge’’ et ‘’Les coquelicots’’. Empreints d’un lyrisme exagéré, Mizoguchi s’éloigne par trop de son approche réaliste et désavouera par la suite tous ces métrages. Il a le terrible sentiment de s’enfermer dans un carcan et de tourner en rond.

Masaichi Nagata (producteur)
"Vents sacrés" (1934)
"Oyuki la vierge" (1935)

1936 est une nouvelle étape importante dans la riche filmographie du réalisateur : il fait la connaissance de Yoshikata Yoda. Après une période de convalescence, le scénariste demande à être réengagé par son ancien employeur, M. Kenichiro Hara de la Daiichi Eiga, qui le recommande alors à Mizoguchi. La première rencontre entre les deux futurs amis se passe mal, le réalisateur mettant – comme à son habitude – d’emblée beaucoup de pression sur le jeune homme pour aboutir à un scénario correct. Le fruit de leur première collaboration donne ‘’L’élégie d’Osaka’’, un film aujourd’hui encore reconnu comme un authentique chef-d’œuvre mêlant habilement un réalisme étonnant d’une époque révolue agrémenté d’une critique acerbe audacieuse. La dénonciation sociale n’échappe bien évidemment pas aux autorités, d’autant plus réprimantes qu’un coup d’état fasciste avait renforcé un patriotisme exacerbé. Mizoguchi est convoqué par le Comité de Censure, mais obtient finalement le droit de distribuer le film ; malheureusement la Daiichi Eiga traverse alors une importante crise financière et doit sortir le film dans un circuit de salles limité et sans aucune publicité, si bien que le public n’est pas au rendez-vous.

Yoshikata Yoda - scénariste
"Élégie d'Osaka" (1936)

‘’Les sœurs de Gion’’ constitue la seconde collaboration entre Yoda et Mizoguchi. Le réalisateur aime à représenter les quartiers défavorisés et chauds et demande au scénariste d’imaginer une histoire prenant place dans ces lieux. Déjà habitué aux productions ‘’gendai geki’’ (histoires d’amour impossibles entre des prostitués et leur protecteur) pour en avoir tourné plusieurs durant sa période muette, Mizoguchi veut aller à l’encontre des stéréotypes et demande d’imaginer une fille de joie refusant de se soumettre au bon vouloir des hommes. Bien évidemment se dessine ici la volonté du réalisateur à dépeindre la difficile condition d’une femme, portrait particulièrement abouti grâce au précieux apport du travail de Yoda. Le scénario sera sans cesse remanié, des dialogues changés au cours même du tournage d’une scène. Le résultat final surprend pourtant par son réalisme et son audace à parler des choses normalement passées sous silence. Le réalisateur s’attire les foudres du président du syndicat d’Otsubu, qui avait laissé entière liberté à l’équipe de tourner pensant ainsi promouvoir le quartier de Gion; puis les geishas s’en mêlent, piquées au vif par le réalisme de la représentation de leur métier. Toute l’équipe technique était désormais interdit de passage dans le quartier.

"Les soeurs de Gion" (1936)
Mizoguchi à 38 ans
"Chant de l'amour et de la haine" (1937)

Les problèmes financiers de la Daiichi n’assurent une nouvelle fois qu’une sortie discrète du film, qui n’a alors aucune chance de trouver son public. La compagnie est finalement dissoute et le fondateur Masaichi Nagata nommé directeur de la Shinko. Les rêves d’une indépendance artistique de Mizoguchi sont anéantis et son nouveau directoire exige effectivement un projet plus populaire. Après l’abandon d’une adaptation du recueil des pièces de théâtre ‘’Le rôle de ma mère’’ de Yukiko Miyake, Yoda propose ‘’Le chant de l’amour et de la haine’’, mélange d’une idée originale sur un duo d’artistes et ‘’Résurrection’’ de Tolstoï. Le scénario assurait à Mizoguchi de pouvoir continuer à creuser le sillon du personnage de la femme forte. Le tournage terminé, le Japon entre en guerre (sino-japonaise).

Le cinéaste avouera plus tard, que l’expérience de ces trois films lui auraient donné une meilleure approche de la compréhension de la nature humaine et il avait hâte de pousser d’avantage encore ses propres instigations quant à cette assimilation. Les bouleversements historiques allaient pourtant l’obliger à reporter à plus tard ses louables intentions…