.Mizoguchi Kenji
 
 
Période de guerre


L’industrie cinématographique va connaître de nouvelles restrictions de censure ; il se développe un courant de propagande, spécifique à chaque périodicité de guerre. Déménageant à Tokyo, Mizoguchi réussit encore à tourner ‘’Ah ! Pays Natal’’ en 1938 dans une relative liberté artistique, avant d’être obligé de réaliser ‘’Le chant de la caserne’’, film patriotique par excellence. Le scénario est signé Shuichi Hatamoto, fidèle collaborateur par le passé du réalisateur, mais également à l’origine des plus mauvais métrages du cinéaste.
Mizoguchi traverse alors une grave crise de remise en question personnelle. Il se sent piégé par l’industrie cinématographique ambiante et ne veut surtout pas d’avoir à se soumettre aux obligations patriotiques sous peine de s’écarter de ses propres thématiques et idéologies politiques. Paradoxalement, suite à la réalisation du ‘’Chant de la Caserne’’, il est embauché par les studios de la Shochiku pensant le metteur en scène ‘‘assagi’’. Ce dernier se réfugie alors dans un monde plus lyrique aux antipodes de ses derniers films hyper-réalistes et entame le triptyque du geido (métier des acteurs) constitué de ‘’Conte des chrysanthèmes tardifs’’, ‘’Les femmes d’Osaka’’ et ‘’La vie d’un acteur’’.

Tournage de "Ah, pays natal" (1937)
Remise d'un prix par l'Éducation nationale (1940)
Mizoguchi parti au front

Le premier de la trilogie, ‘’Conte des chrysanthèmes tardifs’’, est un magnifique manifeste à l’intention du théâtre du kabuki et un ‘’shimpa’’ (mélodrame) poignant. Mizoguchi peut une nouvelle fois développer deux de ses thèmes de prédilection, à savoir le dévouement pour un art, ainsi que le portrait d’une femme extraordinairement forte. Durant la préparation, il met au point une mise en scène, qui va profondément affecter sa manière de réaliser par la suite. Choisissant de faire jouer le rôle principal d’un homme d’une vingtaine d’années au populaire acteur Oyama (acteur spécialisé dans les rôles de femmes) Shotaro Hanayagi alors dans sa bonne quarantaine, le réalisateur est obligé de masquer la différence en filmant de loin. Déjà un fervent adepte des plans larges, il opte pour l’utilisation d’un grand angle, lui permettant de recréer une certaine ambiance théâtrale (en hommage au kabuki), mais aussi de donner un maximum d’espace à son acteur principal. Le rendu – malgré ses contraintes restreintes d’utilisation, notamment du fait de ne pouvoir bouger le cadre au risque de déformer les éléments de décor à l’image – impressionne durablement Mizoguchi, qui n’hésite plus de recourir largement à ce procédé dans ses futures oeuvres.

Tournage "Contes des chrysanthèmes tardifs" (1939)
"Contes des chrysanthèmes tardifs" (1939)

A la suite du film, Mizoguchi collabore avec son fidèle scénariste Yoda à l’adaptation romancée de l’homme d’affaires Tomoatsu Godai durant l’ère Meiji. Refusé par les studios de la Shochiku, il leur est demandé d’imaginer quelque chose de plus populaire, qui puisse également plaire à un public féminin. Replaçant l’intrigue dans le monde du ‘’joruri’’ (ou ‘’bunraku’’, théâtre traditionnel des marionnettes), ‘’Les femmes d’Osaka’’ est sélectionné par les journaux nationaux comme l’un des dix meilleurs films de l’année et le réalisateur reçoit le Prix du Ministère de la Culture. Une nouvelle fois, l’intrigue s’articule autour d’un personnage féminin extrêmement fort et approfondi, qui ira même jusqu’à quitter un temps son mari – un geste perçu comme une provocation du temps de la sortie du film. Le film permettra également au réalisateur de montrer une nouvelle forme d’art particulièrement stricte et rigoureuse.

L’idée d’un triptyque autour du geido n’avait pas été intentionnelle ; ce n’est que suite à un nouveau refus de la part des responsables de la Shochiku concernant l’adaptation biographique de la vie du grand faïencier Kakiemon, que Yoda et Mizoguchi s’attèlent au scénario racontant la vie romancé du célèbre acteur de kabuki, Ganjuro Nakamura, qui donnera ‘’La vie d’un acteur’’.

Tournage "Femmes d'Osaka" (1940)
"Femmes d'Osaka" (1940)
"La vie d'un acteur" (1941)

Dans un climat de conflit de plus en plus oppressant entre le Japon et les Etats-Unis, la Shochiku annonce à grands renforts de publicité la plus belle adaptation des aventures des ‘’47 Ronins’’ jamais effectuée. Projet de grande envergure, ils espèrent un spectacle familial prompte à redonner du baume au cœur des japonais transis de peur par la guerre. Mizoguchi ne l’entend bien évidemment pas de cette oreille ; il opte pour l’adaptation de la pièce ‘’Genroku Chushingura’’ de Seika Mayama, une vision très personnelle et noire des fameux 47 ronins s’attachant d’avantage à expliciter les états d’âmes des guerriers que de miser sur le spectaculaire. Le réalisateur n’est d’ailleurs pas habitué aux scènes d’action et n’a aucune envie de s’y mettre. Le tournage dure plus de huit mois, dépassant de loin le budget prévisionnel initialement estimé et provoquant la démission des responsables de production.
Durant le tournage, la femme de Mizoguchi sombra dans la folie, se réfugiant dans la prière et se repliant sur elle-même. Le réalisateur s’en est énormément voulu, s’accusant tout le restant de sa vie d’avoir été à l’origine de ce qui a été prouvée être une maladie irrémédiable. A l’annonce de cette mauvaise nouvelle et en en désespoir de cause, son frère s’engage dans l’armée et laisse sa vie sur le champ de bataille. Le réalisateur prend alors la veuve et les deux enfants du défunt à son propre domicile pour les supporter comme membres de sa propre famille.

Tournage "Les 47 Ronins" (1941)
Hiroshi Mizutani
décorateur sur "Les 47 Ronins"

La mobilisation accrue des hommes pour la guerre provoque un manque de main-d’œuvre dans l’industrie cinématographique. Les studios de production traversent une grave crise financière, leurs productions stoppées et le public décroissant pour cause des hommes mobilisés ou de cinémas fermés. La Nikkatsu décide de fusionner avec la Shinko Kinema et la Daito Eiga pour fonder la société Daiei. Le comité de censure ne permet plus que le tournage des films de propagande véhiculant des messages imbibés de patriotisme. La Shochiku ordonne alors à Mizoguchi de tourner un film pour la commémoration de paix entre le Japon et la Chine. Partant en repérage en Chine pour plusieurs semaines en compagnie de Yoshikata Yoda, le projet est abandonné par la suite sans que le cinéaste ait à tourner le moindre mètre de pellicule.

"Trois générations de Danjuro" (1944)
"L"Histoire de Miyamoto Musashi" (1944)

Sous les bombardements de plus en plus violents, Mizoguchi réalise quelques œuvres mineures scénarisées par Matsutaro Kawaguchi : ‘’Trois générations de Danjuro’’, ‘’L’Histoire de Miyamoto Musashi’’, ‘’L’excellent épée Bijomaru’’ et ‘’Le chant de la victoire’’. Tournés en peu de temps, Mizoguchi semble les désavouer lui-même, prétextant qu’il ne les faisait que pour pouvoir continuer à tourner ; du moins ils lui permettaient d’échapper à la mobilisation et à l’emprisonnement, tel que ce fut le cas pour beaucoup d’autres artistes contemporains.