.Mizoguchi Kenji
 
 
Fin de la guerre


A la fin de la guerre, peu de réalisateurs sont encore en activité pour la Shochiku ; l’entière organisation des studios de cinéma est à revoir et le pays devait renaître des ses cendres.
Mizoguchi a du mal à s’accommoder de l’instauration démocratique. Il ne se reconnaît guère dans la nouvelle idéologie véhiculée en grande partie par l’occupant américain et par un semblant de regain humaniste. Perturbé, il accepte pourtant de réaliser ‘’La victoire du sexe féminin’’, un scénario co-écrit par l’immense Kaneto Shindo et Kogo Noda. Au même moment, il est nommé président de syndicat des employés de la Shochiku. Pas vraiment dans son élément (il est CONTRE la grève), le réalisateur démissionne très rapidement de son poste.

"La victoire du sexe féminin" (1946)
Mizoguchi, Président du syndicat de la Shochiku

Son premier vrai film de retour sur le devant de la scène est le remarquable ‘’Cinq femmes autour d’Utamaro’’. Biographie romancée de la vie du peintre sur estampes, Utamaro Kitagawa (1753-1806), le film est également une délicieuse métaphore de la propre condition de travail de Mizoguchi. Le scénariste Yoda avoue lui-même s’être largement inspiré de la vie de son ami pour créer le personnage du peintre. Utamaro était connu pour ses représentations érotiques destinées au public, mais recourant à un nouveau style de dessin révolutionnaire, il réussit à donner des traits humains à ses personnages peints. Glissant quelque critique acerbe dans ses représentations, il fut arrêté et condamné au port de menottes 50 jours durant pour outrage à la Haute Autorité. Le peintre ne s’en remettra jamais, même s’il a repris ses dessins à la seconde suivant l’enlèvement de ses menottes. Métaphore évidente du propre travail de Mizoguchi, exploitant dans chaque film le fin portrait de ses protagonistes féminins tout en dénonçant les travers de la société japonaise. Enfreint dans sa liberté d’expression par un comité de censure permanent, l’arrivée de la guerre oblige le réalisateur d’arrêter d’exercer pleinement son métier, tel qu’Utamaro menotté par les forces de l’ordre.
Le film se réalise dans des conditions de tournage d’autant plus difficiles, que l’occupant américain met en place des restrictions de liberté accrues et notamment dans le milieu du cinéma. Un Comité de Censure, instauré sous la houlette du général Mac Arthur, interdit toute représentation de la féodalité dans les films historiques, ainsi que les combats au sabre, toute idée assimilable au patriotisme, l’incitation (in)directe au suicide (en référence au Hara Kiri), etc. Lors de la pré-production du film des ‘’Cinq Femmes…’’, Mizoguchi dut se plier à de longues et pénibles interrogatoires assurant aux américains, qu’aucun combat de sabre serait placé à l’intérieur du film et que le personnage principal était la quintessence même de l’homme démocratique…

Tentant d’enchaîner par une adaptation des ‘’Cinq amoureuses’’ du plus grand romancier du réalisme populaire de l’ère Edo, Saikaku, le film suivant est finalement ‘’L’amour de l’actrice Sumako’’. Projet monté en parallèle avec le studio concurrent de la Toho, qui prépare sa propre version sous le simple nom de ‘’L’actrice’’, le film de Mizoguchi est de moindre qualité. La faute revient à des libertés prises dans la retranscription des personnages et une dramaturgie désamorcée par rapport au matériel d’origine. Il n’en demeure pas moins une œuvre se plaçant dans la droite lignée des préoccupations du cinéaste à représenter la femme comme forte et libérale.

A raison d’un film par an pour cause du manque d’argent et des longs mois d’attente des habilitations des projets par le Comité de Censure, ‘’Les Femmes de la Nuit’’ n’a été tourné qu’en 1948. Comme pour prendre sa revanche sur son combat symbolique perdu contre le réalisateur Teinosuke Kinugasa sur ‘’L’actrice’’, Mizoguchi fait appel au scénariste du dernier, Eijiro Hisaita. Le réalisateur souhaite s’emparer d’une adaptation de la pièce ‘’Seul contre dix millions d’hommes’’, déjà écrit sous le nom de ‘’La fête des femmes’’ ; en revanche, Mizoguchi aimerait changer le côté mélodramatique au profit d’un réalisme plus accentué du monde des prostitués. C’est donc finalement le fidèle scénariste Yoda, qui écope de nouveau du projet pour en rédiger la version finalisée.
Sortant en pleine période de succès des ‘’Pan-Pan Mono’’ (films et romans traitant de la prostitution), le film jouit d’un certain succès populaire, bien que le réalisme exacerbé tranche par rapport à une production concurrente autrement plus libertine et opportuniste.

Toujours pour répondre aux normes exigées par l’occupant américain souhaitant que les films incitent à la démocratisation des idées, Mizoguchi se laisse tenter par la biographie de la révolutionnaire Hideko Kageyama réalisée sous le nom de ‘’La flamme de mon amour’’. Femme aux idées libertaires, elle cherchait l’égalité des sexes à l’ère Meiji, jusqu’au jour où elle se rend compte de sa propre féminité au contact du révolutionnaire Kentaro Ooi. Adapté par le – pourtant – très grand Kaneto Shindo, le réalisateur et son scénariste échouent à transposer correctement le personnage de Kageyama. Sans doute obligé d’édulcorer le portrait contestataire de la femme pour l’occupant américain, Mizoguchi s’enlise dans un mélodrame sans grand intérêt et réalise un portrait bien plus lisse que d’accoutumé, alors que ce personnage demande justement beaucoup de force. Le public accueille le film dans l’indifférence générale et le relatif anonymat de ces personnages historiques ne créera aucun vrai succès parmi les autres films du genre sortis à la même époque.

"La flamme de mon amour" (1949)
"Le destin de Madame Yuki" (1950)

Ayant pour projet d’adapter le roman de Saikaku Ihara, ‘’La vie d’une femme amoureuse’’ sous le titre de ‘’La vie d’O’haru, femme galante’’, Mizoguchi et le scénariste Yoshikata Yoda se heurtent pourtant une nouvelle fois au refus catégorique de leurs directeurs de production de la Shochiku. Très déçu, Mizoguchi décide de rompre son contrat. Sa recherche d’un nouveau studio se fait dans un climat politique extrêmement tendu, où les japonais et les communistes dénoncent de plus en plus violemment la présence d’étrangers sur leur sol. L’industrie du cinéma n’est guère épargné et de nombreux réalisateurs et techniciens sont à nouveau emprisonnés pour réprimander un mouvement de soulèvement. Le réalisateur accepte alors de tourner ‘’Le destin de Madame Yuki’’ d’après le roman homonyme de Seiichi Funabashi, dont l’adaptation est assuré par le frère de l’écrivain et Yoshikata Yoda. La pré-production se fait dans des conditions difficiles et éprouvantes pour le réalisateur. Travaillant avec une nouvelle équipe technique, il a du mal à imposer son caractère colérique et faire valoir ses méthodes particulières de travail. Ses caprices opposent l’unité du groupe et il a l’impression, que l’équipe ne s’investit pas pleinement dans le travail préparatoire. Devenant la risée de ses confrères – et notamment d’Ozu – il est moqué pour un scénario jugé inabouti.
Dans ses conditions, le travail de Mizoguchi n’est effectivement pas à la hauteur de ses ambitions. La faute à un scénario une nouvelle fois trop édulcoré par rapport au matériel d’origine et une mise en scène peu inspirée de Mizoguchi.

Tournage "Mademoiselle Oyu" (1951)

Masaichi Nagata, le vieil ami et co-fondateur de la Daiichi Ega d’antan, était entre-temps devenu le directeur de la Daiei ; il propose alors à Mizoguchi de réaliser une adaptation du roman ‘’Ashikara’’ (‘’La récolte des racines’’) de Junichiro Tanizaki. Nagata accompagnera le réalisateur jusqu’à sa mort en le protégeant par ailleurs des répressions sociales de l’époque. Œuvre mineure dans la filmographie du réalisateur, ‘’Miss Oyu’’ reste pourtant une intéressante historie amoureuse triangulaire assez osée pour son époque, que seul le mauvais choix du casting de la célèbre Tanaka Kinuyo pénalise à l’image. Merveilleuse actrice de caractère, son jeu s’adapte mal avec le personnage littéraire une nouvelle fois maladroitement retranscrite par le scénariste Yoshikata Yoda. Il n’en reste pas moins, que Mizoguchi réussit le sensible portrait du personnage secondaire - passant au premier plan - d’Oshizu, ainsi qu’à crédibiliser la difficile condition de Miss Oyu. Les moments dramatiques semblent toujours aussi surajoutées à l’intrigue, mais s’insèrent mieux que par le passé. Malgré toutes ses difficultés de tournage et le choix des sujets plus ou moins imposés, Mizoguchi réussit petit à petit à doser ses différentes thématiques poursuivies et à les joindre de manière homogène jusqu’à aboutir à ses futurs chef-d’œuvres.

Tournage "Mademoiselle Oyu" (1951)
"La dame de Musashino" (1951)

Unique film réalisé pour le compte des studios de la Toho – alors réputés repaire des communistes - ‘’La Dame de Musashino’’ était une adaptation d’un best-seller de Shohei Ooka. Drame psychologique, genre dans lequel Mizoguchi était très peu à l’aise, le film vaut surtout pour les magnifiques paysages des environs de Tokyo et l’interprétation magistrale de Kinuyo Tanaka, ici parfaitement dans son élément ; sinon le roman est une nouvelle fois bien supérieure à son adaptation cinématographique.